Culture mandingue et patrimoine immatériel culturel QUAND LE KANKOURANG «PERD» SA VALEUR

13 - Septembre - 2018

Le kankourang est de nos jours banalisé voire jeté aux oubliettes. Ce rite connu dans la société mandingue incarnait jadis le respect, l’autorité et… la peur. L’urbanisation et la modernisation de nos sociétés semblent être les principales raisons qui font qu’aujourd’hui les jeunes voient plus le kankourang que comme un moyen de se divertir et de céder aux tentations.

C’est devenu un rituel à Mbour. Chaque année, un spectacle unissant chansons, danses, cris en matière de cérémonie d’initiation est organisé dans la ville. Ce génie protecteur qu’est le kankourang aurait ses origines en Guinée-Bissau. Il serait l’œuvre des anciens pour faire face aux mauvais esprits qui s’attaqueraient aux nouveaux initiés.
Originaire de la Casamance, cet étudiant à l’Ucad du nom d’Ousmane Diémé nous plonge dans l’histoire du kankourang. « Le kankourang est un rite initiatique pratiqué dans les provinces mandingues du Sénégal et de la Gambie, correspondant à la Casamance et dans la ville de Mbour.

Le personnage principal du kankourang est un initié qui porte un masque fait d’écorce et fibres rouges d’un arbre appelé « faara », il est vêtu de feuilles et son corps est peint en teintures végétales. Il est associé aux cérémonies de circoncision et aux rites initiatiques », nous explique Ousmane Diémé. Il ajoute que l’apparition du kankourang est marquée par une série d’étapes rituelles. « Il s’agit de la désignation de l’initier qui portera le masque et son investiture par les anciens, sa retraite dans la forêt avec les initiés, les veillées et processions dans le hameau des nouveaux initiés », confie l’étudiant. Des rites qui se font en général entre le mois d’août et de septembre. Dans l’histoire du kankourang, Ousmane Diémé nous fait aussi savoir qu’il parade toujours « entouré d’anciens initiés et des villageois qui suivent avec respect ses faits et gestes et l’accompagnent de leurs chants et danses. Ses apparitions sont ponctuées d’une danse saccadée qu’il exécute en maniant deux coupe-coupe et en moussant des cris stridents ». En plus de cela, le kankourang, nous explique Ousmane Diémé, est à la fois le « garant de l’ordre et de la justice, et l’exorciste des mauvais esprits » sans aussi oublier qu’il assure la « transmission et l’enseignement d’un ensemble complexe de savoir-faire et pratiques qui constituent le fondement de l’identité culturelle mandingue ».

Moyen de divertissement

Même si le kankourang est un rituel qui s’est étendu à d’autres communautés et qui est aussi l’occasion pour les jeunes circoncis d’apprendre les règles de comportements qui garantissent la cohésion du groupe les secrets des plantes et leur vertus médicinales ou des techniques de chasse, de nos jours, il ne semble plus vu comme tel. Sa tradition connait un grand recul sans doute. L’urbanisation de la plupart des régions du Sénégal et la réduction des surfaces des forêts sacrées transformées en terrains agricoles sont passées par là. Le rituel s’en trouve banalisé, minant l’autorité du kankourang.

Toutefois, dans quelques villages de la Casamance, le kankourang garde toujours son influence ou son autorité. En revanche, dans le milieu urbain, comme Ziguinchor, les jeunes le voyant plus comme un moyen de divertissement en ont abusé au point qu’il a été demandé un permis pour la sortie d’un kankourang. Ce qui fait que pendant l’année 2016-2017, le kankourang a été interdit par la police dans toute la commune de Ziguinchor.

Fadel Aidara un jeune originaire de Ziguinchor soutient que la tradition du kankourang a perdu sa valeur. « Au début, il n’y avait que les mandingues qui connaissaient le kankourang mais maintenant plusieurs ethnies s’y mettent. Et je me rappelle qu’auparavant la femme ne devait en aucun cas voir le kankourang. Ce qui est surprenant aujourd’hui, c’est qu’elles ne fuient même pas devant ce dernier », souligne-t-il. Allant plus loin, il se pose même des questions. « Où va cette tradition si pour la sortie d’un kankourang, on a besoin d’un permis délivré par la police ? Où va cette tradition si les fondements qui le soutiennent n’y sont plus ? Où va cette tradition si on voit un kankourang qui fume ou qui se repose sous un arbre et se laisse filmer ?», s’interroge Fadel Aidara. Il faut dire que le kankourang qui est élevé au rang de patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’UNESCO, n’est plus ce qu’il a été même s’il continue d’exister.

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