Démission du juge Ibrahima Hamidou DEME de la magistrature "LA SOCIÉTÉ CIVILE S’INDIGNE"
Un an après avoir démissionné du Conseil supérieur de la magistrature (Csm), le juge Ibrahima Hamidou Dème, a publié une lettre avant-hier, lundi 26 mars, pour annoncer son départ de la magistrature. Une décision motivée, dit-il, par l’immixtion de l’exécutif dans le fonctionnement de la justice. Le juge Ibrahima Hamidou Dème renonce à sa fonction à quelques jours seulement du verdict du procès du maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall et co-accusés. Le président du Forum du justiciable, Babacar Ba et le Secrétaire général par intérim de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho), Sadikh Niass, expriment leur indignation par rapport à cette démission qui, trouvent-ils, porte atteinte à l’image de la justice.
BABACAR BA, PRESIDENT DU FORUM DU JUSTICIABLE : «C’est un signal fort qui devrait interpeller l’Etat et les magistrats»
Pour le président du Forum du justiciable, Babacar Ba, dès l’instant que le magistrat Ibrahima Hamidou Dème ne se retrouve plus dans le fonctionnement de la justice, il est très normal qu’il démissionne. « Si le magistrat Ibrahima Hamidou Dème ne s’identifie plus à une justice manipulée, instrumentalisée et qui roule à double vitesse, c’est son droit le plus absolu de démissionner», dit-il. Pour Babacar Ba, le départ d’Ibrahima Hamidou Dème de la magistrature est «un signal fort qui devrait interpeller non seulement les magistrats, mais également l’Etat pour qu’ils puissent faire de sorte que l’indépendance de la justice devienne une réalité». Selon le président du Forum du justiciable, il ne fait aucun doute que la justice est contrôlée par le pouvoir exécutif. «L’indépendance de la justice est toujours à l’état théorique. C’est ce qui avait motivé les magistrats du Sénégal à organiser un colloque pendant 2 jours en dé- cembre dernier. Si, aujourd’hui, l’Union des magistrats du Sé- négal elle-même organise un colloque pareil, c’est que l’indé- pendance de la justice pose problème. Non seulement nous avons une justice instrumentalisée, manipulée, mais le mal est encore beaucoup plus profond si on entend un Procureur dire que le parquet reçoit des instructions allant dans le sens de ne pas engager des poursuites». Un magistrat démissionnaire à cette période où le verdict du procès sur la Caisse d’avance de la mairie de Dakar est attendu devrait être apprécié à sa juste valeur ajoute, Babacar Ba. «Je crois à l’indépendance de la justice. Nous avons des magistrats dignes et intègres. Je pense que ces magistrats là peuvent relever le défi».
SADIKH NIASS, SECRETAIRE GENERAL PAR INTERIM DE LA RENCONTRE AFRICAINE POUR LA DEFENSE DES DROITS DE L’HOMME (RADDHO) : «On a toujours déploré l’immixtion de l’exécutif dans le pouvoir judiciaire»
La démission du juge Ibrahima Hamidou Dème dénote des inquiétudes que la société civile se faisait par rapport à l’indépendance de la justice, conclut le Secrétaire général par intérim de la Rencontre africaine pour la dé- fense des droits de l’homme (Raddho). «Au sein de la société civile, on a toujours déploré l’immixtion de l’exécutif dans le pouvoir judiciaire. Dans une République, il faut la séparation des trois pouvoirs. Les dernières assises de l’Union des magistrats du Sénégal qui avait formulé des recommandations allant dans le sens de réformer le Conseil supérieur de la magistrature pour y extirper la main du président de la République et celle du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, sont tout à fait opportunes». Sadikh Niass souhaite que le pré- sident de la République s’engage à réformer le Conseil supérieur de la magistrature, comme annoncé récemment par le Garde des sceaux, ministre de la Justice, Ismaela Madior Fall. «En tout cas, si l’on se fie à la dernière sortie du ministre de la Justice, disant que le président est ouvert à toute idée de réforme du Conseil supérieur de la magistrature, la recommandation de l’Ums me semble être acceptée. Nous attendons donc la maté- rialisation de cette demande afin que la justice soit le dernier rempart pour les personnes à qui on a violé leurs droits». Pour Sadikh Niass, même si la démission d’Ibrahima Hamidou Dème intervient à quelques jours de la décision du président Malick Lamotte dans le procès de la Caisse d’avance de la ville de Dakar, qui sera rendue le vendredi 30 mars prochain, aucun lien ne doit être établi entre les deux affaires. «La démission n’est pas liée au verdict du procès. Comme le juge Ibrahima Hamidou Dème l’a dit dans sa lettre de démission, il a des relations difficiles avec le Procureur général près la Cour d’appel. Et, ce sont des choses qui sont apparues au sein de la magistrature depuis longtemps et qui confirment qu’il y a une immixtion dans beaucoup de dossiers». Cependant pour le Secré- taire général par intérim de la Raddho, l’indépendance de la justice doit aussi relever de la responsabilité des magistrats euxmêmes. «Dans sa lettre, Ibrahima Dème demande à ses collègues magistrats de s’armer de courage et de prendre leurs responsabilités pour défendre leur corporation et aller vers une indépendance. Il ne sert à rien de donner une indépendance à quelqu’un qui ne veut pas l’être».