A la bonne table de Penda Mbaye : L’art du « Thiéboudieune »

24 - Février - 2017

A la bonne table de Penda Mbaye : L’art du « Thiéboudieune »

Saint-Louis, le sanctuaire de la fine gastronomie sénégalaise. Ici, le « thiéboudieune » (riz au poisson) est renommé. C’est une spécialité de la région. Une passion de consommateurs qui en redemandent. Penda Mbaye, une des grandes toques de notre pays, voire du monde, est passée dans la vieille cité. Elle a laissé échapper de sa marmite quelques secrets de la haute gastronomie. Nous sommes sur ses traces. Pour déguster, avec nos chers lecteurs, un « thiéboudieune » de son cru.
Elle n’est pas comme le marmiton qui, au contact d’un restaurateur proposant de bonnes recettes, réussit finalement à faire de la grande cuisine. Elle a plutôt inventé un plat : le « thiéboudieune ». Penda Mbaye, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, intéresse les Sénégalais, ses compatriotes. Beaucoup veulent en savoir plus sur elle. Nous sommes sur les traces de l’inventrice de notre plat national. Dans cette volonté de revisiter sa vie et son œuvre, on s’est rendu à Guet-Ndar, Santhiaba, Sor, Khor et Goxu Bacc, ces quartiers de la vieille Cité pour une quête de nourritures « authentiques ». De Penda Mbaye, disons d’abord que sa réputation a dépassé Saint-Louis, et même le Sénégal.
L’inventrice du « thiéboudieune » aurait, dans un premier temps, vécu à Santhiaba, ensuite à Goxu Bacc. Aujourd’hui, dans sa cuisine, deux grandes castes circulent parmi ses marmites. Et chacune d’elles cherche à « breveter » la trouvaille de Penda Mbaye. Les « gewël » (griots), ces détenteurs de l’oralité, la revendiquent. « Le slogan, connu de tous, est « thiéboudieune ngéwël », rappelle Ndèye Dieumb Ngom, restauratrice à Saint-Louis. « Faux ! C’est chez nous les « tëg » (groupe des forgerons) que Penda Mbaye, dont le nom complet est Penda Mbaye Thiam, a vu le jour en 1904 », soutient Aïda Mboup Thioune, qui dit être « (sa) petite-fille ».
Ainsi, la haute stature de l’inventrice de notre plat historique aiguise-t-elle l’appétit « revendicatif » de deux grandes castes autour du « thiéboudieune » à la Penda Mbaye (Thiam). Pour mettre fin à leur « duel », disons aux uns et aux autres que cette maîtresse de l’art culinaire est nationale. Son histoire est riche comme son « thiéboudieune » Penda Mbaye. Elle est succulente. Elle est toujours savoureuse.
Quand Penda Mbaye divise griots et forgerons
« Ma grand-mère Penda Mbaye, la créatrice du « thiéboudieune » est de ceux et celles que les lumières de Ndar (Saint-Louis) ont attirés. Elle n’est pas une native de la vieille cité. Elle a vu le jour à Gandiol, à une vingtaine de kilomètres de l’ancienne capitale de l’Aof, en 1904 ». Ces propos sont ceux de Aïda Mboup Thioune, fille de feue Fatou Guèye Dioum. Cette dernière, décédée en 2006, est la fille de Mbayang Thiam, la sœur cadette de Penda Mbaye (Thiam). Notre interlocutrice, Aïda Mboup Thioune, rencontrée au beau milieu de sa famille dans ce quartier de pêcheurs qu’est Goxxu-Bacc ne tarit pas d’éloges sur ce coin de Saint-Louis. Ici, découvrons-nous des gens qui cultivent, à la fois, le savoir-vivre, le raffinement, la tradition et la convivialité.
C’est vrai, Goxxu-Bacc est un endroit où l’on peut absolument rêver d’un bon plat de riz au poisson, où l’on peut assister en direct à sa préparation qui est tout un rituel et où l’on peut déguster un « thiéboudieune » à la Penda Mbaye pour le plaisir de son palais. Penda Mbaye est d’ici. C’est du moins ce que nous dit sa petite-fille Aïda Mboup Thioune qui aurait appris de sa défunte maman Fatou Guèye Dioum que « Penda Mbaye, née en 1904 à Gandiol, est décédée le 1er novembre 1984 à Dakar et inhumée le lendemain à Andoulaye (Louga) sur instruction de son marabout Thierno Dramé ». Elle a laissé deux héritiers : Mawdo Malick Sèye, vivant en France et Adja Maguette Sèye, installée à Dakar.
Le « bol de la discorde »
C’est Penda Mbaye qui inventa le « thiéboudieune ». « Pour cette première, j’ai entendu dire que ma grand-mère n’avait pas utilisé de la tomate concentrée, mais des tomates fraîches. Ayant fini de les pétrir, elle avait recueilli la pâte ainsi obtenue. Cette trouvaille a beaucoup contribué dans le succès du « thiéboudieune », fait savoir Aïda Mboup Thioune. Sur ce point, nos interlocuteurs sont unanimes.
Par contre, ils ont de profondes divergences sur le groupe social et l’époque de Penda Mbaye. « Ma grand-mère est « tëg» (forgeron) », soutient Aida Mboup Thioune, fille de feue Fatou Guèye Dioum, elle-même fille de Mbayang Thiam, la sœur cadette de Penda Mbaye (Thiam). « C’est pour la première fois que j’entends dire que Penda Mbaye n’est pas « gewël » (griotte) », dit Ndèye Dieumb Ngom, restauratrice et fille de la célèbre Adja Nancy Niang, la première à ouvrir un restaurant à Saint-Louis en 1951. « Ma mère, née en 1933 et rappelée à Dieu le 25 juillet 2016, n’a pas connu l’inventrice de notre plat préféré », renseigne Ndèye Dieumb Ngom.
Et Rokhaya Mbaye, une habitante de Guet Ndar, souligne que « Penda Mbaye est beaucoup plus vieille que l’âge que lui a donné Fatou Guèye Dioum », la défunte maman de Aïda Mboup Thioune qui raconta que « (sa) tante, née en 1904, a inventé le « thiéboudieune vers 1916 ». En tout cas, à 12 ans, les filles de Saint-Louis, c’est connu, vont aux fourneaux. De 1916 à maintenant, c’est 101 ans. Le premier « thiéboudieune » à la Penda Mbaye est toujours dans le « bol de la discorde ».
Réhabiliter Penda Mbaye
En tout cas, allons-nous vous livrer des informations recueillies, en avril 2001, auprès de l’incontournable doyen Amadou Lamine Camara, une mémoire de Saint-Louis. Né le 27 mars 1907, il déclarait, il y a un peu plus de 15 ans, ne pas connaître personnellement Penda Mbaye. Alors chef de la section des affaires communales, Amadou Lamine Camara se rappelait la venue, en 1932, de Blaise Diagne à Saint-Louis sur invitation du gouverneur général. « A cette occasion, on avait, dans les jardins du gouverneur, servi au premier député noir un « thieboudieune » préparé par une femme « tëg » et non « gewël » qui habitait le quartier Lodo. Blaise Diagne avait ce jour en woloff demandé qu’on lui mette du « gedj » (poisson séché et salé) dans son assiette », nous contait-il. Amadou Lamine Camara se souvenait aussi de la poésie de Serigne Babacar Sy chantant « sa grande vénération du « thieboudieune ». Embouchant la même trompette que son ami Camara, un autre doyen de Guet Ndar, Bassirou Fall, déclarait, toujours en avril 2001, ne pas connaître personnellement Penda Mbaye. « Mais, j’ai vu des femmes trouver époux pour avoir réussi un « thieboudieune », des amoureux s’en faire expédier loin de Saint-Louis, une austérité d’un chef de famille se ramollir à la découverte d’un « thiéboudieune » fumant dans un grand bol posé sur la natte », avait-il raconté.
Convenons-en, le « thieboudieune » est un plat mythique, mais son inventrice n’est pas suffisamment honorée. A Saint-Louis, aucun monument ou place publique ou école ou avenue ne porte son illustre nom. Des recherches doivent être faites pour réhabiliter cette cuisinière de renommée dont le nom et l’image méritent d’être accrochés aux portes de nos écoles préparant aux métiers de la gastronomie. L’histoire générale du Sénégal qu’un comité rédactionnel va reconstruire page après page, pierre après pierre, pour la faire revivre, ne manquera pas, peut-être, de s’intéresser à Penda Mbaye. Nos historiens et autres brillants intellectuels, chargés de dresser le vrai portrait de notre pays dont la richesse est éternelle, ont la mission de nous replonger dans le passé du Sénégal de Penda Mbaye, cette belle terre d’Afrique où l’Orient et l’Occident se sont unis. En effet, c’est ici que les caravaniers arabes ont rencontré les négriers occidentaux. Là, ont-ils énormément gagné au contact des autochtones.
Les Saint-Louisiennes, ces imbattables en cuisine
« Thieboudieune » Ndar la fek baax » (le riz au poisson est une spécialité saint-louisienne). Les gens d’ici ont le secret de sa préparation. Longuement affiné, rougi à la tomate, de saveur délicate et très épicé avec des aromes flagrants et bien typés, ce mets est un délice. Il doit son originalité au respect de règles rigoureuses.
« Pour faire un « thieboudieune » digne de Penda Mbaye, il faut d’abord savoir faire le marché ». Ces propos sont de Ndèye Dieumb Ngom. Agée de 55 ans, cette femme de Saint-Louis, très connue des fonctionnaires en poste ou en mission dans la capitale du Nord, est une spécialiste de notre plat national. Ndèye Dieumb Ngom est la fille de la célèbre Adja Nancy Niang, la première à ouvrir un restaurant à Saint-Louis en 1951. « Ma mère, née en 1933 et rappelée à Dieu le 25 juillet 2016, n’a pas connu Penda Mbaye, l’inventrice du « thieboudieune », mais elle le préparait bien », a dit notre interlocutrice qui nous en a bouché un coin et même plusieurs.
Sa première leçon est celle-ci : « Thieboudieune dou waaxu day daagu » (La préparation du « thieboudieune » demande du temps). Vous autres non Saint-Louisiennes, ne faites donc plus comme si vous preniez un ticket de métro, c’est-à-dire du « vite fait », quoi ! Deuxième leçon : « Bagn di taalaale dieune, waaye diko diigël » (Ne plus frire le poisson, mais l’ajouter en pleine cuisson. Là, vous êtes sur la voie de réussir un plat plein de saveurs. Troisième leçon : « Thieboudieune, ken duko yak ci palat, ken duko leekee kuddu » (On ne sert pas le « thieboudieune » dans un plateau et on ne mange pas le « thieboudieune » avec une cuillère). Alors, respectons le rite : asseyons-nous autour d’une grande assiette et plongeons la main. Bon appétit !
Espèces nobles
Le « thieboudieune » à la Penda Mbaye doit aussi son originalité au respect d’une autre règle essentielle : le choix du poisson. Les espèces nobles comme les « thiof », « kothie », « warangal », « bërr », « deem », etc. sont les plus indiquées », nous dit Mme Rokhaya Mbaye, une habitante de Guet Ndar qui, avec un groupe d’amies, revenait du marché. Dans le panier de ces ménagères, ces ingrédients : riz local, poisson noble frais, « guedj » (poisson salé et séché), tomate concentrée, tomate fraîche, huile d’arachide, « yeet » (cymbium), piment rouge, sel, poivre, carotte, navet, manioc, chou, aubergine, oignon, ail, persil, etc. Pas un seul des bouillons vantés à travers des spots publicitaires n’a été acheté. « On n’a pas besoin de bouillon pour faire un bon « thieboudieune », nous les élèves et héritières de Penda Mbaye », disent en chœur Mmes Aminata Mbaye, Astou Lô et Astou Diop Guèye.
Vos deux serviteurs ont vu que, signe des temps, les Mbaye, Mboup, Samb, Cissé, Touré et Wade, mais aussi les Sow, Sy et Sall, mangent le « thieboudieune » avec la cuillère. Non, chers cousins à plaisanterie, c’est avec la main qu’il faut le faire. S’il vous plaît, pas les deux mains. Seulement, la main droite. Qu’il vous plaise, en respectant les rites, de retourner à ce plat mythique tout le sérieux qu’a demandé sa préparation. L’on doit être maître dans l’art de manger du « thieboudieune ».
A la main, de préférence
Il faut, d’abord, se laver proprement les deux mains. Mais, pas jusqu’aux coudes, chers cousins à plaisanterie. Ensuite, on s’essuie les mains. Et l’on attend la cuisinière arroser le plat avec du « niekh » (sauce relevée de tamarin). C’est après cela que le chef de famille, avec un retentissant « Bissimilah », donne le coup d’envoi. Alors, commencent les choses sérieuses. On plonge la main pour « convoquer » le gratin (khogne », les différents légumes, le cymbium et le poisson avant de rouler le tout, avec du riz, en boule (dank). Mettez dans la bouche et mâchez tout doucement. Quelle sensation exquise dans votre palais ! La succulence de cette bouchée nourrit votre fierté d’appartenir au peuple sénégalais qui a fait du « thieboudieune » une marque déposée. Ce mets est l’expression même du savoir-faire de la femme sénégalaise, elle-même subtile, raffinée, douce et. savoureuse. Gloire à cette dame qui fait le marché. De retour à la maison, elle écaille et coupe le poisson, prépare la farce (roof) en pilant dans un petit mortier (toukh) oignons, persil, ail, piment, poivre, le tout assaisonné de sel.
Elle pique chaque morceau de poisson et introduit du « roof ». Dans une marmite, l’huile est en train de chauffer. Elle y verse des oignons coupés en petits morceaux, la tomate concentrée délayée dans un peu d’eau et porte à ébullition. Quelques minutes après, elle ajoute les légumes déjà épluchés entiers ou coupés selon leur grosseur, ainsi que le poisson séché et le cymbium. Elle recouvre d’eau, met du sel, du piment et laisse mijoter à couvert pendant des minutes. C’est ensuite qu’elle ajoute le poisson frais et laisse continuer la cuisson à feu doux. Voilà l’essentiel.
Plus tard, c’est sur une table dans un salon, une natte dans la cour d’une concession ou à l’intérieur d’un restaurant que le mets est présenté. Une merveille ! Le plat est richement décoré. On ne se fait pas prier. En effet, le « thieboudieune » exerce un attrait sur son connaisseur. Et vite, il se lave les mains et mange. Son appréciation : « C’est bon ! C’est même très bon ! ». Sa préparatrice est souvent fière et ravie d’avoir réussi un bon plat. Devant un tel repas, servi par une ravissante créature de teint clair ou noir, voire café au lait, on se régale plus que de raison. Et last but not least, on se saisit du « mathiaat » (jus de cuisson dans la saucière). Là, s’il vous plaît, agitez délicatement la tête du poisson et dégustez ce qui en sort. Vous nous en direz des nouvelles.
C’est tout cela le « thieboudieune ». C’est une gourmandise accompagnée d’un rite immuable (manger à la main) que tend à changer une modernité qui n’a pas sa place ici. C’est donc une culture, un art, un mode de vie. D’ailleurs, nombreux sont les chefs de familles qui exigent ce plat à chaque déjeuner. Et ces « borom kër » (époux) gavés par l’auteure d’un « thieboudieune » à la Penda Mbaye prononcent un retentissant « diaraw lak » (merci de tout cœur) pour marquer leur appréciation. Et la maîtresse des céans, tout heureuse et sourire aux lèvres, souhaite à l’homme repu un « na rees ak diam » (bonne digestion).

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