En quête permanente d’indépendance la Justice : un pouvoir dérivé

28 - Mars - 2018

Le juge Ibrahima Dème ne fait plus partie de la magistrature. Il a démissionné avec fracas avant-hier, non sans en donner les raisons qui tournent essentiellement autour du manque d’indépendance de celle-ci par rapport au Pouvoir Exécutif.

Le juge Dème en démissionnant, jette les armes là où nombre de ses collègues entendent continuer la bataille en interne afin que Dame Justice puisse enfin jouir de ses prérogatives constitutionnelles qui sont celles de dire le droit sans pression.

Pour le moment, force est de constater que malgré les promesses annoncées par les autorités étatiques, la Justice a du mal à asseoir son indépendance.

D’abord parce que du point de vue de la loi, le magistrat du siège est soumis au principe d’hiérarchie qui le lie à la Chancellerie, en l’occurrence le Ministère de la Justice, qui peut lui donner des ordres. Et comme le Parquet détient l’opportunité des poursuites, le Pouvoir Exécutif peut donner son avis sur la nécessité ou non de traduire quelqu’un en justice. C’est d’ailleurs en vertu de ce principe que le Président de la République peut dire qu’il a mis le coude sur certains dossiers.

Ensuite, s’agissant des juges assis chargés de dire le droit, la présence du Président de la République et du Ministre de la Justice au niveau du Conseil supérieur de la magistrature (Csm) est souvent interprétée comme une forme de tutelle sur ces magistrats qui peuvent avoir du mal à agir comme le leur dicte la loi ou leurs consciences.

Sur toutes ces questions et sur bien d’autres, de profondes réflexions avaient été menées tout récemment par les acteurs du système et les hautes autorités de l’État avaient promis de revoir certains paramètres gênant, comme la présence du Président au niveau du Csm.

Toutefois, il est regrettable de constater que, depuis les années 60, date de notre indépendance, de réels progrès n’ont jamais été constatés, à moins que certains juges, téméraires, ne tentent, parfois, de nettoyer les écuries d’Augias.
Rien n’a vraiment changé sous Senghor, Diouf, Wade et Sall. Les pouvoirs publics, manifestement, tiennent à maintenir la justice sous leur coupole, pour de nombreuses raisons dont celles liées à la nécessité de se protéger des affres de cette dernière qui peuvent frapper tout un chacun.

La réalité, alors, c’est que la Justice est un pouvoir dérivé. Comme du reste l’est l’Assemblée nationale et une bonne partie de la presse.

Le seul réel pouvoir dans notre pays est l’Exécutif qui, au gré des circonstances, contrôle par divers formes de mécanisme, le degré de puissance des autres pouvoirs.

Elle devient alors une simple ‘’autorité’’. Il lui est assujetti, dans une large mesure.
Pourtant, des magistrats ont toujours dit non, qu’ils soient du parquet ou du siège. L’asservissement n’est pas hermétique. La loi laisse à chacun une parcelle de pouvoir lui permettant, au besoin et dans l’intérêt supérieur de la Nation, de se positionner.

Ainsi, pour le Procureur par exemple, le principe est que ‘’si la plume est serve, la parole est libre’’. C’est dire qu’au moment où il se lève pour plaider, il retrouve la plénitude de ses pouvoirs.
Toutefois, est libre qui le veut. Si certains magistrats désirent rester dans une sorte de conformisme, bénéficier pleinement de leurs statuts en termes d’avantages matériels, personne ne peut les pousser à agir autrement.

Le juge Kéba Mbaye, et avant lui Me Babacar Sèye assassiné lâchement, ont démontré que l’indépendance n’est pas une chimère, elle est possible.

Mais, je ne suis pas sûr que la démission qui s‘apparente en l’espèce au suicide, est une solution même si elle a l’avantage d’alerter.

Il appartient aux acteurs du système, à la société civile aidée en cela par l’opinion sensibilisée par une presse avertie, de changer le cours des choses.

Dans le continent africain, la Justice de l’Afrique du Sud avait émis pas moins de 78 chefs d’inculpation contre le Président Zuma alors qu’il était encore en exercice.
C’est dire que nous ne pouvons pas, au Sénégal, continuer à stagner et à se laisser devancer.

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