Ces hauts magistrats que Macky maintient illégalement

17 - Octobre - 2018

Dans les démocraties tropicalisées, les exécutifs ne manquent jamais de pousser des hommes de loi à être les premiers violeurs des mêmes lois qu’ils sont censés faire appliquer - C’est ce qui se passe avec le président Macky Sall.

Le respect des institutions — de la loi, de manière générale — n’est plus de mise dans ce pays. On reprochait au président Abdoulaye Wade de fouler au pied les principes qui fondent la légitimité de nos institutions. Et si Macky Sall a eu massivement la confiance des Sénégalais en mars 2012, c’était certes pour améliorer le quotidien des Sénégalais dégradé par une gestion catastrophiques des ressources publiques mais cela avait surtout pour but de redorer le blason des institutions terni par un je-m’en-foutisme arrogant de Wade et de ses collaborateurs. Hélas, trois fois hélas, l’on s’est vite rendu compte peu de temps après l’installation du président Macky Sall à la présidence de la République, que les Sénégalais avaient choisi la peste à la place du choléra. Car en matière de respect des institutions comme dans bien d’autres domaines, l’actuel président fait très souvent bien pire que son prédécesseur !

Si aujourd’hui, en dépit des efforts consentis dans plusieurs domaines, le peuple sénégalais a tourné le dos au président Sall, c’est parce que, dans ce domaine de la préservation de la sacralité de nos institutions en particulier, il a lamentablement échoué. Nous ne reviendrons pas sur l’assujettissement de la justice à l’exécutif, n’évoquerons pas la manipulation du Conseil constitutionnel par le chef de l’Exécutif. Un Conseil constitutionnel qui s’est substitué de manière illégale au code électoral pour donner un blanc-seing au pouvoir exécutif et permettre de voter avec des récépissés ou des ordres de missions frauduleux. Sans donc insister outre mesure sur les graves dérives évoquées ci-dessus, il nous paraît important de procéder à un rappel des principes fondamentaux de la vie démocratique. Parmi ces principes, le respect de la loi. Or, aujourd’hui, l’on se rend compte que certaines institutions de la République continuent d’être dirigées par des magistrats dont les mandats sont arrivés à terme depuis fort longtemps. Et puisque ces institutions jouent un rôle central dans le jeu électoral, il y a lieu de se conformer à la loi si l’on veut préserver le Sénégal d’élections troubles et violentes.

Malick Diop et Mamadou Sy illégalement maintenus au Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel, qui est entre autres attributions, le juge électoral compte parmi ses sept membres deux dont les mandats sont arrivés à expiration depuis juillet et août dernier.

En effet, la Loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel en son article 3 stipule que « le Conseil constitutionnel comprend sept membres nommés par décret pour six ans non renouvelables». Mais si l’on regarde les cas de deux « sages » Malick Diop qui a remplacé Siricondy Diallo et Mamadou Sy qui a pris la place de feu Chimère Malick Diouf, l’on ne peut s’empêcher de dire que ces derniers siègent illégalement au Conseil constitutionnel puisqu’il ont accompli intégralement leurs six ans alors qu’aucun décret ne peut proroger leur mandat. Pour le cas de Malick Diop, certains soutiennent que sa proximité avec le président est le gage de son maintien illégal au sein de la plus haute juridiction de ce pays. De 2003 à 2005, il a été directeur de cabinet de Macky Sall, alors ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales et ensuite Premier ministre.

Il a quitté ce poste pour intégrer le corps des Inspecteurs généraux d’Etat et finit par intégrer, fin 2008-début 2009, le cabinet du président de la République Wade comme ministre conseiller chargé des affaires juridiques. Il est maintenu à ce poste à l’accession de Macky Sall à la présidence de la République avant sa nomination au Conseil constitutionnel par décret le 7 juillet 2012. Maintenir une telle personne contre vents et marées constitue pour le président Sall une soupape de sécurité pour s’assurer une victoire électorale.

Et faire confirmer la disqualification de ses principaux rivaux à la prochaine présidentielle ! Il est vrai que Malick Diop n’a pas à lui seul les prérogatives pour faire gagner Macky Sall mais, en tant qu’homme lige dont tous ses collègues « Sages » savent qu’il a l’oreille du président de la République, il peut grandement influencer les décisions prises au sein de ce cénacle. L’autre « Sage » dont le maintien au sein du Conseil constitutionnel est source de polémique, de controverse et de dénonciation est Mamadou Sy.

La nomination de ce dernier magistrat au sein de cette institution, en août 2012, avait mis très mal à l’aise quelques-uns de ses collègues. Car, sous l’ère Wade, ce dernier a siégé au Conseil constitutionnel de 2002 à 2006 en remplacement d’Abdoul Aziz Bâ, avant d’aller à la retraite. En 2006, il a été remplacé par Chimère Malick Diouf. Il reviendra au sein de cette institution en remplaçant son remplaçant Chimère Malick Diouf en août 2012 !

A l’époque de sa dernière nomination, certains magistrats n’avaient pas manqué de grincer des dents pour manifester leur indignation par rapport à ce retour en zone. Aujourd’hui, bien que son mandat ait expiré, le bienheureux Mamadou Sy s’accroche à son siège au Conseil constitutionnel malgré les dénonciations et les indignations de l’opposition, de la société civile et de tous les Sénégalais épris de démocratie.

Le papy Doudou Ndir, les prolongations !

Mais Malick Diop et Mamadou Sy sont des nains devant Doudou Ndir, président de la Cena. Nommé par décret n° 2009-1431 en date du 24 décembre 2009 pour un mandat de six ans non renouvelable, Doudou Ndir, magistrat à la retraite qui a succédé à la tête de la Cena à Moustapha Touré, devait céder sa place depuis 2015. Selon l’article 7 de la loi instituant le Cena, « ses membres sont nommés pour un mandat de six ans renouvelable par tiers tous les trois ans».

Mais depuis le 24 décembre 2009, Doudou Ndir est nommé par décret n° 2009-1431 à la tête de la Cena en remplacement de Moustapha Touré contraint à la démission par l’alors président Abdoulaye Wade.

Ainsi depuis janvier 2015, Doudou Ndir devait céder son fauteuil à un autre mais, pour des raisons que tout le monde connait, Macky Sall l’a maintenu à la tête de l’institution de régulation des élections. Et certainement le sabotage des élections législatives de juillet 2017 qui a favorisé la victoire de Bennoo Bokk Yaakaar lui vaut aujourd’hui le pretium doloris de son maintien à la tête de l’institution chargée de garantir la transparence et le bon déroulement des élections.

Aux dernières élections, plus de 900 000 électeurs n’ont pas reçu leurs cartes pour pouvoir voter. L’usage massif des récépissés et des faux ordres de mission avait été le point d’orgue de cette forfaiture permise par le Conseil constitutionnel sous l’œil complice de la Cena. Pourtant, quand le Témoin avait dénoncé quelques jours avant les élections cette menace qui pesait sur le vote d’un million de Sénégalais, Doudou Ndir avait utilisé la RTS, notamment la Télévision nationale, comme tribune pour « démentir » notre information.

Ce qui n’a pas empêché l’instance, dans son rapport post-électoral, de faire état de ces 900 000 Sénégalais (chiffre que la Cena a amenuisé volontairement) qui n’ont pas reçu leurs cartes d’identité. Aujourd’hui, les acteurs de l’opposition ne manquent pas de dénoncer urbi et orbi le maintien illégal de Doudou Ndir à la tête de la Cena. Ils considèrent que le président Macky Sall veut continuer le sale boulot déjà effectué aux législatives et cela avec la complicité de l’actuel président de la Cena.

D’ailleurs, dans une récente édition du journal Sud Quotidien, Magatte Sy, chargé des élections au Parti démocratique sénégalais(Pds) déclarait que«le maintien de Doudou Ndir est une preuve que la Cena est un organe au service du chef de l’Etat». Pour le responsable libéral, « le maintien de Doudou Ndir à son poste de président de la Cena après l’expiration de son mandat traduit à juste titre, à mon avis, la conception de la démocratie chez le président Macky Sall ».

Et d’ajouter que « le Président accorde peu de crédit au respect des principes démocratiques et depuis qu’il est à la tête de l’Etat, il fait tout son possible pour mettre à terre les institutions et les organes chargés de veiller au respect de l’Etat de droit au Sénégal ». Ass Babacar Guèye, chargé des élections au Rewmi, abondait dans le même sens au sein du même quotidien. Pour lui, « Doudou Ndir est en train d’être récompensé par rapport à son double jeu lors des législatives du 30 juillet 2017 ».

Et à travers les propos de ces responsables de l’opposition, on pressent les germes d’un contentieux pré-électoral qui peut déboucher sur des situations d’extrême violence. A moins que le président Sall ne se conforme à la loi en changeant tous ces magistrats maintenus illégalement au sein du Conseil constitutionnel et de la Cena.

On peut considérer que la prolongation de Mamadou Badio Camara à la tête de la Cour suprême s’inscrit dans la même dynamique. En effet, Badio Camara a été maintenu à son poste alors qu’il devait faire valoir ses droits à une pension de retraite depuis le 9 avril 2017. Pour certains membres de l’opposition, « son maintien à la tête de la Cour suprême concourt à aider son actuel bienfaiteur à gagner la prochaine présidentielle ».

Aujourd’hui tous ceux-là qui violent la loi par leur maintien illégal au sein ou à la tête de ces institutions sont des magistrats donc imbus des règles de droit qui doivent assurer la stabilité sociale et le bon fonctionnement de la démocratie. Mais dans les démocraties tropicalisées, les exécutifs ne manquent jamais, par les moyens dont ils disposent, de pousser des hommes de loi à être les premiers violeurs des mêmes lois qu’ils sont censés faire appliquer. Et malheureusement, c’est ce qui se passe avec le président Macky Sall.

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