NECESSITE D’UNE REVISION CONSTITUTIONNELLE SUR LA LIMITATION DU MANDAT DU PRESIDENT LES ACTEURS POLITIQUES APPROUVENT

10 - Octobre - 2017

Remis au goût du jour par le professeur en droit constitutionnel, Babacar Guèye, la possibilité pour le chef de l’Etat, Macky Sall, d’user d’artifices juridiques pour briguer un troisième mandat en 2024, conformément aux dispositions de l’actuelle Constitution, inquiète plus d’un. Les fâcheux événements survenus entre 2011 et 2012, suite à la volonté du président de la République d’alors, Abdoulaye Wade, de se présenter pour un troisième mandat, y sont passés. Interpellé sur l’alerte du professeur Babacar Guèye, le porte-parole de la Ligue démocratique (Ld), Moussa Sarr, qui ne voit aucune ambigüité sur la durée du mandat présidentiel qui est de 5 ans une fois renouvelable, pense tout de même «qu’il importe d’inscrire une fois pour toutes dans nos mœurs et dans notre pratique politique la nécessité pour tout Président de la République d’exercer le pouvoir pendant deux mandats, au maximum». Le ministre conseiller, membre du Secrétariat exécutif de l’Alliance pour la République (Apr), Zahra Iyane Thiam Diop, pour sa part, reste formel sur l’inopportunité de soulever un tel débat, tout en pensant que «la morale et l’éthique politique interdisent au chef de l’Etat cette possibilité». Il en est de même du coté du Parti pour l’unité et le rassemblement (Pur), par la voix de son coordonnateur national, professeur El Hadj Issa Sall, qui opte pour l’insertion de ladite question au menu du dialogue, dans la mesure où «une révision qui rendrait la Constitution plus explicite et plus intelligible ne serait pas de trop», selon lui.

MOUSSA SARR, PORTE-PAROLE DE LA LD : «Il importe d’inscrire une fois pour toutes dans nos mœurs… la nécessité pour tout Président d’exercer le pouvoir pendant deux mandats, au maximum»

Il est loisible au Pr Babacar Guèye d’alerter l’opinion, mais moi, je n’ai pas noté dans l’espace public un débat relatif à la possibilité pour le Président Macky Sall de briguer un 3ème mandat, en 2024. Pour rappel, en mars 2016, le peuple souverain a procédé à une révision constitutionnelle et non à un changement de Constitution. Les nouvelles dispositions contenues dans la Constitution et relatives au nombre et à la durée des mandats présidentiels sont énoncées clairement. En effet, il est indiqué, sans aucune ambiguïté, que la durée du mandat est de 5 ans et qu’il est renouvelable une fois. Cela étant rappelé, je laisse le débat juridique aux experts qui, eux mêmes, vont s’adonner à diverses interprétations.
En revanche, me situant sur le terrain de la pratique politique, j’en appelle à la lucidité et à l’esprit de responsabilité de tous les acteurs politiques pour qu’il n’y ait plus, dans ce pays, un débat sur la possibilité d’un 3ème mandat pour un Président de la République, quel qu’il soit. Entre 2011 et 2012, ce débat nous a été imposé par le projet fou d’Abdoulaye Wade d’une dévolution monarchique du pouvoir. Le prix que les forces démocratiques ont payé pour faire face a été énorme : beaucoup de Sénégalais ont perdu leur vie et l’économie a été fortement éprouvée.
C’est dire qu’au delà des artifices juridiques, il est impératif de se limiter à l’exigence démocratique de la limitation des mandats présidentiels. Tout Président de la République qui exerce le pouvoir pendant 2 mandats doit organiser des élections libres et transparentes et remettre le pouvoir à celui que le peuple aura choisi souverainement. C’est la condition de la paix et de la stabilité de nos pays.
Partout, en Afrique notamment, le non-respect de la limitation des mandats présidentiels à deux est à l’origine de crises aux conséquences économiques et sociales incalculables. L’expérience récente montre que le Sénégal n’est pas définitivement à l’abri. Dès lors, il importe d’inscrire une fois pour toutes dans nos mœurs et dans notre pratique politique la nécessité pour tout Président de la République d’exercer le pouvoir pendant deux mandats, au maximum. Sans recourir à des artifices juridiques en vue de prolonger indéfiniment l’exercice du pouvoir.

EL HADJ ISSA SALL, COORDONNATEUR NATIONAL DU PUR : «On doit travailler… à rendre la Constitution plus claire»

Le professeur Guèye a bien alerté, mais il serait souhaitable que son alerte se fasse bien avant le référendum. Peut-être qu’il est lui aussi piégé comme tous les Sénégalais ? Je pense qu’une révision qui rendrait la Constitution plus explicite et plus intelligible ne serait pas de trop. Ce sont ceux qui entourent le Président et rédigent la Constitution qui sont à l’origine de ce flou généralisé. Presque tous les articles de la Constitution prêtent à équivoque.
Si on prend l’alinéa 2 de l’article 27 qui dit que «nul ne peut exercer deux mandats consécutifs», l’actuel président ne pourra pas se présenter en 2024, car il aura fait un mandat de 7 ans consécutif à un mandat de 5 ans. Mais tout cela suppose qu’il rempile en 2019. La tendance actuelle ne lui est pas trop favorable. Cet alinéa aurait dit deux mandats consécutifs de 5 ans, il existerait là une possibilité de se représenter et cela nous renvoie exactement à la jurisprudence wadienne. Plus flou encore est l’article 58 qui parle de l’opposition. Pourtant la Constitution de 2001 était très claire sur la question.
Je pense qu’en plus des Sénégalais sans papier car n’étant en possession d’aucune pièce d’identification, du fichier qu’il faut auditer, du processus qu’il faut revoir, du statut de l’opposition, on doit travailler pendant les discussions, lors du dialogue politique, à rendre la Constitution plus claire».

ZAHRA IYAN THIAM DIOP, MEMBRE DU SECRÉTARIAT EXÉCUTIF DE L’APR : «Si tant est que pour rassurer l’opinion publique, on doit aller vers une révision de la Constitution...»

«Cette sortie du professeur Babacar Guèye ne me parait pas opportune dans la mesure où c’est juste défoncer une porte déjà ouverte. Rappelez-vous le chef de l’Etat, lorsqu’il a voulu réduire la durée de son mandat actuel de sept à cinq ans, la Constitution ne lui avait pas permis quand bien même c’était son ardent désir. Aujourd’hui, il a rendu intangible ce désir de ne pas faire plus de deux mandats à travers le référendum du 20 mars 2016 dernier. De mon point de vue, je pense que cette question de troisième mandat ne doit plus susciter un débat au Sénégal. Il n’est de la responsabilité d’aucune autre personne que du président de la République de respecter son engagement de ne pas faire plus de deux mandats.
Donc, je ne vois pas la pertinence de ce débat en ce sens où il ne se pose au niveau du président de la République. En plus, avant de parler de 2024, il faut d’abord franchir le cap de 2019. Aujourd’hui, plusieurs défis se dressent à nous d’ici à 2019. Mais, si tant est que pour rassurer l’opinion publique nationale et internationale, on doit aller vers une révision de la Constitution, attendons de voir si le président veut briguer un troisième mandat, ce que je ne pense pas. Car, la morale et l’éthique politique interdit le chef de l’Etat cette possibilité.

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