Journée internationale : MARS DES FEMMES

08 - Mars - 2018

La déclaration des faits d’état civil n’est toujours pas une démarche évidente chez bon nombre de Sénégalais. Aujourd’hui, la non-automatisation du fichier empêche toute avancée en matière de sécurisation des données et de facilitation de l’obtention des pièces d’état civil, comme le montrent les statistiques qui révèlent de faibles niveaux d’enregistrement plaçant certaines couches de la population en état de vulnérabilité avancé. Ce dossier, réalisé dans le cadre du 8 mars, a été produit par des étudiants du Cesti.
Assis dans un fauteuil, Mama­dou Ndiaye, la soixantaine, fait face à son matériel de travail : un stylo, un encrier, un dateur et un cachet de la mairie de Rufisque-Ouest, le tout placé sur son bureau. A sa gauche, sont disposées quel­ques chemises contenant des documents, et derrière lui, une pile de dossiers reposant dans un meuble en bois massif. L’officier d’état civil tire une chemise et en sort une poignée de copies pour nous montrer quelques exemples de pièces d’état civil. «L’en­registrement des faits d’état civil concerne une vingtaine d’actes. Mais, les plus connus sont l’extrait de naissance et le certificat de résidence. Toutefois, il y a d’autres papiers dont les gens ignorent souvent l’existence et n’en prennent conscience qu’une fois confrontés à un problème. C’est le cas du bulletin de décès et du certificat de mariage», explique M. Ndiaye, en nous faisant signe de l’excuser.
Le service oblige. Il doit vérifier rapidement et légaliser, en cachetant et en signant un tas de documents qu’on vient de lui remettre. Il le fait avec diligence pour se libérer, ne serait-ce que quelques minutes, pour nous permettre de poursuivre la discussion, parce qu’il est tout le temps sollicité. Il ne se passe pas cinq minutes sans que quelqu’un n’entre dans son bureau. «Vous voyez, c’est aussi ça l’état civil. On est sollicité en permanence. Donc il faut avoir du cœur et un bon état d’esprit pour exercer ses fonctions d’officier d’état civil», dit-il, avant de saisir deux copies d’extrait de naissance que lui tend un homme venu à l’instant se faire établir ses pièces.
Le casse-tête des populations face aux tracasseries
Malgré les 689 centres d’état civil concernés par la numérisation qui, du reste, n’est réalisée qu’à hauteur de 35%, l’automatisation tant chantée par les gouvernements qui se sont succédé n’est toujours pas effective. L’Etat traîne les pieds. La numérisation est certes un pas en avant, mais les collectivités locales paraissent impuissantes face aux difficultés, ressenties par les populations, liées à l’absence d’automatisation du fichier d’état civil. «L’Etat doit faire un effort en ce sens. Nous sommes fatigués. Il faut toujours se déplacer ou déranger quelqu’un pour qu’il nous cherche un extrait, si on n’habite pas dans son lieu de naissance», critique Papa Samb, un habitant de Thiès venu chercher un extrait de naissance pour sa nièce.
«En effet, l’automatisation n’est pas encore effective. Les gens sont obligés d’aller chercher, par exemple, leur extrait de naissance à la mairie de la localité où ils sont nés. Récemment, j’avais le cas d’un homme qui était venu de Foundiougne pour chercher un extrait de naissance pour son fils qui est né ici à Rufisque et qui devait passer un examen. Il s’est trouvé que ce jour-là, les officiers d’état civil de la ville étaient en grève. Mais eu égard à la distance qu’il avait parcourue, j’avais accepté de surseoir au mot d’ordre et de lui établir le document», révèle M. Ndiaye.
Pourtant, gagner ce pari de l’automatisation du fichier d’état civil par la numérisation permettrait d’effectuer un grand bond en avant, en assurant non seulement l’interconnexion des centres d’état civil à une base de données centralisée et donc la disponibilité et la sécurisation des données, mais aussi en évitant aux potentiels demandeurs le déplacement et en réduisant considérablement les délais d’établissement et de livraison des pièces d’état civil.
Les invisibles faussent le calcul
Avec près de vingt ans de carrière à son actif, M. Ndiaye connait tous les rouages du système. D’autres difficultés, explique-t-il, sont liées au rétablissement des enfants non-déclarés à la naissance, des mariages non-déclarés, des décès non-déclarés, etc. «Nous sommes chargés de rétablir tous ces cas. Pour ce faire, on confectionne un dossier qu’on envoie au Tribunal. Ensuite, il revient au juge d’apprécier, en se fondant sur des enquêtes et des témoignages, et d’autoriser l’établissement de l’acte en question. Mais il faut dire que nous sommes encore bien loin du compte. Dieu sait que ces cas sont nombreux», signale l’officier d’état civil.
En effet, les statistiques issues du dernier Rapport d’état civil de 2015 peignent une situation préoccupante. Selon ce document, seulement 79,7% des naissances sont déclarés, dont plus de 16% tardivement. Quant aux mariages et aux décès, les signaux sont au rouge. Au niveau national, 72,7% des mariages et près de 70% des décès ne sont pas déclarés. Ce qui pose un réel problème, surtout pour les femmes. «Ce sont autant de personnes qui sont en état de grave vulnérabilité. S’il leur arrive quelque chose, elles sont complètement invisibles… Or pour mettre en place des politiques de développement économique et social, de santé publique, et d’éducation efficaces, on doit avoir une idée de qui est là. Même sur le plan de la sécurité, cela pose problème», selon Michaelle Jean, Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, inquiète, qui a tiré la sonnette d’alarme lors de sa dernière visite à Dakar.
Attention au piège du recensement massif
Face à cette situation alarmante, des mesures s’imposent. D’ailleurs, pour pallier cette anomalie, il est possible de solliciter un jugement supplétif. «Un jugement supplétif est la décision rendue par le président du Tribunal départemental pour autoriser l’officier d’état civil d’inscrire certaines déclarations (naissance, mariage, décès,…) sur les registres. Ce jugement est nécessaire lorsque la déclaration n’a pas été faite dans les délais (1 an)», précise ledit Rapport. Toutefois, M. Ndiaye attire l’attention sur les risques de tomber dans l’erreur sous peine d’encourir les sanctions prévues par la loi.
«Nous aidons souvent les gens à obtenir ces actes en question. Par exemple, chaque année, nous organisons des audiences foraines pour permettre à bon nombre de personnes d’avoir leur pièce d’état civil. Le métier comporte beaucoup de risques. La moindre erreur peut coûter cher ; et pour nous, et pour le déclarant, parce qu’il arrive parfois que des gens tentent de frauder en faisant de fausses déclarations pour obtenir par exemple un extrait de naissance pour un enfant dont l’âge ne permet pas de passer tel ou tel examen. Ce qui est banni par la loi», nous éclaire-t-il, avant de remettre un certificat de non-inscription de mariage à son demandeur, debout depuis quel­ques secondes devant son bureau.
Pour M. Ndiaye, il faut redoubler d’effort en multipliant, d’une part, les campagnes de sensibilisation en milieu rural comme en milieu urbain, d’autre part en faisant preuve de rigueur dans l’enregistrement des données. Les populations sont parfois confrontées à de réelles difficultés, comme le confirme une jeune femme trouvée dans le couloir en train de faire le pied de grue devant un bureau. «J’ai un problème depuis quelque temps. Je voulais déposer mes papiers pour obtenir la carte d’identité nationale, mais on m’a dit que mon extrait de naissance n’est pas valide et qu’il y a un problème de numéro. Il parait que le numéro est attribué à quelqu’un d’autre», nous souffle-t-elle, au moment de quitter les locaux de la mairie.

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