Ali Bathily, directeur général de la société sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (Sodav) «PAS BESOIN DE FAIRE DES QUETES POUR LES ARTISTES SI…»

21 - Avril - 2018

Les artistes peuvent vivre de leur art. Il suffit juste de leur payer leurs droits. C’est la conviction du directeur général de la société sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins, Ali Bathily. Dans cet entretien accordé à Sud Quotidien, il est également revenu les sanctions prévues par loi sénégalaise contre la contrefaçon, tout en déplorant le fait que plusieurs radiodiffuseurs et télédiffuseurs ne paient pas les droits d’auteurs.

Quelle est la différence entre la piraterie et la contrefaçon ?

Le terme juridique consacré par le législateur sénégalais à travers la loi 2008-09 sur les droits d’auteurs et les droits voisins est la contrefaçon. Mais effectivement dans le langage populaire, on l’appelle piraterie. Mais dans les textes internationaux aussi, le terme consacré, c’est la contrefaçon. Vous ne verrez dans aucun texte international, le terme piraterie. Vous ne verrez que le terme contrefaçon. Toutefois, il y’a des législations que certains pays voisins dans les termes, on retrouve deux notions : piraterie et contrefaçon. Je veux parler de la loi du Niger et de celle du Burkina Faso dans lesquelles on retrouve deux niveaux de contrefaçon. Quand la contrefaçon est à l’échelle industrielle, eux, ils parlent de piraterie. Quand, c’est à une échelle moyenne, ils utilisent le terme contrefaçon. Mais au Sénégal, le terme utilisé, le terme reconnu par la loi, c’est la contrefaçon. Dans les décisions de justice, vous ne verrez pas le terme piraterie, vous verrez le terme contrefaçon.

Restons alors sur le terme contrefaçon. Qu’est ce que prévoit la loi au Sénégal ?

La loi a prévu énormément de choses en matière de contrefaçon. Il faut d’abord que je rappelle les sources même des dispositions internes de la loi sénégalaise en la matière. Il s’agit des standards, des prescriptions faites par l’accord signé par l’aspect des droits de la propriété intellectuelle et l’accord de l’Organisation mondiale de commerce (Omc). Il donne des standards très précis en matière de lutte contre la contrefaçon. D’abord, la loi au Sénégal a augmenté le niveau de sanctions en matière de contrefaçon aussi bien au plan juridique qu’au plan pénal. Dans le cadre de la lutte contre la contrefaçon, même au niveau des frontières c’est-à-dire à l’importation, sur la seule base d’un soupçon, la loi sénégalaise sur les droits d’auteur et les droits voisins donnent la possibilité aux services compétents de stopper, d’empêcher l’introduction de marchandises soupçonnées contrefaisantes dans les circuits commerciaux le temps de permettre au juge de faire une investigation, de voir si effectivement ces soupçons sont avérés ou non. Si c’est un sénégalais qui demande ça, il n’y a aucune caution comme on le dit dans le langage populaire qui lui est demandée. Si c’est un étranger qui lui en fait la demande, c’est assujetti au dépôt d’une caution au cas où ces soupçons ne seraient pas avérés parce qu’aussi, il faut comprendre que cela risque de causer préjudice à la personne qui était soupçonnée alors qu’elle était innocente. Ça va servir à la dédommager. La contrefaçon, ce n’est pas uniquement le fait de reproduire ou dupliquer des Cd, un radiodiffuseur qui utilise des œuvres musicales, littéraires ou artistiques en refusant de payer le droit d’auteur qui est considéré comme un contre facteur. La contrefaçon de manière générale, c’est le fait d’exploiter un droit de propriété intellectuelle sans autorisation du propriétaire, des services compétents. Par rapport à la particularité de ce que nous faisons, la loi nous permet de visiter tous les lieux qui utilisent le répertoire protégé à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Ce qui est une disposition spéciale reconnue dans certains cas spécifiques. La loi sénégalaise comporte de nombreuses dispositions qui facilitent et favorisent la lutte contre la contrefaçon.
Et maintenant quand des œuvres supposées contrefaisantes ont été saisies, le juge peut ordonner leur incinération.

Pourtant la loi réprime la contrefaçon mais elle est de plus en plus fréquente au su et au vu de tout le monde avec notamment les téléchargements de films, etc. A votre avis, qu’est ce qui fait qu’on n’arrive pas à y mettre un terme ?

La contrefaçon est comme le vol, le crime. Zéro contrefaçon, moi je ne pense pas qu’une personne puisse s’attarder à le dire. C’est vrai que la contrefaçon commence à changer. Le paradigme économique a changé. Autrefois, c’était sur les supports, les reproductions, maintenant on en voit mais ce n’est plus comme avant parce que les gens ne les utilisent presque plus. Maintenant, ça change de cas, c’est dans les téléchargements. A ce niveau également, il y’a des actions qui sont en train d’être faites. La Gendarmerie nationale avait fait une action dans la lutte contre la contrefaçon il y’a de cela deux mois à peu près. Beaucoup d’appareils et d’ordinateurs ont été saisis. Il y’a la Brigade nationale de lutte contre la contrefaçon et de la piraterie qui effectivement participe à la lutte contre la contrefaçon et qui est à la charge aussi de toutes les formes de police et de gendarmerie. Il ne faut pas oublier que ces œuvres d’esprit appartiennent à des personnes dont les biens doivent être protégés, c’est-à-dire les titulaires de droit qui sont des citoyens comme les autres. Ce n’est pas parce que les autorités ou les structures concernées par la protection du droit et de la propriété intellectuelle ont baissé les bras mais c’est toujours le combat du bien contre le mal. Il y’en a des gens qui font la contrefaçon par parfaite connaissance, il y’en a d’autres qui le font par ignorance mais je pense qu’aussi que l’ignorance ne peut pas justifier qu’on doit se taper un bénéfice faramineux sans rien investir. Celui qui a la notion la plus minimale en matière de business, de commerce doit savoir que si on peut se permettre de faire des bénéfices pour un investissement nul, on n’est pas dans la légalité.

La contrefaçon semble être une gangrène pour les artistes. Pour autant, certains d’entre eux ne se plaignent pas. Au contraire, ils soutiennent que c’est grâce à la contrefaçon qu’ils sont davantage connus. Qu’est ce qui explique cela ?

Au Sénégal, je prends le cas des radiodiffuseurs, des télédiffuseurs, presque c’est un tout petit nombre qui s’acquitte des redevances ou bien qui s’acquittent normalement. Ça c’est une contrefaçon. La contrefaçon, ce n’est pas le gosse seulement qui est au coin de la rue avec des supports Cd, ce n’est pas seulement celui qui est au marché Sandaga avec un ordinateur mais c’est les propriétaires de télés, de radios qui diffusent les œuvres et qui refusent de payer les droits d’auteur à la Sodav pour que ces droits soient retournés aux artistes. C’est la contrefaçon qui affaiblit le pouvoir économique des artistes, qui les met dans une situation de précarité mais il faut qu’on s’accorde sur le fait que la contrefaçon, ce n’est pas uniquement sur la base de reproductions contrefaisants, ce n’est pas uniquement sur la base des rechargements à l’unité, non. Si le télédiffuseur, si les radiodiffuseurs payaient, ce serait vraiment un bénéfice faramineux de la même manière que le propriétaire de cyber qui exploite les œuvres en ligne.

Est-ce que n’est pas la cherté des Cd ou autres productions dans un pays comme le Sénégal qui fait que la piraterie persiste toujours ?

C’est un faux prétexte parce que moi je vois que les gens achètent des produits qui demandent moins plus d’investissement. Après que l’artiste a fait sa création, c’est une autre personne qui va prendre ses économies aussi pour les investir. Il faut que lui, il obtienne un retour sur investissement, que l’artiste obtienne un retour sur investissement. Il y’a toute une chaîne et comparez le prix des Cd au prix des autres artifices que les gens achètent qui demandent moins d’investissements parfois. Ce n’est pas cher aux yeux des gens mais c’est cher le fait d’acheter un Cd aux yeux des gens. Je pense que c’est plutôt dans les habitudes de consommation. Il faut que les gens acceptent que ces produits-là qui nous font rêver, évader, qui nous instruisent également, méritent qu’on rémunère ceux qui, économiquement, s’investissent pour cela, ceux qui de par leur talent, s’investissent par cela, ceux qui de par leur créativité, s’investissent à l’existence de tels produits. Au Sénégal, nous avons l’habitude, quand un artiste est malade, tout le monde dit «ndeyssan». Ces gens-là, ils n’ont pas besoin de pitié. Ils ont juste besoin de leurs droits parce que ce sont leurs droits qui leur font vivre. Si on leur donnait leurs droits, on n’aurait pas besoin de faire de quêtes pour ces gens-là.

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