Moussa Taye explique en 11 points l'arrêt rendu par la Cour de justice de la CEDEAO.

14 - Juillet - 2018

« Afin que les choses soient claires dans l’esprit de chacun, il est nécessaire de synthétiser en « quelques lignes et de façon objective, ce que dit réellement la Cour de Justice de la CEDEAO dans la décision qu’elle a rendu le 29 juin 2018, dans l’affaire Khalifa Ababacar Sall et autres contre l’Etat du Sénégal :

1. La Cour rappelle à titre préliminaire que si elle n'a pas pour compétence de réviser les décisions rendues par les juridictions des Etats membres et n’est ni juridiction d'appel ni de cassation des décisions des juridictions nationales, elle a compétence pour connaître des cas de la violation des droits de l'homme dans tout État membre.

2. Sur la violation du droit à l'assistance d'un conseil : pages 26 à 30
La Cour réaffirme que « autant elle n'est pas juge d'appel ou de cassation des décisions des juridictions nationales, autant de telles décisions ne peuvent faire obstacle à son intervention quand il s'agit de faits relevant de sa compétence à savoir en l'espèce la violation d'un droit fondamental… », rappelant que le juge communautaire «… ne saurait rester inerte face à une violation flagrante des droits de l'homme, peu importe l'acte qui est à l'origine de cette violation ».
La cour sanctionne ici en des termes extrêmement forts la violation du droit à l'assistance d'un conseil dont Khalifa Ababacar Sall a été victime, en soulignant que cette violation est de la totale responsabilité de l'État du Sénégal.

3. Sur la violation de la présomption d'innocence : pages 30 à 33
La cour rappelle une jurisprudence désormais établie au plan international sur l'équilibre entre le droit à l'information et le droit à la présomption d'innocence.
La condamnation des propos du Procureur est sans appel : «… de tels propos, véhiculés par une autorité judiciaire appelée à concourir à la procédure, ne peuvent laisser place à aucun doute dans l'esprit du public auquel ils sont destinés »

4. Sur la violation de faire appel à des témoins et de celui de solliciter une expertise : pages 34 à 36
Le recours est sur ce point rejeté au motif que le rejet des demandes d'audition de témoins et d'expertise ne constitue pas en soi une violation des droits.

5. Sur la violation du droit d'égalité des citoyens devant la loi et la justice : pages 36 à 38
Il s'agit là encore d'un rejet, qui n'est pas vraiment surprenant.

6. Sur la violation du droit à un procès équitable : pages 38 à 41
La cour considère que le juge d'instruction ne pouvait pas clôturer la procédure alors que l'appel interjeté contre sa décision de refus d'audition de témoins et de demande d'expertise était en cours. L'argument soulevé par l'État Sénégalais de l'article 181 du code de procédure pénale est écarté d'un trait de plume : « le juge d'instruction ne doit pas mettre un terme à l’information pendant que des recours exercés contre ces décisions ou susceptibles d'être exercés attendent leurs suites logiques à savoir leur examen par la juridiction d'instruction du second degré ».
Là encore la condamnation est sans appel : « l'État du Sénégal, par le truchement de ses agents judiciaires et notamment du juge d'instruction, a failli à l'obligation de garantir aux requérants un procès équitable ».

7. Sur la violation des droits politiques de Khalifa Ababacar Sall : pages 41 à 44
Ce moyen a logiquement été rejeté, la cour relevant que Khalifa Ababacar Sall a pu se porter candidat. À noter cependant que la cour en profite pour rappeler des principes extrêmement forts sur le droit de voter et d'être élu que chaque État membre doit veiller à faire respecter, y compris s’agissant des détenus, dès lors qu'ils n'ont pas été définitivement privés de leurs droits civiques.

8. Sur la procédure de levée de l'immunité parlementaire : pages 45 à 47
La cour constate que Khalifa Ababacar Sall a été invité à être entendu devant la commission et qu'il a refusé, tant qu'il était détenu.

9. Sur la détention arbitraire : pages 47 à 50
La cour considère qu'après l'élection de Khalifa Ababacar Sall il appartenait à l'État Sénégalais d'entamer les procédures appropriées pour « soit suspendre sa détention soit obtenir la levée de son immunité parlementaire ». Elle relève que l'État était à ce point convaincu de l'irrégularité de la détention qu'il «… s'est résolu à solliciter et à obtenir la levée de son immunité parlementaire le 25 novembre 2017, c'est-à-dire juste quelques jours avant la clôture par le juge d'instruction son information » (cette dernière précision n'étant pas indifférente).

10. Sur la réparation sollicitée : pages 50 à 51
Le principe et le montant des condamnations proposées marquent la gravité des violations constatées.

11. Synthèse :
La cour retient la violation du droit à l'assistance d'un conseil, du droit à la présomption d'innocence et du droit à un procès équitable et dit que la détention de Khalifa Ababacar Sall pour une période déterminée est arbitraire. Elle en conclut que la responsabilité de l'État du Sénégal doit être retenue. Il appartient aux juridictions nationales, auxquelles cette décision s’impose d’en tirer toutes les conséquences.

Moussa Taye
Conseiller politique du Maire de la Ville de Dakar

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