Lettre au Professeur Moussa Seydi: Respects !
C’est vers vous, Cher Professeur, que je me tourne ce matin non pas pour vous célébrer parce qu’en homme de devoir vous n’attendez pas des fleurs pour le job que votre conscience vous dicte de faire avec rigueur et dévotion au service de tous. Le Sénégal entier vous a déjà élu dans son cœur: votre dévouement a même fini de forger des vocations.
Vous vous êtes ainsi pérennisé en vous posant en rôle-model, en exemple à émuler pour tant de nos jeunes compatriotes qui voient en vous une alternative plus valorisante que les “vedettes” de pacotilles, souvent crapuleuses, n’ayant progressé dans l’échelle sociale que par des expédients et autres activités louches ou ludiques qui font reculer notre pays dans la compétition inter-Etatiques planétaire.
Je n’ai pas besoin de vous dire que vous êtes, par la force du destin, devenu cet improbable héros, ce “people”, cette rockstar involontaire qui s’est retrouvé, à son corps défendant, sorti de son univers fumeux des laboratoires et momentanément hors de son cercle habituel, glaçant, rempli de malades désespérés, frappés par les maladies infectieuses, souvent transmissibles...
Votre blouse blanche ne passe plus inaperçue. Tous les regards et cœurs battants des Sénégalais sont accrochés à vos lèvres, et ils comptent sur votre science et sagesse, votre sérénité, pour comprendre et espérer s’en sortir de cette terreur qui les grippe.
Vrais héros
En vous, le Sénégal découvre soudain qu’il a de vrais héros. Homme de science, et donc humble par définition, vous ne cherchez pas à accaparer les feux de la rampe. La science avance par impulsion, avait déjà remarqué Albert Einstein. Et vous savez que ces percées homéopathiques ne sont pas que le fruit de vos élucubrations fussent-elles les plus profondes. Vous partagez cette quête de savoir et la posture hollywoodienne avec vos collègues. Avec eux, les sénégalais sentent qu’ils ont affaire à des gens sérieux. Qui parmi eux n’a pas noté la barbe finement taillée et les costumes tout aussi impeccables de votre jeune collègue, Docteur Bousso? L’écouter parler apporte un zeste de foi en votre art, la médecine. Nul n’est aussi insensible à la puissante image de dame sans fioritures ni thiakhaneries que dégage Marie Khemesse Ndiaye: on l’imagine sortie d’une case du Saloum, en matrone traditionnelle, faisant le compte rendu d’une séance de délivrance. Peu soucieuse de l’éclat des caméras qui braquent journellement, ces temps-ci, son visage.
Thomas Kuhn, le théoricien des paradigmes, avait raison de penser qu’ils naissaient des neurones d’êtres qui vous ressemblent: fourmis dans une fourmilière, œuvrant inlassablement pour servir la cause commune.
Ce matin, je veux, en vous, professeur Seydi, rendre hommage à tous nos compatriotes qui sont les “unsung heroes”, les héros ignorés, de notre pays.
Il n’y a pas que les professeurs de médecine ayant blanchi sous le harnais. Sur les bancs de l’école, pendant près de 20 ans, vous avez cherché science, savoir et sagesse pour servir la société sans vous en vanter. Au pinacle de votre posture, vous, et vos pairs, êtes cependant restés suffisamment terre à terre pour comprendre la dynamique de la fourmilière. Aucun de ses membres n’est à négliger. Femmes de chambres, aides soignants, infirmiers, gardiens, tous participent à cet écosystème qui, malgré la modicité des équipements et la faiblesse des revenus financiers crée une ambiance propice au déploiement d’un sacerdoce presque d’un autre âge.
Vous et vos collègues méritez de la nation. Vous lui rappelez sans cesse que l’égoïsme n’est pas son destin mais la générosité.
Comme tant d’autres sénégalais, je peux d’ici citer des blouses blanches qui font honneur à leur serment d’Hippocrate: mon vieil ami, le Professeur émérite Souleymane Mboup dont les recherches ont franchi les frontières du Sénégal depuis la nuit des temps; le jeune Professeur, étoile montante de la médecine sénégalaise, Daouda Ndiaye, dont il me plait de mettre en exergue l’humilité exquise qui l’a fait m’écrire pour me faire son...oncle -quelle grandeur!; ou encore le Professeur Ardo Ba qui un après-midi, voici 15 ans, me sauva la vie en m’opérant d’une occlusion intestinale -étrangement, ce jour-là, le seul qui attendait la conclusion de l’intervention de trois heures n’était autre qu’un certain Malick Sall, gentil ami alors, hélas transformé en monstre par une société devenue inhumaine.
Reputation
Je salue en vous Professeur Seydi tous les hommes et femmes qui tentent par leurs efforts de maintenir la réputation de notre pays comme hub de science médicale renommé où, de la France au Maghreb et bien au delà, viennent se former des élites qui servent remarquablement sous d’autres cieux.
Je suis heureux de voir les foules de Kolda à Kedougou vous accueillir comme il se doit: en allié de leur bien être. Je vous félicite d’avoir porté la voix des populations de Ziguinchor tétanisées par l’inexistence d’une salle de réanimation que vous avez eu l’éthique et le cran de révéler à la face d’une nation stupéfaite.
À la vérité, dans votre métier comme dans ceux, nombreux et discrets, qui œuvrent au développement du pays, on fait les choses en hommes de devoir. Je n’ai pas besoin de lister ces héros oubliés de ceux qui délivrent cauris et ragnes, ordres nationaux, récompenses plutôt délivrées aux esbroufeurs qu’aux vrais méritants.
Je sais, Professeur Seydi, que vous n’en demandez pas tant. Et si vous me lisez, ce qui n’est pas évident, car vous êtes au front, bistouris et flocons dirigés vers ce virus pour l’évincer de notre espace et du monde, vous devez vous dire que votre badge d’honneur, c’est de sauver des vies.
Je vais donc conclure. Sans oublier de partager avec nos lecteurs le sentiment encore plus profond que j’ai en m’adressant à l’un des hommes, et à travers lui, à toute une corporation, qu’une pandémie a forcé à sortir de ses pénates.
Ce sentiment se résume en une phrase: Les uns suent. D’autres se sucrent. Ils sucent. Les uns sont des héros ordinaires. D’autres sont des zéros qui alignent des zéros sur le dos des finances de la nation.
Professeur Seydi, laissez-moi alors mettre en contraste votre sens du service public, dussé-je heurter votre humilité, et celui de la boulimie de ceux qui, au moment où vous êtes le fantassin à l’avant-garde de la guerre contre le coronavirus, font ce qu’ils savent le mieux faire: vider de son sang une nation déjà exsangue.
Vous suez pour tous. Ils sucent: je ne peux ne pas vous proposer en modèle contre les contre-modèles qui sont en ce moment précis accrochés au flanc de notre société nationale d’électricité pour y perpétrer les pires crimes. Les mêmes que l’on retrouve à la SAR, la raffinerie nationale, et tous les lieux de fraudes.
Cas, sans être exhaustif, de Samuel Sarr, ancien vendeur de pneus à Banjul, zéro diplôme, repris de justice recyclé par Macky Sall; Aly Gueye, truand au long cours qui a racheté sa liberté de prison pour retourner piller la Senelec; Mouhamadou Makhtar CISSE, Pape Demba Biteye, Amadou LY et tous les autres qui se sont fait pour spécialité de comploter contre le peuple et le pays. Ceux qui sucent ont fini par imposer leurs paramètres à une société devenue vénale, quand ceux qui suent, comme vous, Professeur Seydi, sont réduits à manœuvrer entre rats, infrastructures défaillantes, insuffisances de moyens et matériels, entre les morts et les mourants, pour maintenir allumée la mince flamme de l’espoir sur une nation en berne.
Le vrai échec de Macky Sall a été de miser sur les suceurs qui lui ressemblent, de ne s’entourer que de tels salauds, et de ne protéger qu’eux, quand le minimum vital vient à manquer à un pays où les vrais héros ne rêvent que de se dévouer pour tous. Le Sénégal de demain ne se fera pas sans renvoyer hors des vues tous les brigands, vagabonds, qui ont longtemps, trop longtemps, été laissés à l’air libre pour le polluer.
Alors, gros plan, cameras réorientés, que la lumière soit enfin sur celles et ceux qui le méritent. Ne vous gênez plus. L’avantage de cette pandémie, a quelque chose malheur étant bon, est d’offrir aux sénégalais une vraie idée des réalités et des valeurs. Notamment des têtes dignes de leur considération.
Comme pour eux, sachez, Professeur Moussa Seydi, qu’avec vos collègues, où qu’ils se trouvent au Sénégal, vous avez conquis de haute lutte mon respect. Définitif !
Adama Gaye, Le Caire, 5 Mai 2020