Groupe consultatif de Paris : Une ombre de lumière ! (par Malick Gakou)

21 - Décembre - 2018

Le 17 décembre 2018, le Gouvernement de Macky SALL annonce aux Sénégalais une pluie de promesses de financement évalué à 7700 milliards FCFA de la part des bailleurs de fonds pour le lancement de la deuxième phase (2019-2023) du Plan d’actions prioritaires (PAP) de son PSE.

Au-delà des dépenses faramineuses et de prestige qui ont été engagées sur le dos des contribuables sénégalais durant les travaux préparatoires, la réunion du Groupe Consultatif de Paris marque une phase très sombre de l’histoire financière du Sénégal en matière de gestion budgétaire et de viabilité des finances publiques. Aussi, il est à dénoncer avec véhémence, les modalités et schémas de financements proposés, qui ne respectent pas les conditions optimales de coûts et de risques sur le marché.

Un regard rétrospectif sur la mise en œuvre de la 1ère phase du PAP montre de graves défaillances techniques et budgétaires.

Un bref diagnostic de la première phase du PAP (2014-2018) révèle un montant 9685,6 milliards de FCFA annoncé comme scénario optimiste à travers des sources identifiées que sont l’Etat (43,4%), les partenaires techniques et financiers (40,4%) ainsi que le secteur privé national et international avec le Partenariat Public Privé (16,3%).

A l’arrivée, le financement acquis a été évalué à 5737,6 milliards de FCFA avec un taux faible d’exécution qui s’est situé à 32,82%. Sur la période 2014-2017, quatre cent six (406) projets du PAP 1 prévus dans le PTIP sont restés en attente du premier décaissement (décaissement nul). Du côté des PTF, les financements programmés et non exécutés se situent à 375,446 milliards de FCFA.

Par ailleurs, il est déplorable et inquiétant de noter une absence totale du financement privé dans les projets PPP. Sur les 1111 milliards de FCFA qui étaient attendus du secteur privé, aucun financement n’a été réellement obtenu. Aussi, les projets du PAP 1 à financement PPP n’ont jamais fait l’objet de processus de maturation et d’études de préfaisabilité. Ce qui prouve à suffisance le manque de sérieux des projets et programmes déclinés dans le PSE.

Le financement de la deuxième phase du PAP (2019 – 2023) va accélérer la spirale d’endettement du Sénégal

Le stock de la dette publique s’est établi en 2017 à 6010,5 milliards de francs CFA (dont 4664,5 milliards de dette extérieure et 1346 milliards de dette intérieure) contre 4112,9 milliards en 2014, soit une hausse de 46,1%. Le service de la dette extérieure qui était de 106,5 milliards en 2014 soit 19,3% du total service de la dette est passé à 229,5 milliards en 2017 soit 31,7% du total service de la dette de l’Etat du Sénégal.

Ajouté aux échéanciers contractuels sur les projets en cours (Diamniadio, TER, BRT, etc.), le financement attendu de la réunion du Groupe Consultatif de Paris va inéluctablement porter le niveau d’endettement du Sénégal à un taux supérieur à 70%. Cette spirale de la dette financière ajoutée au déficit public qui est toujours en-deçà de la norme exigée par l’UEMOA, constitue une réelle menace sur l’équilibre de nos finances publiques, amoindrit l’espace budgétaire et crée un climat d'incertitude face à l'avenir des générations à venir.

Cette situation est d’autant plus alarmante que le niveau d’endettement du Sénégal dépasse de loin les niveaux observés dans les pays tels que le Mali (35,2%), la Côte d’Ivoire (33%), le Burkina Faso (32%), qui sont de meilleurs élèves en matière de maîtrise de la dette.

Si le rythme de croissance de la dette se maintient d’ici 2024 sur une population estimée à près de 16 00 000 habitants, nous-mêmes et nos enfants auront à rembourser en moyenne une dette individuelle de près de 10 000 000 FCFA, ce qui est inacceptable ! Cette dette galopante va absorber et plomber une part très importante de l'épargne et servira donc à couvrir des dépenses de consommation ou de fonctionnement courant plutôt que des investissements structurels.

La deuxième phase du PSE ne permettra pas d’atteindre une croissance inclusive, car les préoccupations et attentes des Sénégalais ne sont pas prises en compte.

Les projets et programmes d’investissements à fort impact socio-économique à travers une croissance inclusive, doivent faire l’objet d’une inscription au rang de l’exécution des investissements prioritaires.

Objectivement, les taux de croissance ambitieux proclamés et les effets d’annonce d’un Sénégal prospère et viable pour les prochaines années de la mise en œuvre du PSE 2, ne pourront être atteints.

La question primordiale est de savoir si le PAP 2 apportera des solutions aux handicaps structurels et persistants qui pèsent sur l’économie nationale au titre desquels, la faible résilience aux chocs exogènes, l’absence de maîtrise de l’eau, les conditions difficiles de financement de l’économie nationale, l’impact des aléas climatiques, la faible compétitivité de l’industrie confrontée à un mode de consommation davantage tourné vers l’importation, le poids exorbitant de la fiscalité sur les revenus et sur l’entreprise, l’inefficacité des dépenses publiques, etc.

La réponse est évidemment non ! D’abord, les études de préfaisabilité et de faisabilité financières des projets et programmes du PAP 2 n’ont pas été rigoureusement menées.

Ensuite, le PAP 2 n’est pas résolument orienté vers un développement du capital humain (éducation, formation et santé), la viabilité de l’entreprise nationale, la relance de l’économie rurale, l’approfondissement du secteur financier afin d’assurer une bonne prise en compte des problèmes de financement et, d’une manière générale, du renforcement de la compétitivité de l’économie nationale.

Je ne peux manquer également de souligner que les objectifs du financement de la deuxième phase du PSE ont été uniquement déterminés sous la forte influence des dates de l’agenda politique, sans tenir compte des contraintes inhérentes à la préparation et à la mise en œuvre des projets d’investissement et des délais d’impact de la réalisation de ces projets sur la croissance et le comportement adéquat de l’économie.

Notre économie est marquée depuis sept ans (2012 – 2018) par une évolution très faible de son taux de croissance et qui reste plombée par deux contraintes structurelles : l’insuffisance des investissements (privés notamment) nécessaires au renforcement de la productivité et un niveau de compétitivité de notre production nationale qui est incapable de porter le flambeau de la croissance.

La croissance du PIB réel est passée de 4,4% en 2012 à 3,5% pour 2013 pour se situer à 4,3% en 2014, 6,5% en 2015, 6,6% en 2016, 6,7% en 2017 et 6,8% en 2017.

Les prévisions disponibles pour l’année 2018 porteraient ce taux à près de 7,0%. Sur la période 2019-2023, le taux de croissance devrait ressortir en moyenne à 8,9%, qui est déjà en dessous des taux à deux chiffres qui ont été annoncés à l’entame du PSE 1.

Nul doute que le PSE 2 arrivera aux mêmes résultats. Les mêmes causes vont produire les mêmes effets, avec une accélération dynamique de la pauvreté et de la précarité des ménages.

Aussi, je continue à penser que le niveau de croissance attendu de la deuxième phase du PSE, 2019-2023 (8%) ne permettra pas d’avoir un décollage permettant d’engranger des progrès dans le domaine du développement humain.

Le taux de croissance moyen attendu est estimé voisin du croit démographique, ce qui signifie en termes clairs que la création de richesse va rester très insuffisante pour inverser durablement l’approfondissement de la pauvreté, notamment au sein de l’économie rurale dont la contribution à la formation du PIB n’a cessé de se dégrader sous l’influence des contraintes lourdes qui ont continué de peser sur notre agriculture.

Malick GAKOU
Docteur en Economie
Ancien Ministre
Président du GRAND PARTI

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