La recette des experts électoraux

05 - Octobre - 2019

L’existence de plus de 300 partis dans l’espace politique sénégalais a créé un manque de lisibilité. Pour venir à bout de ce problème, les acteurs au dialogue politique se penchent, depuis le jeudi dernier, sur la nécessité de rationaliser les partis pour arriver à les financer.

Comme contribution à ce débat, des experts électoraux dont Ababacar Fall, Groupe de recherche et d’appui conseils pour la démocratie participative et la bonne gouvernance (Gradec), et Valdiodio Ndiaye, membre du Collectif des organisations de la société civile pour les élections du Sénégal (Cosce), restent formels sur la nécessité de réformer le cadre juridique «obsolète» pour procéder à un dégraissage de l’espace, avant de penser au financement des partis politiques.

VALDIODIO NDIAYE, EXPERT ELECTORAL ET MEMBRE DU COSCEE : «Il faut régler d’abord le problème de mise à jour du nombre de partis politiques»

J e pense que le premier point qu’il faut d’abord régler avant même de parvenir à des accords sur les principes, c’est le problème de mise à jour du nombre de partis politiques. Aujourd’hui, nous sommes presque à 320 partis politiques. Mais, il est évident qu’il y a énormément de partis politiques qui ont été créés et qui, aujourd’hui, ne sont plus fonctionnels. Ils ne sont plus en conformité avec la loi, ils sont inexistants dans le landerneau politique. Il appartient au ministère de l’Intérieur de faire la mise à jour. Donc, il faut partir de l’existant. Une fois que ce premier point est réglé, certainement ça va dégraisser le dispositif. Comme deuxième élément à régler aussi, il faut exiger aux partis politiques d’avoir un siège, d’être identifié, d’avoir un contact téléphonique fixe et le dépôt des rapports financiers annuels avec les éléments institutionnels qui vont avec. Il faut aussi adopter cette obligation de participer à des scrutins locaux, c’est-à-dire les élections locales, avec une obligation d’atteindre au moins 1% du suffrage sinon vous disparaissez.

Dans la réflexion, nous sommes en train de susciter d’autres aspects, c’est-à-dire la nécessité d’instaurer un principe de formation au sein des partis politiques pour que chaque parti ait une école du parti. Une fois que ces postulats-là sont réglés, dégraisser les partis politiques par la mise à jour du nombre de partis avec le respect des dispositions nouvelles légales, à partir de ce moment-là, on peut parler du financement des partis politiques.

Les préalables sont administratifs et après ceux de fonctionnement, c’est-à-dire la tenue de congrès réguliers. Il y a même certains qui disent que pour régler les questions d’alternance au sein des partis, que le leader ait droit à un maximum de 3 à 4 mandats à la tête du parti. Ce sont des questions de fond sur lesquels les gens doivent réfléchir assez rapidement»

ABABACAR FALL, EXPERT ELECTORAL ET MEMBRE DU GRADEC : «La redéfinition de la loi sur les partis s’impose sans tomber dans les travers d’un cadre juridique qui enfreindrait la liberté des citoyens»

«La question de la rationalisation des partis politiques est une des problématiques auxquelles aussi bien la classe politique elle-même que les autorités sont confrontées depuis une décennie, le financement public des partis politiques restant tributaire du règlement de cette question. Cette explosion d’organisations dans l’espace politique que d’aucuns qualifient de prolifération est due à l’existence d’un cadre juridique obsolète qui a permis une trop grande liberté dans la création des partis du fait que ceux-ci sont considérés comme des associations de droit privé au même titre que les dahiras, associations culturelles ou sportives, etc. Sous le régime du Président Senghor, le nombre de partis avait été limité aux quatre courants de pensées reconnus à l’époque et à l’arrivée du Président Abdou Diouf, ce verrou a sauté avec le vote de la loi 81-17 du 11 octobre 1981.

Dans cette loi du 11 octobre 1981, Il est clairement indiqué dans l’exposé des motifs que « : les partis politiques peuvent désormais être créés sans limitation de nombre et sans avoir à faire référence à un courant de pensée ». Ce texte a été modifié en 1989 par la loi n°89-36 du 12 octobre 1989. Ces deux lois ont esquissé un cadre juridique des partis politiques, outre la Constitution et les articles 812 et suivants du Code des Obligations Civiles et Commerciales.

Dans un forum organisé récemment par le Gradec, le Docteur Moustapha Thioune qui introduisait une communication sur le sujet affirmait que «le caractère trop libéral du cadre juridique et la timidité du contrôle administratif sont des facteurs explicatifs de la prolifération des partis politiques au Sénégal». «Afin de rationaliser l’espace politique et de trouver une solution à la prolifération des partis politiques, il urge de modifier l’actuel cadre juridique qui existe et qui est obsolète dans beaucoup de ses dispositions ».

Il considérait que 37 ans après, il devenait urgent de reconsidérer les dispositions de la loi sur les partis politiques et concluait en ces termes : «Dès lors, sa modification est nécessaire, même si pour y procéder, il faudrait impliquer la classe politique, cette révision pourrait avoir les contours suivants : Rendre plus corsée la création des partis politiques avec l’exigence d’un nombre déterminé de signatures pour assurer la représentativité et le paiement de droit d’enregistrement; Obligation pour le parti politique de disposer d’un local approprié devant servir exclusivement de siège et d’un compte bancaire pour les besoins du contrôle financier, Participation obligatoire aux élections, seuls ou en coalition, pour les partis ; Instauration du financement public direct des partis politiques, avec des critères d’éligibilité basés sur la représentativité et l’élargissement de la fonction de contrôle financier des partis politiques à la Cour des Comptes ; Plafonnement des dépenses pour les campagnes électorales ; Adoption du Statut de l’Opposition, avec désignation du Chef de l’Opposition ; etc

« Une question au centre du dialogue politique», selon Ababacar Fall

« Cependant, il est heureux de constater que dans le cadre du dialogue politique en cours, cette question soit au centre des débats, car tout le monde semble avoir pris conscience du phénomène qui, à terme, pourrait être un facteur de fragilisation de notre démocratie, les partis n’étant créés (pas tous) que pour s’assurer une situation de rente et permettre à leur fondateur d’avoir des revenus ou des positions en s’affiliant à des coalitions qui sont au pouvoir.

C’est sous ce rapport que la question du financement public des partis pose problème et est corrélée nécessairement à la rationalisation des partis sur la base de critères de représentativité clairement définis. Dans tous les cas, la redéfinition de la loi sur les partis s’impose sans tomber dans les travers d’un cadre juridique qui enfreindrait la liberté des citoyens à s’organiser pour concourir à l’expression du suffrage universel»

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