CHERS « MARAS », OSEZ LE DIRE AU PRÉSIDENT !
Il y a quelque chose de très pathétique dans l’intervention publique de ceux que l’on appelle les « hommes de Dieu ». Ils manquent de mesure s’ils ne se murent dans un silence connivent au grand dam du peuple au milieu de deux pôles d’attraction et de jouissance : le pouvoir politique et le marabout.
Se laissant aller à la confidence, un prêcheur, rencontré dans une cité religieuse, me faisait part, avec grandiloquence, de la munificence de notre première dame, Marième Faye Sall, celle qui a fait oublier à sa majesté sa Sandrine « au cœur ». Et depuis, avec une exubérance de paroles incommodante, le prédicateur continue de témoigner toute sa gratitude à la Saint-Louisienne à chaque fois que l’occasion se présente. C’est son droit le plus absolu. Mais, il y a quelque chose de très pathétique dans l’intervention publique de ceux que l’on appelle les « hommes de Dieu ». Ils manquent de mesure quand ils ne se murent dans un silence connivent. La prise de parole publique des guides confrériques nourrit également la même réflexion en moi. Ils cessent, petit à petit, d’être, pour nous, des soupapes de sûreté pouvant assurer ce rôle d’intermédiaire détaché et vertueux entre le peuple et le prince. Le nôtre, après la bravade (« citoyens ordinaires », les avait-il taxés) lancée en des instants d’ivresse joyeuse de début de règne, s’est mis dans la tête de réparer cette « offense » ( ?) par une obligeance bien tapageuse.
Le désir excessif de pouvoir est le foyer de tous les reniements si ce mot a encore du sens au pays des « apostasies » politiques. En réalité, Macky Sall n’a fait que perpétuer une vieille pratique en la dépravant davantage. Mais sa promesse de rupture et de vertu conjecturait des rapports plus sains avec les religieux. On pouvait, par exemple, espérer leur institutionnalisation et la déconstruction de l’image de la « mallette d’argent » en échange de la parole convenue ou pire, de la consigne.
Aujourd’hui, le Sénégal traîne ceux qui devaient être des institutions pourvoyeuses de sens et d’éthique comme un boulet. Le marabout n’est plus un accotoir, un régulateur social. Il est devenu une charge écrasante pour une République au train de vie scandaleusement dispendieux. La parole du guide religieux est édulcorée par ses immixtions inopportunes, ses silences suspects et sa posture incommode. Il en résulte l’apparition de plus faux ascètes qu’eux (sans nier qu’il en existe encore de vrais dans ce pays) qui ne profitent, en définitive, que des brèches laissées entrouvertes par la déliquescence morale de ceux que Donal Cruise O’Brien a appelés « des intermédiaires de valeur » dans une conjoncture moins pernicieuse.
Pour l’amour de Dieu, celui-là que vous prétendez représenter sur terre, prenez votre responsabilité en disant à Macky Sall que le pays va mal. Que le peuple souffre. Que rien ne justifie l’emprisonnement du maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall. Que la machination électorale, visant à écarter Karim Meïssa Wade et Khalifa Sall de la présidentielle, doit cesser. Que la transparence, plus qu’un slogan, est une exigence surtout dans un contexte de découverte et d’exploitation de nouvelles ressources porteuses d’espérances légitimes. Que le Sénégal a un récit merveilleux de démocratie et de paix qu’il convient de consigner dans la mémoire collective en promouvant la justice qui en est la caution. Que les étudiants méritent un meilleur sort. Que l’emploi des jeunes doit mobiliser toutes les énergies malheureusement déployées par toute la République des excités pour donner un second mandat au « roi déliquescent ». Que les malades crient leur désarroi malgré la couverture médicale universelle dont on ne parle plus d’ailleurs. Dites à votre bienfaiteur, chers hommes de Dieu, que le pouvoir est moins gratifiant, aux yeux des esprits justes et lucides, que l’honneur décerné par la postérité, et la noblesse d’âme des « descendants de guerriers », classe dont il serait issu ! Quelle puérile et primitive confidence Monsieur le président ! Dites-lui qu’il est jeune et qu’il y a un « après-pouvoir ». Dites-lui de se ressaisir pendant qu’il est encore temps. Si vous n’osez le lui dire, par peur de vous voir retirer vos privilèges terrestres, enveloppez-vous du mystère de votre silence par respect pour vos nombreux talibés que nous ne voudrions incommoder. Il est temps de rompre ce lien de clientélisme, cause de tous les égarements observés depuis des décennies et entretenus par un pouvoir aux antipodes de nos aspirations. Le peuple ne doit pas être au milieu de deux pôles de jouissance. C’est si injuste.
Bara Diouf