Aly Ngouille, Ismaïla Madior et les «Sages» : les guillotineurs de Karim Wade

23 - Janvier - 2019

Depuis 2012, on a exhumé des juridictions obsolètes, instrumentalisé toutes les juridictions ainsi que l’Assemblée nationale et mobilisé les services financiers de l’Etat pour éliminer Karim Wade, un potentiel candidat à la prochaine présidentielle.

On se demande ce qui explique cette frilosité qui fait perdre la raison à l’Etat au point de ridiculiser notre pays devant toutes les juridictions internationales. En tout cas, les bras armés du Président Macky Sall sont arrivés à leurs fins : éliminer Karim Wade, candidat à la présidentielle. Le coup de grâce à été porté par les prétendus « sages » du Conseil constitutionnel. Depuis que Karim Wade a été jugé par la CREI et incarcéré, la problématique de ses droits civiques, celle surtout de son éligibilité, n’a cessé d’alimenter les débats médiatico-politiques.

En effet si, au sein de la majorité, on colporte en tout lieu et en toute occurrence que le fils du 3e président de la République du Sénégal n’est pas éligible, du côté du Parti démocratique sénégalais (Pds), on soutient mordicus avec force arguments qu’aucune loi de ce pays ne l’empêche d’être candidat à quelque élection que ce soit. Hélas, il est clair que le président Macky Sall ne veut point d’une candidature du PDS portée par Karim Wade. Si ce dernier a été appréhendé et embastillé le 15 avril 2013, jugé, condamné le 23 mars 2014, libéré et gracié le 24 juin 2016, il demeure que sa situation en liberté surveillée à Doha n’envie en rien sa détention à Dakar. Du côté du pouvoir, les arguties juridiques fusaient pêle-mêle au point que le Conseil constitutionnel a éliminé en définitive le candidat du PDS. Concernant Karim Wade, l’ancien Garde des Sceaux, Me Sidiki Kaba, avait pourtant, lors d’une conférence de presse organisée après sa condamnation déclaré qu’il « n’a perdu aucun de ses droits civils, civiques et de famille ; par conséquent, il est électeur et éligible. » En cela, le ministre a raison puisqu’il faut que la mention figure expressément sur la décision de justice pour que le condamné perde ses droits civiques. « Les tribunaux ne prononceront l’interdiction mentionnée dans l’article précédent que lorsqu’elle aura été autorisée ou ordonnée par une disposition particulière de la loi » dit l’article 35 du Code pénal. Et puisqu’aucune disposition de la loi 81-53 du 10 juillet 1981 relative à la répression de l’enrichissement illicite n’interdit l’exercice des droits civiques pour le délit 163 du Code pénal, Wade fils conserve entièrement ses droits civiques.

Malheureusement, du côté, du palais présidentiel, les faucons, se fondant sur l’article 31 du Code électoral, ont toujours soutenu que Karim Wade n’est pas éligible du fait de sa condamnation à plus de cinq ans ferme. Mais si on y regarde de près, aucun point de cet article n’empêche Karim Wade d’être inscrit sur les listes électorales.

Selon L31, ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale : les individus condamnés pour crime ; ceux condamnés à une peine d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée supérieure à un mois, assortie ou non d’une amende, pour l’un des délits suivants : vol, escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d’influence, contrefaçon et en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq (05) ans d’emprisonnement ; ceux condamnés à plus de trois (03) mois d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à six (6) mois avec sursis, pour un délit autre que ceux énumérés au deuxièmement ci-dessus sous réserve des dispositions de l’article L30 ; ceux qui sont en état de contumace ; les faillis non réhabilités dont la faillite a été déclarée soit par les tribunaux sénégalais, soit par un jugement rendu à l’étranger et exécutoire au Sénégal ; ceux contre qui l’interdiction du droit de voter a été prononcée par une juridiction pénale de droit commun ; les incapables majeurs. L’un dans l’autre, Karim Wade n’est concerné par aucun de ces délits puisqu’il a été condamné sur la base du délit d’enrichissement illicite.

Mais il est clair qu’une telle disposition ne dirime pas l’éligibilité d’un candidat mais empêche le vote à l’électeur frappé de la condamnation sus-évoquée. En sus, les partisans de Macky Sall brandissent l’article L.57 du code électoral modifié qui dispose que « tout Sénégalais Electeur (ndlr, c’est nous qui soulignons) peut faire acte de candidature et être élu, sous réserve des conditions d’âge et des cas d’incapacité ou d’inéligibilité prévus par la loi ».

Pourtant l’article L.115 qui fixe les conditions pour être candidat à l’élection présidentielle n’arrime pas la recevabilité de la candidature au fait d’être électeur inscrit. voici ce que dit l’article L115 du code électoral sur le dépôt de la candidature à la présidence de la République. Toute candidature doit comporter : les prénoms, nom, date, lieu de naissance et filiation du candidat ; la mention que le candidat est de nationalité sénégalaise et qu’il jouit de ses droits civils et de ses droits politiques, conformément aux dispositions du titre premier du Code électoral ; N° de carte d’électeur.

Cet alinéa (N° de carte d’électeur) a été volontairement et illégalement inséré pour « plomber » la candidature de Karim Wade la mention que le candidat a reçu l’investiture d’un parti politique légalement constitué ou d’une coalition de partis politiques légalement constitués, ou se présente en candidat indépendant ; la photo et la couleur choisie pour l’impression des bulletins de vote et éventuellement le symbole et le sigle qui doivent y figurer ; la signature du candidat. Last but least, notre charte fondamentale en son article 28 précise expressément les conditions d’éligibilité à une présidentielle : « Tout candidat à la présidence de la République doit être de nationalité exclusivement sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques ; être âgé de 35 ans au moins et de 75 ans tout au plus. Il doit savoir écrire, lire et parler couramment la langue française ». C’est pourtant sur la base de cet article que Karim Wade a été injustement disqualifié par le Conseil constitutionnel au mépris absolu de la loi fondamentale.

Ali Ngouille, Madior et les sages» en service commandé Aujourd’hui il est clair que le ministre de l’Intérieur, son collègue en charge de la Justice et le Secrétaire général du gouvernement étaient les personnes désignées qui devaient décider urbi et orbi l’inéligibilité de Karim Wade en dehors des juridictions compétentes. Si Seydou Guèye déclare, au micro de RFI le 31 juillet 2018, qu’à chaque échéance la Cour d’appel envoie la liste des personnes qui ne sont pas habilitées à figurer sur le fichier électoral et que, dans ce cas de figure, monsieur Karim Wade fait partie du lot des 5 000 et quelques personnes qui ne remplissent pas les critères pour être électeurs ou éligibles, il n’a jamais été établi que le greffe de la Cour d’Appel de Dakar, sur la base de l’article 730 du Code de procédure pénale, ait adressé à l’autorité chargée d’établir les listes électorales « une fiche constatant une décision entraînant la privation des droits électoraux » de Karim Wade.

Pourtant Ali Ngouille Ndiaye, via la Direction générale des élections (DGE), a rejeté de manière illégale l’inscription de Karim Wade sur les listes électorales sans que cela n’émane du greffe compétent. Il a été opposé à Karim Wade, l’article L31 du code électoral. D’ailleurs, les avocats du fils de l’ancien président de la République avaient saisi le tribunal d’instance hors-classe de Dakar mais son président s’est déclaré incompétent dans le contentieux des inscriptions sur les listes électorales opposant Karim Wade au ministère de l’Intérieur chargé des élections. La Cour suprême avait été saisie en cassation contre l’ordonnance numéro 470 du 23 juillet 2018 de Mme Aïssatou Diallo Bâ, présidente du tribunal d’instance hors classe de Dakar. Laquelle s’était déclarée incompétente pour examiner le rejet arbitraire, sans fondement juridique, de l’inscription de Karim sur les listes électorales par la DGE. La Cour suprême, donc, a rejeté le pourvoi donnant ainsi raison aux services du ministère de l’Intérieur.

Or si, comme l’a soutenu Seydou Guèye, la Cour d’appel avait notifié l’interdiction d’inscrire Karim Wade sur les listes électorales, point ne serait besoin pour ses avocats de recourir aux deux juridictions susnommées. Ce qui veut dire qu’Ali Ngouille s’est substitué à la loi pour exécuter une décision du Prince. Lequel veut vaille que vaille le fils de son prédécesseur soit disqualifié aux prochaines joutes présidentielles. Le Garde des Sceaux, lors de son passage à l’Assemblée nationale le 29 dernier, a déclaré devant les députés que « Karim Wade condamné à une peine de six ans ne peut pas faire acte de candidature à la présidentielle ». Or, encore une fois, rien ne le lui interdit si on se fonde aux lois électorales de notre pays. Aujourd’hui, le pouvoir a tendance, sur la base des articles 31 et 57 du Code électoral, à empêcher la candidature de KW en entretenant confusément les notions de droit de vote et éligibilité d’un citoyen.

Si l’article L31 du code électoral interdit à tout condamné sur la base d’un de ses alinéas de voter, il n’empêche pas le citoyen remplissant les critères de l’article L115 et renforcé par la Loi fondamentale en son article 28 de présenter sa candidature à une présidentielle s’il le désire. Aujourd’hui, Ali Ngouille évoque railleusement que sur la carte d’identité de Karim, il est bien mentionné « Ne s’est pas inscrit sur les listes électorales » avant de lui dénier le droit d’être électeur sur la base de l’article L57 du code électoral qui stipule que « seuls les Sénégalais électeurs peuvent faire acte de candidature et être élus sous réserve des conditions d’âge et des cas d’incapacité ou d’inéligibilité prévus par la loi ». Hélas pour le ministre de l’Intérieur, une telle disposition ne résiste pas à l’article 3, alinéa Iv de la Constitution du Sénégal et repris par L 27 du code électoral qui dit que « sont électeurs les Sénégalais des deux sexes, âgés de dix-huit (18) ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi ».

Par conséquent, d’un point de vue de la loi constitutionnelle, qui est au-dessus de toutes les autres, l’électeur ou le candidat peut ne pas être inscrit. Rien ne lie le fait de voter au fait de pouvoir être élu. L’électeur potentiel (non inscrit et étant en conformité avec la loi) est l’individu qui, juridiquement, peut être autorisé à participer à un vote. Mais il acquiert son statut d’électeur effectif en s’étant inscrit sur les listes électorales. Le terme de corps électoral recouvre deux entités distinctes : l’électorat potentiel, c’est-à-dire l’ensemble des personnes remplissant les conditions pour figurer sur les listes électorales et l’électorat inscrit qui comprend les personnes figurant sur les listes électorales. Par conséquent, Karim Wade, non privé de ses droits civiques et n’étant pas sous le coup d’une condamnation privative de son droit électoral, est éligible même s’il n’est pas électeur inscrit.

Et si on analyse cette mention « Ne s’est pas inscrit sur les listes électorales » sur la carte de Karim Wade, on se demande si, maintenant au Sénégal, il y a des lois intuitu personae c’est-à-dire personnalisées et temporalisées. La loi est impersonnelle et il est illégal et discriminatoire que l’on mentionne des mesures d’exclusion sur la carte d’identité d’une personne tout simplement pour attester son inéligibilité. Ainsi l’objectif est atteint par Macky Sall. Ses cours, son Conseil constitutionnel et toute sa valetaille politique et judiciaire ont accompli leur sale mission : éliminer le candidat du PDS qui pourrait compromettre sa réélection.

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