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Erosion côtière à Gorée : L’île mémoire sous la menace de la mer

01 - Août - 2017

L’île de Gorée, tristement célèbre pour avoir été le lieu de transit des esclaves africains en déportation vers l’Amérique, est, aujourd’hui, fortement menacée par l’avancée de la mer qui prend des proportions inquiétantes. Malgré les solutions d’urgence apportées par les pouvoirs publics dans certains cas, les insulaires vivent au quotidien sous la menace des vagues en « colère ».
Un bidon de 10 litres vide dans chaque main, Modou Mbengue avance d’un pas sérieux. A hauteur d’une borne fontaine, à l’intérieur d’une mosquée « pied dans l’eau », il s’arrête. Il remplit ses récipients. Il les pose soigneusement à côté et se dirige vers la mer, à cinq mètres environ. Les deux mains accoudées sur un muret en béton armé bordé d’enrochement. Le jeune homme promène vaguement son regard au large. Son silence est assourdissant comme la rumeur de la mer dans l’île mémoire. Au bout de quelques minutes, il reprend ses gourdes et s’en va. Dans la mosquée, une femme nettoie les coins et recoins pour accueillir les fidèles musulmans. Nous sommes le vendredi 17 février 2017. Mais ici, tous les visiteurs se posent la question : pour combien de temps les fidèles accompliront-ils leurs prières dans cet édifice ? Personne n’est en mesure de donner la réponse.
Par contre, ce qui est sûr, les vagues roulent au loin et s’écrasent sur cette pente légèrement escarpée. Une partie a déjà été emportée. L’avancée de la mer est marquée d’une pierre blanche dans la cour. « Nous croyions avoir définitivement perdu la mosquée. La mer l’avait envahie, emportant avec elle une partie. C’est avec l’aide de jeunes entrepreneurs qui séjournaient dans l’île au moment des faits qu’on a pu faire un remblayage avant que l’Etat n’intervienne pour construire la digue de protection que vous voyez là », confie Mariama Ndiaye. Malgré l’édification de ce mur fait de blocs de granit qui sont des roches plutoniques magmatiques à texture grenue, les insulaires sont plongés dans la psychose. Ils ne seront pas surpris si, un jour, les eaux océaniques envahissent leur lieu de culte. La dilation des eaux océaniques n’est pas une fiction ni une théorie à Gorée. Les inquiétudes emplissent le lieu et envahissent l’île. Mariama et Modou Mbengue ne sont pas indifférents. L’île est classée patrimoine mondial de l’Unesco, mais la vie à Gorée n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Les habitants sont habités par l’angoisse de voir leurs habitations englouties par la mer.
Avec plus de 700 km de côte, le Sénégal est classé huitième pays le plus vulnérable à l’élévation du niveau de la mer dans le monde. Une étude menée par Pape Waly Bakhoum, chercheur à l’Institut des science de l’environnement de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, sur la vulnérabilité de l’île face à l’élévation du niveau de la mer, révèle un niveau de vulnérabilité physique modéré de la ville insulaire compris entre 1,61 et 6,68 m avec une vitesse d’évolution du trait de côte de 0,67 m par an. Cette montée du niveau moyen est causée par le réchauffement climatique qui touche la planète à travers deux processus principaux : la dilatation de l’eau de mer, suite au réchauffement des eaux océaniques, et la fonte des glaciers. On estime actuellement que la hausse du niveau des océans est liée pour un tiers à la dilatation des océans. Dilatation liée elle-même au réchauffement climatique. Les deux autres tiers sont dus à la fonte des glaciers de montagne et des calottes polaires.

Concordance de confessions
Au Sénégal, selon le chercheur Bakhoum, le niveau de la mer augmente en moyenne de 2,32 mm/an. Cette situation expose les localités de façade maritime, mais aussi les îles comme Gorée.
Devant le musée de la mer de la ville, Ousmane Cissé, la vingtaine, les yeux rivés sur son Smartphone, écouteurs bien enfoncés dans les oreilles, est plongé dans un autre monde : celui du virtuel.
Du fait de la vulnérabilité de l’écosystème dans lequel il vit, le jeune goréen effectue beaucoup de recherches sur le changement climatique et ses conséquences. « Lorsqu’on était plus jeune, on ne connaissait pas ces phénomènes. On vivait tranquillement ici, loin du bruit assourdissant de Dakar. Cette quiétude est sur le point d’être perturbée par l’inondation et autres phénomènes causés par l’avancée de la mer. Nous vivons, aujourd’hui, avec l’idée que cette île puisse être perdue un jour si ce rythme se poursuit. D’ailleurs, la Maison des esclaves, qui est l’attraction à Gorée surtout des touristes, est gravement menacée », alerte Ousmane.
Même son de cloche chez Pape, un maçon engagé dans l’aménagement de la « Place de l’Europe », dans l’enceinte du musée. « Notre plus gros souci, aujourd’hui, est l’avancée de la mer. Le trou que vous voyez là-bas (il pointe du doigt), il est causé par les vagues. D’ailleurs, le chantier pour la réhabilitation et la construction d’une digue de protection est en cours », précise l’ouvrier. Cette concordance de confessions est révélatrice de l’ampleur de la perte des pans entiers du continent dans l’île Mémoire. C’est vrai qu’on ne peut pas arrêter la mer. Mais, à Gorée, on expérimente des stratégies de résilience.
Des études disponibles depuis 1988, ensuite réactualisées en 1998, évaluent à près de 11 milliards de FCfa le coût des ouvrages destinés à protéger le trait de côte de l’île de Gorée, avait indiqué Me Augustin Senghor, le maire. Cette somme pourrait être insignifiante dans les années à venir surtout si le réchauffement global dépasse la barre de 2 degrés Celsius. Sur ce point, les scientifiques sont très claires : certaines îles seront rayées de la carte. « Les digues sont une bonne chose, mais on ne sait pas combien de temps ils vont pouvoir résister à la force de l’eau. Je pense que l’Etat doit commencer déjà à envisager d’autres solutions », préconise Babacar Samb, un pêcheur qui vient juste de débarquer.
En attendant de trouver des solutions beaucoup plus durables pour s’adapter au changement climatique, les Goréens vivent au quotidien sous la menace des vagues déferlantes.

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