Dr Maurice Soudieck Dione sur le rejet du dialogue politique par Wade, Idy et Cie «L’OPPOSITION COMMET UNE ERREUR STRATEGIQUE...»

15 - Novembre - 2017

En rejetant la proposition de dialogue politique faite par le chef de l’Etat, Macky Sall, à travers son ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, l’opposition dite «radicale» serait en passe de commettre une erreur stratégique. C’est en substance ce que révèle le Docteur en Science politique, Maurice Soudieck Dione. L’enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, trouve que non seulement la «coalition Mankoo Taxawu Senegaal n’est ni adaptée ni opératoire par rapport à l’élection présidentielle de 2019», mais aussi que réclamer la libération de Khalifa Sall, tout comme la recevabilité de la candidature de Karim Wade en 2019, ne seraient simplement pas «réalistes». Dans cet entretien accordé à Sud quotidien, Dr Dione revient sur le pour et le contre, que ce soit pour l’opposition comme pour le pouvoir, d’un dialogue sans une bonne frange des acteurs politiques. Cela, non sans alerter sur ce qui risque de se passer si la présidentielle de 2019 est organisée dans des conditions qui ne garantissent pas la clarté et la fiabilité du jeu électoral.

Le rejet de l’opposition dite radicale du dialogue initié par le chef de l’État, Macky Sall, via son ministre de l’intérieur, ne peut-il pas être perçu comme une stratégie pour faire monter les enchères et obtenir certains préalables avant le dialogue?

Une telle lecture ne résiste pas à l’analyse. Car poser de tels préalables ne me semble pas pertinent. D’abord, pour les questions relatives à la fiabilisation du processus électoral, au respect des droits et libertés de l’opposition, à l’indépendance de la justice, et plus généralement au respect de l’État de droit. Ce sont des problématiques dont il faut discuter. Donc, il ne me semble pas raisonnable de poser comme préalables au dialogue, les solutions auxquelles le dialogue devrait aboutir ! En d’autres termes, il n’est pas logique de vouloir obtenir les finalités du dialogue tout en refusant de dialoguer !

En effet, il s’agit essentiellement de réformer la CENA (Commission électorale nationale autonome) qui a montré ses limites en se révélant plus comme un spectateur indolent qu’un acteur qui doit veiller à la régularité, à la transparence et à la sincérité des opérations électorales à toutes les phases du processus conformément au Code électoral, qui lui accorde des pouvoirs exorbitants pour remplir ses missions (articles L 5 et L 6 notamment). Le CNRA (Conseil national de régulation de l’audiovisuel) lui aussi n’est pas intervenu pour faire cesser les violations manifestes de la loi électorale pendant les élections législatives, notamment par rapport aux nombreux publireportages sur Internet et dans les médias privés, à la RTS de manière encore plus flagrante et tapageuse frisant la propagande, qui mettaient en scène le Président Sall alors qu’il n’était pas et ne pouvait pas être candidat à la députation (article 38 de la Constitution). Et alors même que la loi confère au CNRA la responsabilité d’y mettre fin (article L 61 alinéa 5 du Code électoral ; article 2 de la loi n° 2006-04 du 4 janvier 2006). Il s’agit également des curiosités juridiques surréalistes des «avis-décisions» du Conseil constitutionnel qui servent d’échappatoires au régime, et servent parfois de prétexte pour violer la loi, au mépris des principes de séparation et d’indépendance des pouvoirs et du parallélisme des formes, comme avec l’«avis-décision» n° 8/2017 du 26 juillet 2017 modifiant les articles L 53 et L 78 du Code électoral relativement aux documents de vote.

En effet, le juge en aucune manière ne peut se substituer au législateur, c’est la raison pour laquelle les arrêts de règlement sont interdits, car le rôle du juge n’est pas d’édicter des règles de portée générale, mais d’appliquer le droit à un litige donné qui oppose des parties ; et cette application doit être contextualisée et spécifiée par rapport aux circonstances de l’espèce. Il y a encore tous les multiples et graves dysfonctionnements notés lors des dernières élections législatives et qui ont consacré un recul démocratique de près de 20 ans, en nous ramenant aux élections locales tristement célèbres de 1996, organisées de manière chaotique. D’où la revendication légitime de l’opposition de revenir à cet usage salutaire de nommer une personnalité sans coloration partisane au ministère de l’Intérieur chargé d’organiser les élections, ou de le dessaisir au profit d’un nouveau ministère ou toute autre institution qui serait chargée de l’administration des élections. Mais toutes ces questions nécessitent une discussion pour trouver des réponses adéquates et consensuelles. Donc on ne saurait les poser comme prés-conditions au dialogue. D’autre part, il semble que les questions fondamentales qui sont soulevées sont d’ordre politico-judiciaire : la libération de Khalifa Sall et la levée de l’hypothèque qui pèse sur la candidature de Karim Wade censé défendre les couleurs du PDS.

Pour l’affaire Khalifa Sall, la machine judiciaire est mise en mouvement. Certes même si on peut soupçonner ou avancer des manipulations politiques concernant l’opportunité de poursuivre, il reste que les ruses contre le droit produisent toujours des rebonds du droit. En effet, le droit, par rapport à des logiques qui lui sont propres, secrète des contraintes que même les acteurs qui à l’origine l’ont instrumentalisé n’arrivent plus à contrôler ! Pour l’affaire Karim Wade, c’est pareil. Il a été condamné par la CREI (Cour de répression de l’enrichissement illicite), très controversée juridiction d’exception, sans que sa culpabilité n’ait été prouvée de manière indubitable, et après beaucoup de violations du droit et de ses droits. Il reste que cette affaire compromet sa carrière politique et déteint sur la compétition, car le PDS est le premier parti de l’opposition, si l’on s’en tient strictement à la représentativité électorale et parlementaire. Donc, le problème qui se pose plus généralement par rapport à ce refus de l’opposition significative de dialoguer me semble lié au respect de l’État de droit ; des droits et libertés des opposants. À force pour le régime de violer les droits et libertés et de privilégier l’unilatéralisme au détriment du consensus dans la conduite du processus électoral, on en est arrivé à une rupture de confiance entre les acteurs politiques.

Pensez-vous réellement que des partis politiques tels que le Pds, ou le Rewmi prendraient le risque de ne pas participer à des concertations politiques de cette envergure?

Ce sont des partis qui, en toute souveraineté, soit individuellement soit dans le cadre de coalition, peuvent accepter ou refuser de participer au dialogue politique. Certainement qu’en refusant, ils ont dû peser le pour et le contre avant de prendre leur décision. Mais il me semble que l’opposition commet une erreur stratégique en déclinant l’offre de dialoguer pour plusieurs raisons. D’abord, les cadres dans lesquels elle continue à évoluer sont inappropriés. En effet, la coalition Mankoo Taxawu Senegaal n’est ni adaptée ni opératoire par rapport à l’élection présidentielle de 2019. Car c’est une coalition qui compte plusieurs personnalités qui nourrissent toutes des ambitions présidentielles. Or, contrairement aux élections législatives où on élit plusieurs députés, pour l’élection présidentielle on élit un seul président.

Donc, les leaders qui sont au sein de Mankoo : Idrissa Seck, Khalifa Ababacar Sall, Malick Gackou, Cheikh Bamba Dièye etc., sont en principe en concurrence, sauf pour ceux parmi eux qui choisiront de se ranger derrière un autre candidat. En plus, continuer à réclamer la libération de Khalifa Sall entre les mains de la justice au point de refuser de négocier pour réformer le cadre juridique et institutionnel du jeu ne me semble pas réaliste. C’est pareil pour le PDS qui par-dessus tout est préoccupé par la question essentielle de la recevabilité de la candidature de Karim Wade en 2019. Ne faudrait-il pas pour lui une loi d’amnistie ? La majorité au pouvoir va-t-elle ou peut-elle la voter ? Une réponse positive à cette question, ne serait-elle pas alors un désaveu cinglant qu’elle s’infligerait elle-même par rapport à la traque détraquée des biens mal acquis, qui a définitivement perdu toute crédibilité aux yeux de l’opinion par la manière dont elle a été menée : sélective, outrancièrement politisée et attentatoire quant aux droits et libertés des mis en cause ? Plutôt que de travailler en ordre dispersé, les uns réclamant la libération de Khalifa Sall, les autres le retour de Karim Wade, pour que tous deux puissent se présenter en 2019, il me semble que l’opposition devrait se réunir dans un cadre de concertation et d’action le plus large et inclusif possible afin de se battre autour de deux points. Le premier point serait relatif à la lutte pour la régularité, la sincérité et la transparence des élections, car c’est une revendication transversale qui recoupe les intérêts de tous les partis et coalitions de partis en lice pour la compétition politique, et donc d’aller aux négociations. Le second point serait la lutte contre les abus de pouvoir et pour le respect des droits et libertés. Déjà, avec les Législatives de juillet dernier, le Sénégal a fait un recul démocratique de 20 ans, qui a malheureusement consacré un retour à la situation de 1996, alors qu’entre temps on a eu droit à deux alternances par les urnes, en 2000 et 2012. Ce qui risque de se passer, c’est que si la présidentielle de 2019 est organisée dans des conditions qui ne garantissent pas la clarté et la fiabilité du jeu électoral, le pays pourrait reculer de 30 ans ! C’est-à-dire nous ramener à la situation de 1988 avec tous les risques de violence, dans un contexte de pauvreté, de désœuvrement de la jeunesse, de découverte de richesses minières, de crise sécuritaire avec le terrorisme et de crise de la migration ; le cocktail serait alors détonnant ! Le pays serait pris en otage par la classe politique pour des intérêts personnels et partisans de conquête ou de conservation du pouvoir. Ce serait dommage. Le pouvoir et l’opposition y auraient chacun une part de responsabilité.

Aujourd’hui, est-ce que le pouvoir peut prendre le risque d’organiser ce dialogue sans cette opposition dite la plus radicale?

Organiser le dialogue sans l’opposition significative n’a pas beaucoup d’intérêt. Car, il va se poser la question de la légitimité des conclusions d’un tel dialogue. En réalité, on se trouve dans une impasse qui est liée à un mode de gouvernance anti-démocratique fondé sur le passage en force et la persécution de l’opposition, de telle sorte qu’au final, on s’est retrouvé face à une situation difficile où les acteurs ont du mal à se parler. Le problème reste donc entier.

En fin de compte, à qui profiterait un dialogue sans cette bonne frange de l’opposition ?

C’est un dialogue qui ne profiterait à personne, si tant est qu’on puisse parler de dialogue dans ces conditions. En effet, cela se fait au détriment de la paix et de la stabilité politique du pays. Et personne n’y gagne. L’enseignement qu’il faut en tirer même si on ne semble pas tirer beaucoup d’enseignements de notre expérience démocratique ; car on a comme l’impression que la construction démocratique au Sénégal est un éternel recommencement, c’est qu’il est impératif et impérieux de respecter l’État de droit qui seul assure la sécurité de tous sans distinction, au-delà des contingences du statut, de la situation ou de la position sociale ou politique; de veiller à l’institutionnalisation de règles transparentes et équitables quant à la compétition politique, afin que les oppositions d’idées et d’idéaux puissent prospérer au bénéfice de l’amélioration substantielle des conditions et du cadre de vie des Sénégalais.

Quelle serait la nature d’un dialogue politique sans la participation de la coalition gagnante Wattu Senegaal, et Mankoo Taxawu Senegaal ?

Un dialogue politique qui laisse de côté les organisations de l’opposition les plus représentatives n’est pas digne de ce nom.

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