Le pari fou du père qui perd le fils

04 - Octobre - 2018

Wade a construit avec ses partisans le parti libéral, il est en train de le défaire tout seul, car le boubou qu’il veut faire porter à son fils a des mesures qui dépassent sa silhouette

Aléa, jacta, Est disait-on à Jules César qui finit par apostropher son fils par sa fameuse interjection « Oh mon fils ! » au moment où celui-ci était coauteur du crime qui lui ôtait la vie. Ce scénario semble s’adapter à la situation de Karim Wade qui, depuis Doha, veut changer le cours des choses par texto et whatsapp. J’imagine mal que les prouesses du numérique puissent se substituer à la présence physique sur le terrain politique.

Quand la trajectoire de la vie de Wade fils a connu un cours aussi tumultueux, le père n’en est pas étranger et, un jour, il dira « oh mon père ! ». La surestimation de la valeur intellectuelle, politique et même sociale par le père Abdoulaye Wade a fini de perdre le fils Karim ; et par là, la sagesse qui guidait les actes des gens de son âge n’a pas prévalu en traçant le destin de celui qu’il prédestinait à son remplacement.

« Le sage, disait Platon, n’est pas celui qui connait beaucoup de choses, mais plutôt celui qui voit leur juste mesure » ; Abdoulaye Wade le pape du sopi n’a pas vu la juste mesure des choses, et il les a même exagérées. Au bout du compte, il envoie son fils à la guillotine et le P.D.S dans les eaux troubles avec des départs en cascades

Pari suicidaire

Nul n’est né prédestiné de la République et le leader politique dont les pratiques et les sorties insinuaient un tel état esprit a fini par désenchanter et de quatrième président, il passe pour l’opposant qui bat le record de contreperformances électorales le plus élevé. L’exemple de certains pays voisins a dopé le père de Karim dans sa résolution de dévolution monarchique du pouvoir ; ce que Bongo, Eyadema ont réussi au Gabon et au Togo, Wade ne peut pas le réussir au Sénégal car les contextes sociaux, les mentalités et le niveau de maturité politique différent.

Le pari de maitre Wade ne peut être point pascalien car ne l’ayant pas réussi au moment où il était maître du pouvoir, je ne vois en ce moment comment il peut gagner ce combat où, de jour en jour, il perd des alliés. Le pape du Sopi et le P.D.S. peinent à mobiliser les sénégalais à la cause de Karim qui manque de palmarès politique attractif. Karim refuse d’admettre que la réussite politique est une conquête personnelle et non l’œuvre du père ; il attend tout de son père et ne se gêne pas à ce que celui-ci fasse les combats à sa place. L’adage de chez nous dit que celui qui voue une haine à ses héritiers risque de mourir d’une vile mort. La faute de Abdoulaye Wade est de manquer de mettre à l’épreuve son fils qui croit qu’il doit avoir tout du père et même le pouvoir. Quelle illusion ! Le pouvoir s’octroie à partir d’un certain vécu qui manque à un Karim aveuglement surdimensionné par un père dont la sénilité rend hypothétique les options et entame la raison.

Les fonctions de président de la République requièrent du courage et de l’endurance qui manquent à Wade fils qui est plutôt courageux du courage de son père.

Au lieu de chercher à atteindre ses objectifs politiques en engageant les sacrifices qu’ils appellent ,notre ancien ministre du ciel et de la terre a préféré jouer sur l’influence et les manœuvres de son père ; cela s’appelle opportunisme et usurpation. Je doute de l’intelligence que Wade crédite à son fils ; être en marge de tous les combats qui mènent au pouvoir ne me parait pas une stratégie maligne pour un présidentiable. Karim, en voulant le miel, a peur de la piqûre des abeilles.

Au vu de son attitude et de sa pratique quotidienne, le fils du pape du Sopi n’offre pas les assurances que le citoyen attend de son président. Karim a toujours été en marge des rudes et chaudes épreuves qui préparent à la responsabilité suprême.

Maitre Abdoulaye Wade n’a pas compris du tout Jean Jaques Rousseau qui déconseillait à tout père d’accoutumer son fils à tout obtenir, car poursuit –il, c’est la meilleure façon de le rendre misérable ; cette mise en garde de l’auteur de l’Emile (le bestseller de Rousseau) n’a pas inspiré celui qui rêve de voir son fils diriger le Sénégal.

L’étau se resserre autour de Wade

Juridiquement, Karim est disqualifié pour les présidentielles de Février 2019 même si son père refuse de l’admettre et veut embarquer le P.D.S dans ce schéma de pensée erroné. Ceux qui ont le bon flaire politique ont cherché d’autres destinations pour leur chemin politique au lieu de tout résumer autour de Karim. Pape Samba Mboup et Farba senghor (les plus fidèles à Wade) ont longtemps alerté sur le danger que les libéraux courraient en s’entêtant à maintenir Karim comme candidat ; malheureusement ils ont été voués aux gémonies jusqu’à l’exclusion et l’avenir leur donne raison. Aujourd’hui, maitre Madické Niang embauche la même trompette et demande à se poser en alternative.

Nul ne doute de la profondeur et de la sincérité des relations entre Abdoulaye Wade et Madické ; si ce dernier est résolu à être parrainé par le P.D.S, c’est qu’il est persuadé que les carottes sont cuites pour l’hôte de Doha. Notre ancien président doit savoir comme le dit Georges Clémenceau que « les cimetières sont remplies d’hommes indispensables, mais ils ont été tous remplacés ». L’étau semble se resserrer autour de wade et de son fils et c’est sûre qu’il y aura de nouveaux départs ; la gifle que Wade a donnée à ses partisans est de ne trouver parmi eux personne qui puisse remplacer son fils pour porter le flambeau. Il n’est pas difficile de trouver un remplaçant à Karim qui n’égale ni en coefficient intellectuel ni en vécu politique un homme comme maitre Mamadou Sall, Fada, Madické ou Oumar Sarr.

Le P.D.S était fertile en esprits intelligents et conquérants capables d’assumer les responsabilités les plus hautes, mais tous ont été évincés pour le simple fait de Karim plus épicurien que travailleur. Abdoulaye Wade a construit avec ses partisans le parti libéral, il est en train de le défaire tout seul, car le boubou qu’il veut faire porter à son fils a des mesures qui dépassent sa silhouette.

La crise au P.D.S pose le problème de la démocratie interne dans les partis et du style de management des leaders à la tête des dits partis. Le parti est devenu un patrimoine du secrétaire général qui finance tout et annexe les militants à son système de pensée. Dans sa propension à faire de Karim le président du Sénégal, père Wade ne connait aucune borne oubliant que « pour atteindre à de hautes places, il faut être aigle ou reptile » disait Balzac, alors que Karim n’est ni l’un ni l’autre.

Le père a mal coaché le fils qu’il devait confronter aux difficultés et challenges les plus rudes qui garantissent les grandes réussites. Rousseau rappelait que « le premier pas que l’on fait dans le monde est celui dont dépend le reste de nos jours ». Wade n’ayant pas compris cela a voulu marcher à la place de son fils, ainsi il lui fit rater le premier pas et le reste de son parcours.

Senghor a laissé Phillip gérer sa propre trajectoire, Abdou Diouf a laissé Makhtar et Habib dessiner librement le cours de leur vie, contrairement à Wade qui a opté d’engager les batailles propres à Karim, ce qui l’a conduit à la guillotine. Aucune coalition ou parti n’acceptera de s’allier à un candidat banni par la justice et qui ne régente que par SMS ou Whatsapp hors du pays. Cette domestication que Wade a réussie dans son parti trouvera une résistance ou un désaveu avec ses éventuels alliés.

Le rubicon est longtemps franchi par le libéral en chef, l’ampleur des fissures au P.D.S crée les incertitudes les plus avérées pour Karim et son père, certains militants (et d’ailleurs la majeure partie) n’accepteront pas de faire ce suicide politique en s’entêtant à laisser leur sort entre les mains de Karim qui veut vaincre sans péril. Pour la première fois de son cursus politique Madické pose un acte de grande portée. Seulement le hic est qu’il ne jouit d’aucune influence et comme le P.D.S n’est réceptif qu’à Abdoulaye Wade, l’alternative Madické aura des difficultés à se faire accepter.

La grande équation pour Maître Madické est d’essayer de réussir un combat où Maître Wade n’est ni partant, ni acteur et même hostile.

Dommage qu’il n’y ait personne au P.D.S qui puisse faire revenir le pape du Sopi à de meilleurs sentiments et à une meilleure option, alors que le plan B s’impose. Tant pis pour le P.D.S.

Ibrahima Ka est Administrateur adjoint de la Rencontre des Acteurs et Mouvements pour l'Emergence (RAMPE)

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