Le serpent de mer de la déclaration de patrimoine

18 - Juillet - 2020

Avril 2019-juillet 2020. Voilà maintenant 15 longs mois que l’Ofnac (Office national de lutte contre la fraude et la corruption) court derrière certains gros bonnets de la République, pour qu’ils fassent leur déclaration de patrimoine. En vain ! Pourtant, la loi n°2014-17 du 2 avril 2014 portant sur la question est très claire. Trois mois après leur nomination, les assujettis avaient l’obligation de faire parvenir la liste de leurs biens à l’organe de lutte contre la corruption. L’article 1er de ce texte dispose : ‘’Les personnes mentionnées à l’article 2 de la présente loi doivent, dans les trois mois qui suivent leur nomination, formuler une déclaration certifiée sur l’honneur, exacte et sincère de leur situation patrimoniale concernant notamment leurs biens propres ainsi que, éventuellement, ceux de la communauté ou les biens réputés indivis, en application de l’article 380 du Code de la famille. Ces biens sont estimés à la date du fait générateur de la déclaration, comme en matière de droit de mutation à titre gratuit.’’

Normalement, les membres du gouvernement actuel devaient donc s’y soustraire au plus tard en juillet 2019. Mais, à cette date, près de 50 % des assujettis narguaient encore la présidente de ladite institution. Parmi eux, de hautes personnalités de l’Etat et de l’attelage gouvernemental. D’habitude très discrète, trop même, de l’avis de nombreux observateurs de la société civile, la présidente Seynabou Ndiaye Diakhaté avait même été contrainte de se lâcher, devant un parterre d’ordonnateurs et de comptables. C’était le 16 juillet 2019, lors d’un atelier d’échange avec ces derniers. Elle révélait : ‘’A ce jour, on a reçu 680 déclarations, soit un peu plus de 50 % par rapport au nombre d’assujettis.’’

Depuis lors, c’est mystère et boule de gomme. Jusqu’à ce que le président fasse sa déclaration-aveu. En sommant ses ministres, avant-hier, de faire leur déclaration dans un délai de 45 jours, Macky Sall ne semble avoir réussi qu’une chose : porter à la connaissance du grand public que certains de ses ministres continuent de violer allègrement la législation. Qui sont-ils ? Les jours à venir seront certes édifiants.

En attendant, cet ancien membre de l’Ofnac assure que rien n’est nouveau sous le soleil. De 2014 à 2016, pas plus de la moitié des assujettis ne se conformaient pas à la législation en vigueur. Et malgré les multiples invitations de l’ancienne équipe, le chef de l’Etat n’a jamais daigné bouger le plus petit doigt pour inciter ses collaborateurs à respecter la loi. ‘’C’est lui-même qui protégeait certains récalcitrants. Il lui arrivait de se fâcher et de dire : Wày bàyil jàmbur, wày, bàyil jàmbur… (Laissez-le tranquille)’’, confie notre interlocuteur. Malgré sa ténacité, l’ancienne présidente, Mme Nafy Ngom Keita, n’a rien pu faire, jusqu’à son départ forcé de l’institution, avant même son terme.

Il n’empêche, la dernière sortie du président de la République reste pour le moins très troublante, aux yeux de certains observateurs. ‘’C’est étonnant’’, lance le président de Legs (Leadership, éthique, gouvernance et stratégie) Africa, Elimane Haby Kane. Qui ajoute : ‘’Le président sait très bien que c’est une obligation pour ses ministres. La loi leur impose de déclarer leur patrimoine dans un délai bien déterminé. A la limite, c’est un aveu du laxisme au sommet de l’Etat. Pourquoi leur donner 45 jours, alors qu’ils sont déjà en faute depuis des mois ? Ce n’est pas du tout compréhensible. C’est une grosse légèreté, à mon avis. On attend du chef de l’Etat qu’il soit beaucoup plus ferme avec ses collaborateurs qui violent la loi. D’autant plus que l’alerte a été lancée depuis longtemps par la présidente de l’Ofnac.’’

Pourquoi maintenant ?

Pourquoi maintenant ? Telle est la question qui taraude bien des esprits. En tout cas, en une semaine, l’espace politique, surtout le camp présidentiel, a été particulièrement agité. Entre la fronde initiée par le tonitruant député Moustapha Cissé Lo, qui menace de faire des déballages, la publication subite des rapports de l’Inspection générale d’Etat bloqués par le chef de l’Etat pendant 4 ans, les ambitions supposées ou réelles de certains compagnons de guerre… Le moins que l’on puisse dire est que la case du président brûle de partout. Rarement d’ailleurs, estiment certains, le chef de l’Etat n’a semblé aussi affaibli. Y a-t-il une volonté de reprendre la main ou de lâcher quelques collaborateurs ? Les questions vont bon train.

Selon certaines indiscrétions, le chef de l’Etat voudrait peut-être avoir une idée de l’arsenal de guerre sur lequel sont assis certains des membres du gouvernement.

En tout cas, ils sont nombreux les observateurs qui s’interrogent sur la volonté réelle de Macky Sall de promouvoir la transparence avec cette affaire de déclaration de patrimoine. Déjà, depuis des années, dorment sur la table du procureur de la République 25 dossiers du même Ofnac. Rien n’est fait pour élucider la lanterne des Sénégalais sur ces dossiers. Interpellé, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dakar disait : ‘’Tous les rapports de l’Ofnac sont en train d’être étudiés par la section financière de mon parquet. Prochainement, une conférence de presse sera organisée à cet effet. Je vous réunirai. Je sais qu’il y a beaucoup de bruit autour de cette question. Je vous en parlerai.’’ C’était en 2017, au cœur de l’affaire Khalifa Ababacar Sall. Depuis lors, pas grand-chose n’a été fait.

En sus de ces dossiers, il y a eu les rapports de la Cour des comptes et tant d’autres scandales qui ont défrayé la chronique. D’après Elimane Haby Kane, la situation actuelle n’aurait jamais dû exister dans un Etat normal. Et pour changer la donne, il préconise : ‘’Je pense qu’on doit même revoir la loi pour plus d’efficacité. La déclaration de patrimoine doit être faite avant même que le ministre ne prenne fonction. Au même titre que l’enquête de moralité, la déclaration de patrimoine doit faire partie de ces éléments qui valident le dossier d’un ministre. Comme ça, on n’aura plus à courir derrière un ministre pour lui demander de déclarer son patrimoine.’’

Par ailleurs, cette déclaration du chef de l’Etat remet au goût du jour le Code de transparence dans la gestion des finances publiques, adopté en 2012. Des pans entiers de cette législation semblent rangés aux oubliettes, renforçant les doutes sur la volonté réelle des pouvoirs publics. Il en est ainsi de la loi sur l’accès à l’information qui n’a toujours pas été votée. Aussi, se demandent certains observateurs, Macky Sall a-t-il lui-même fait sa déclaration de patrimoine devant le Conseil constitutionnel ? Pourtant, en ce qui le concerne, la loi est très claire. Il ressort de l’article 37 alinéa 3 de la charte fondamentale que : ‘’Le président de la République nouvellement élu fait une déclaration écrite de patrimoine déposée au Conseil constitutionnel qui la rend publique.’’ La publicité n’ayant pas été faite, on peut aisément supposer qu’il n’a rien déclaré, même si un document qu’on présente comme la liste de son patrimoine circule, ces temps-ci, sur les réseaux sociaux.

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