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Macky Sall, le (seul) maître du jeu politique ?

04 - Octobre - 2019

Une poignée de main très médiatisée puis une grâce présidentielle inattendue. En trois jours, le président Macky Sall a fait deux gestes forts en direction de ses meilleurs « ennemis » politiques. La réconciliation de Macky Sall avec son prédécesseur Me Abdoulaye Wade, le vendredi 27 septembre 2019, puis la libération de l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, le dimanche 29 septembre 2019, ne sont pas dénuées d’arrière-pensées politiques. Comment comprendre cette « séquence de la main tendue » ? Le Témoin tente d’y voir clair...

Le président Macky Sall, à l’image d’un stratège militaire, sait peaufiner sa tactique politique et manœuvrer. Peu bavard, mais très calculateur, surtout quand il donne l’impression de somnoler, l’ingénieur devenu président se penche sur une équation et applique les théories géologiques pour résoudre les problèmes politiques. Contrairement à Karim Wade, l’héritier biologique de Me Wade, et Idrissa Seck l’héritier spirituel, le président Macky Sall est, lui, le véritable élève du Maître, auprès de qui, il a assimilé les leçons de « realpolitik ». L’homme aura réussi à comprendre mieux que tout le monde, Senghor y compris, à quel moment il faut parler à Wade, et à quel autre moment il faut l’ignorer.
Depuis 2012, date de sa chute, Me Wade a perdu ses grands repères en politique. Il a sans doute eu quelques moments de gloire après sa chute mais le patron de l’APR, qui lui a succédé au pouvoir, a finalement cassé la démarche de son ancien mentor tant sur la forme que sur le fond. Wade n’est pas un homme qu’on fait attendre, il n’aime pas non plus perdre la main, mais Macky Sall a non seulement réussi à entrer dans son jeu, mais l’a aussitôt détruit de l’intérieur sans bruit. Pendant plus de trois ans, Wade a couru derrière une amnistie pour faire revenir au Sénégal son fils, qui a accepté son sort et qui sait que, dans le jeu politique national, il y a un maître incontestable, et il se nomme Macky Sall. Ce dernier a décidé de remettre la date du retour de Karim Wade au bercail à une date ultérieure. À plus de 7000 km à vol d’oiseau de Dakar, Wade fils attend avec impatience une autorisation de rentrer au pays. En sus de Me Wade et de Karim, Macky a aussi réussi, avec finesse mathématique, à résoudre une autre équation qui risquait de lui mettre les bâtons dans les roues. Il s’agit de Khalifa Ababacar Sall, qui, sans munitions et avec des armes désuètes, voulait lui ravir son fauteuil. Dans ces conditions, évidemment, l’ex- maire de Dakar n’avait aucune chance d’échapper au rouleau compresseur du locataire du palais de la République. Lequel a fait faire le « sale boulot » à d’autres, sans montrer le moins du monde son désir de liquider politiquement l’édile de Dakar. Ce qui fut fait.
IBRAHIMA BAKHOUM : « S’il y a quelqu’un qui est un maître dans ce jeu, c’est plutôt Me Khassimou Touré »
Réélu avec 58,26 % des voix en février dernier, le président de la République a jugé ainsi nécessaire de décrisper le climat politique. Il lui fallait donc saisir la première occasion qui se présentait pour pacifier. Il a profité de l’opportunité offerte par l’inauguration de la Grande Mosquée Massalikoul Djinane et des bons offices du Khalife général des Mourides, Serigne Mountakha Mbacké Bassirou, pour donner un os à ronger à la population. En trois jours, il fait deux gestes forts à destination de ses meilleurs « ennemis » politiques. D’abord, il s’est réconcilié avec Me Abdoulaye Wade, le vendredi 27 septembre 2019. Puis, dans la foulée, il a libéré l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, le dimanche 29 septembre 2019. Deux gestes qui ne sont pas dénués d’arrière-pensées politiques. Comment comprendre cette « séquence de la main tendue » ? Selon le journaliste Momar Diongue, sans l’inauguration de Massalikoul Djinane, il serait difficile de voir une réconciliation entre Macky et Wade. Cette réconciliation n’a été rendue possible, selon lui, que grâce à la bénédiction du Khalife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké Bassirou. Momar Diongue ne pense donc pas que Macky l’ait réalisée au moment voulu. S’agissant du cas Khalifa Sall, notre confrère estime que le dossier a été beaucoup plus gênant et encombrant pour Macky Sall. Il rappelle à cet effet que Khalifa Sall était maire de Dakar et a aussi réussi à être élu député depuis la prison où il se trouvait. La deuxième chose qui rendait cette situation plus compliquée pour Macky Sall, selon Momar Diongue, c’est le fait qu’il avait comme codétenu Mbaye Touré qui est un disciple de Serigne Mountakha. Il s’y ajoute que Khalifa Sall était présent sur la scène politique et médiatique. Mieux, poursuit Momar Diongue, ses partisans avaient également réussi à recueillir un million de signatures pour le faire libérer. « Compte tenu de tout cela, le dossier Khalifa Sall était une patate chaude », estime le chroni- queur de la SenTv.
Le doyen Ibrahima Bakhoum est du même avis que lui. A l’en croire, en effet, l’emprisonnement de Khalifa Ababacar Sall commençait à peser sur l’image de la démocratie sénégalaise. « Chacun voulait se sortir de cette situation. Et il fallait un coup de maître et ouvrir la porte à Macky. Le coup de Macky, c’est d’avoir profité du vœu de Me Khassimou Touré de vouloir sortir de prison son frère. S’il y’a donc quelqu’un qui est un maître dans ce jeu, c’est plutôt Me Khassimou Touré qui a su permettre au président de la République de sortir de prison. Car c’est lui, Président, qui était en prison et avait besoin de décrispation dans le pays », analyse notre interlocuteur.
MOMAR DIONGUE : « En se réconciliant avec Me Wade et en libérant Khalifa Sall, Macky va créer un choc d’ambition au sein de l’opposition »
Même le président de la République était à un moment donné obligé de se débarrasser de la patate chaude en libérant Khalifa Sall et aussi, cerise sur le gâteau, de se réconcilier avec Me Abdoulaye Wade. En frappant ces deux grands coups, il semble rester le maître du jeu politique. Et peut bien tirer profit aussi bien politique que social de ce qu’il vient de faire. Pourquoi? Parce que, selon le journaliste Momar Diongue, tout le monde sait que la situation économique est morose. Le Fond monétaire international (Fmi) a d’ailleurs alerté en de- mandant d’arrêter certaines subventions, d’appliquer la vérité des prix, d’élargir l’assiette fiscale. «Il y a eu la hausse du prix du carburant, du ciment, aujourd’hui une hausse de la baguette du pain est agitée entre autres. Donc, la situation économique, politique et sociale n’est pas favorable à Macky Sall. A cela s’ajoute le boycott de la rentrée des classes par la plupart des syndicats d’enseignants, et une grogne d’organisations syndicales d’autres secteurs. En plus de cela, il y a son jeune frère qui est cité dans un scandale pétrolier. Face à cette situation, il a compris qu’en décrispant le climat politique, il peut adoucir le choc social et économique », explique M. Diongue. Selon l’ancien journaliste du défunt hebdomadaire « Nouvel Horizon », la réconciliation que le Président vient de faire avec Wade pourrait lui servir d’amortisseur face aux difficultés auxquelles est confronté son gouvernement. Selon le chroniqueur du groupe D-médias, Macky Sall tire aussi un gain politique par rapport aux gestes qu’il a posés. Ce gain politique, c’est qu’il réussit à « neutraliser » un Ousmane Sonko, qui occupait l’espace politique. « Macky avait en face de lui Sonko qui commençait à emmerder son régime. En effet, ce dernier grâce aux polémiques sur les hydrocarbures avait aussi réussi à être au-devant des groupes comme ‘’Ar Li Nu Bokk’’. En se réconciliant avec Me Wade et en libérant Khalifa Sall, Macky réussira à créer un choc d’ambitions au sein de l’opposition. Mieux, Macky vient de faire revenir le Pds au centre du jeu en bousculant Ousmane Sonko qui était seul dans un espace politique complètement vide », explique en conclusion Momar Diongue.
Le chef de l’Etat a en tout cas réussi à matérialiser son vœu de réduire l’opposition à sa plus simple expression. Chose promise, chose faite car Macky Sall, au cours de son premier mandat, a neutralisé la puissante machine de l’opposition. Sous ce rapport, on peut dire que le tombeur de Wade est loin d’être un petit acteur de la scène. Bien au contraire, il est tout simplement ingénieux et génial en politique...

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