Le Mai 68 de Dakar doit enfin entrer dans l’histoire

27 - Mai - 2018

Les nombreuses mobilisations étudiantes qu’ont connu beaucoup de pays africains au cours des années 1960 restent largement ignorées, s’étonne dans une tribune au « Monde » le chercheur Pierre-Yves Anglès.
ribune. Le 30 mai 1968, en plein mouvement étudiant à Dakar, le président sénégalais Léopold Sédar Senghor s’adresse à la radio aux fauteurs de troubles. Il leur reproche d’avoir « attendu la révolte des étudiants de Paris pour faire “même chose toubabs”, pour singer les étudiants français sans modifier une virgule ». Ce faisant, il pose ainsi la question de la circulation internationale des mobilisations en 1968.
Les « trois glorieuses » congolaises

Lorsqu’on étudie cette année-là en France, on mentionne généralement les pavés de Prague et ceux du Quartier latin, l’assassinat de Luther King ou le massacre des étudiants de Mexico, mais pas Dakar. L’historienne Françoise Blum confirme que les études transnationales sur 1968 « reste[nt] encore bien souvent centrée[s] sur l’Europe et l’Amérique du Nord, ou l’Amérique latine, à l’exclusion quasi totale de l’Afrique ». Le constat est identique lorsqu’on s’intéresse au contexte plus large des années 1960, une décennie résolument contestataire.

Les références communes des mobilisations de cette période ou leurs inspirations mutuelles laissent penser qu’il a bien existé un esprit du temps propice à la rébellion étudiante et ouvrière, mais l’historiographie française traite peu des révoltes étudiantes de 1967 et 1969 en Côte d’Ivoire ou de celles de 1969 dans la République du Dahomey, actuel Bénin. Les « trois glorieuses » congolaises de 1963 ont pourtant fait tomber le président Fulbert Youlou, et le Mai malgache de 1972 a chassé Philibert Tsiranana du pouvoir.

Certes, en mai 1968, le président Senghor, à la tête de la jeune République sénégalaise, a résisté, comme le général de Gaulle, à la mobilisation étudiante – durement réprimée – et à la grève générale. Mais il a dû libérer les syndicalistes et les étudiants arrêtés, et augmenter les bourses étudiantes et le salaire minimum, comme dans le cadre des...

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