La société civile met au ban Macky Sall

26 - Juin - 2018

Le débat sur la suite réservée aux recommandations ou conclusions des commissions instituées par le chef de l’Etat, Macky Sall, notamment la Cnri, la Cnrf, ou encore le Comité de concertation sur la modernisation de la justice (Ccmj), et tant d’autres comités mis en place par le président et/ou son gouvernement sur le processus électoral, refait surface.

Certains acteurs de la société civile, en l’occurrence le président du Forum du justiciable, tout comme le Directeur exécutif de l’Ong 3D, Moundiaye Cissé, regrettent tous la non application des travaux issus de ces cadres de concertation inclusifs. Du côté du Forum du justiciable, Babacar Ba déplore le «gâchis» après la mobilisation de ressources conséquentes et la «duperie» dont fait preuve le président de la République en mettant en place ces commissions.

Moundiaye Cissé de l’Ong 3D avance lui la thèse de la «psychose d’un second mandat», non sans estimer que Macky Sall a fait moins que ses prédécesseurs Diouf et Wade, en matière de consolidation de la démocratie.
BABACAR BA, JURISTE CONSULTANT, PRESIDENT DU FORUM DU JUSTICIABLE : «La mise en place de ces commissions apparaît comme une pure duperie»
Quelle analyse faites-vous de la mise en place de ces commissions par le chef de l’Etat, Macky Sall ?
Sur le principe, l’installation de ces différentes commissions sont d’une grande utilité pour le pays en ce sens que ce sont des commissions composées d’experts avérés dans des domaines bien définis, censés faire un travail de recherche de diagnostic et à la fin, de formuler des pistes de solution. Les commissions sont créées dans le but de rendre la tâche plus facile au président de la République et son gouvernement car les solutions formulées visent à améliorer le fonctionnement des institutions, à consolider la démocratie, approfondir l’Etat de droit et la vie sociale. Cependant, la réalité montre que ces commissions n’avaient pas leurs raisons d’être. Le Président de la République pouvait se passer des décrets de création desdites commissions car leur mise en place apparaît comme une pure duperie.
Comment appréciez-vous le sort réservé aux conclusions de ces commissions par leur promoteur, le président Macky Sall lui-même?
Je disais plus haut que le président de la République pouvait se passer des décrets de création des commissions de réforme ou de concertation si l’on sait qu’aujourd’hui les solutions les plus importantes issues de ces commissions ne sont pas appliquées. Et c’est vraiment regrettable, c’est du gâchis. Vous ne pouvez pas mobiliser l’argent du contribuable, le mettre à la disposition de ces commissions qu’il a créées (et le plus souvent ces commissions sont créés en réponse aux exigences du peuple) et voir à la fin de leur travail que les propositions ne sont pas appliquées. Finalement, on a l’impression que la mise en place de ces commissions est simplement du bluff. Je rappelle qu’en 2013, on avait fait d’excellentes propositions visant en garantir l’indépendance de la justice. Alors, si le président de la République avait appliqué les propositions de la Cnri qu’il avait lui-même créée par décret n° 2013-730 du 28 mai 2013, aujourd’hui le ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall n’aurait même pas besoin de mettre sur place un comité de concertation sur la modernisation de la justice.
Comment peut-on arriver à faire appliquer ces conclusions, quand on sait qu’elles proviennent pour la plus part de concertations inclusives et larges ?
La seule solution pour faire appliquer les conclusions de ces différentes commissions, c’est d’amener le président de la République à prévoir dans le décret créant la commission un article qui fait obligation au destinataire du rapport d’appliquer les conclusions au moins à 80%
MOUNDIAYE CISSE,DIRECTEUR EXECUTIF ONG 3D : «Il y a toujours cette psychose d’un second mandat qui fait...»
Quelle appréciation faites-vous de la mise en place de commissions ad hoc par le chef de l’Etat?
La mise en place de commissions participe d’une volonté d’associer les acteurs à la réflexion. Il est une chose de mettre en place des commissions, mais il en est une autre d’en appliquer les conclusions. Le bilan de l’application des conclusions des commissions dont l’objet était de contribuer à l’approfondissement de la démocratie est à ce jour, mitigé. L’un des exemples les plus patents est celui de la Cnri, présidée par le doyen Amadou Makhtar Mbow.

Alors que nous avions tous salué la mise en place de cette commission ainsi que ses importantes propositions, nous avons été déçus par la suite réservée à ses travaux. Les propositions de la Cnri auraient permis de régler définitivement une question fondamentale : celle de la consolidation de l’Etat de droit au Sénégal, avec en toile de fond, l’équilibre des pouvoirs et le renforcement de l’indépendance de la justice. Malheureusement, à l’arrivée, nous avons constaté que seules quelques propositions ont été prises en compte. Par exemple, dans les propositions de la commission, il était question de ne plus faire présider le Conseil supérieur de la magistrature par le président de la République...

Après cela, il y a eu d’autres cadres de concertation qui ont été mis en place. Il faut d’ailleurs préciser qu’il est presque une tradition au Sénégal d’installer des cadres de revue du Code électoral. Ce sont des moments très sensibles qui peuvent renforcer ou détériorer le climat de confiance.

Telle est la situation aujourd’hui car on constate que l’opposition boycotte ce cadre depuis qu’il a été constaté que des décisions ont été prises en marge de la commission… Il faut reconnaître que le président Macky Sall n’a pas réussi, comme ses prédécesseurs, à réunir la classe politique autour du jeu électoral. C’est dommage, parce qu’il avait tous les moyens pour le réussir et marquer de son empreinte, l’ouverture d’une ère de séparation et d’équilibre des pouvoirs au Sénégal.
Selon vous, qu’est-ce qui explique cette non-application des recommandations que formulent le plus souvent les commissions qu’il a lui-même instituées ?
Peut-être qu’il est le seul à pouvoir dire exactement quelles sont les raisons qui ont fait que les conclusions de ces commissions en général ne soient pas appliquées. Parfois, ces conclusions peuvent être appliquées, mais ce sont des commissions qui sont mises en place sans l’opposition significative. Par exemple, pour le cadre de concertation sur le processus électoral, il y a une des recommandations de la commission qui a été appliquée. Mais la lecture que j’en fais est que cette recommandation s’inscrit dans la lignée de la recherche d’un second mandat. La preuve, le Président avait dit qu’il allait faire 5 ans avant de revenir sur cette promesse.

Il y a toujours cette psychose d’un second mandat qui fait que les présidents, et ce au-delà du Sénégal, pensent qu’en donnant trop de marge de manœuvre à l’opposition, ils perdront le pouvoir. Or, ce n’est pas le cas. Nous avons vu ses prédécesseurs, comme Diouf et Wade, poser des actes forts de consolidation de notre démocratie. Le président Diouf, quoiqu’on dise, a posé des actes forts parmi lesquels le Code consensuel de 1992, à travers Kéba Mbaye.

C’est à travers ce code-là qu’on a pu commencer à voter avec des isoloirs, de l’encre indélébile, etc. Au président Wade, on lui doit un consensus autour du jeu électoral. Il a créé la Cena pour consolider l’Onel. Il avait donné satisfaction aux revendications légitimes de l’opposition d’avoir un ministre de l’Intérieur ou un chargé des élections non partisan. Pour le régime actuel, il est difficile aujourd’hui de citer des exemples de consolidation de notre démocratie comme on peut le faire pour Diouf et Wade. Ça c’est regrettable.
Comment appréciez-vous les portions que prélève le chef de l’Etat dans certaines conclusions ou recommandations de commission, après toutes les ressources mobilisées ?
C’est une manière de faire qui est regrettable. Elle est l’origine de l’impasse dans laquelle on se trouve. Parce que c’est cette manière de faire qui a radicalisé l’opposition. Par exemple, par rapport à la Cnri, cela a découragé pas mal d’acteurs, dont nous de la société civile, qui avons eu à conduire des consultations citoyennes. Sur le processus électoral, trois cadres ont été successivement installés. Le résultat a toujours été le même. Nous regrettons tous le fait que les recommandations issues des cadres de concertation ne soient pas toujours appliquées. S’il est vrai qu’on ne peut pas toutes les appliquer, on ne devrait pas écarter l’évident et rater l’essentiel. Ce qui n’a pas été le cas

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