«ON GAGNERAIT A EVITER DE POLITISER CES MANIFESTATIONS RELIGIEUSES»

17 - Novembre - 2016

«ON GAGNERAIT A EVITER DE POLITISER CES MANIFESTATIONS RELIGIEUSES»

Pour comprendre la ruée des hommes politiques vers les foyers religieux, à la veille des grandes manifestations religieuses, Maurice Soudieck Dione, Docteur en Science politique, nous ramène au contrat social entre le marabout et le prince, permettant de stabiliser l’ordre sociopolitique impérial. L’enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, qui est d’avis qu’on assiste au déclin du «ndigël», pense toutefois que «les hommes politiques sont encore conditionnés par la sédimentation de ces pratiques lointaines». Cependant, il estime «qu’on gagnerait à éviter de politiser ces manifestations religieuses», dans la mesure où «l’obtention de dividendes politiques incidents, est plus qu’incertain». Par conséquent, il pense que l’Etat doit garder la souveraineté qui lui a été confiée par le peuple.

Depuis plusieurs années, la classe politique sénégalaise nous a habitués à une ruée vers les foyers religieux à la veille des grands événements. Une pratique qui est toujours d’actualité, même si par ailleurs, certains pensent que le «ndigël» est révolu au Sénégal. Comment comprendre cette attitude des hommes politiques ?

Je pense que c’est une survivance tenace de la culture politique sénégalaise, à travers ce qu’on a appelé le contrat social entre le marabout et le prince, profondément ancré dans l’histoire politique du Sénégal. Dans les monarchies traditionnelles en effet, les marabouts officiaient comme secrétaires - en tant qu’ils étaient lettrés -, comme cadis, conseillers ou préparateurs mystiques ; ils pouvaient être également à la tête de communautés villageoises, avec des terres à eux concédées, sous réserve d’observer la règle tacite de ne point se mêler des conflits et contradictions de pouvoir.

Pendant la colonisation, la stabilisation de l’ordre sociopolitique impérial s’effectue grâce aux marabouts qui ont joué un rôle d’interface entre le colonisateur et les populations, en encadrant celles-ci à travers les structures confrériques. Ils ont été des relais administratifs efficaces, dans un contexte d’effondrement des institutions politiques traditionnelles que celles coloniales ne pouvaient remplacer judicieusement en raison de leur extranéité.

Avec l’avènement de l’Etat postcolonial, cette alliance politico-maraboutique se perpétue à travers les réseaux clientélistes qui assurent la pénétration et la socialisation de l’Etat, avec le binôme développement de l’administration et administration du développement, et où les marabouts sont des intermédiaires électoraux pragmatiques qui votent et font voter massivement les populations au profit du parti au pouvoir, qui leur accorde beaucoup de privilèges matériels et symboliques. Aujourd’hui l’autorité des marabouts est cantonnée au domaine spirituel, qui est en vérité leur domaine de prédilection et de compétence, avec le déclin du «ndigël»; ces consignes de vote jadis données, et maintenant rejetées par des disciples que la maturité politique et citoyenne a émancipé, en les amenant à distinguer clairement les deux sphères : se prononcer librement et en toute responsabilité sur la conduite des affaires publiques, au plan temporel, tout en conférant aux marabouts tout le respect et la considération dus à leur rang, au plan spirituel. Au demeurant les hommes politiques sont encore conditionnés par la sédimentation de ces pratiques lointaines profondément enfouies dans la culture et l’histoire du pays, en ce qui concerne les rapports entre le politique et le religieux, malgré l’évolution du contrat entre le marabout et le prince.
L’autre constat est que c’est lors de ces visites que les hommes politiques font des sorties d’envergure.

Pensez-vous que ce soit le lieu approprié pour faire de telles déclarations quand on sait que la religion et la politique ne font pas forcément bon ménage ?

D’abord il faut dire que pour des raisons d’efficacité communicationnelle, les hommes politiques s’emploient à faire des déclarations lors de ces grands événements religieux, qui sont des occasions où des foules considérables venant de tous les horizons du pays et de l’étranger sont drainées. Ces événements sont donc retransmis par tous les médias, et donc les messages qui y sont délivrés ont un effet de propagation, voire de propagande exponentielle et exceptionnelle. Cependant, on gagnerait à éviter de politiser ces manifestations religieuses, d’autant plus que l’obtention de dividendes politiques incidents, est plus qu’incertain. On gagnerait plutôt à en faire juste des occasions pour rendre hommage au pouvoir religieux. Libérer ainsi les religieux des contingences politiciennes, c’est leur permettre de jouer véritablement leur rôle qui est de dénoncer l’arbitraire et les injustices sociales d’où qu’elles viennent, de rappeler à tous, sans complaisance, les principes et préceptes divins, de réaffirmer avec force les fondamentaux qui assurent la stabilité politique et l’harmonie sociale. Or si les marabouts sont les obligés des tenants du pouvoir, ils peuvent difficilement remplir cette mission ô combien vitale.

Avec cette tendance à vouloir attirer les projecteurs sur eux quand ils sont dans les villes religieuses, n’est-ce pas là un moyen de rester toujours sous l’emprise des pouvoirs religieux, même étant aux affaires ?

Cette soumission des hommes politiques aux marabouts doit être dépassée pour renforcer les institutions de la République. Historiquement les confréries ont certes été des intermédiaires efficaces entre le colonisateur et les populations, pour les amener à payer l’impôt, à s’engager dans l’armée, à pratiquer la culture commerciale de l’arachide, etc., mais elles ont été aussi des instruments de résistance passive, pour préserver à travers la culture et la religion, l’identité sénégalaise, contre la domination et l’aliénation coloniales. Mais aujourd’hui cette période est révolue, il y a un travail de réappropriation de la République qui reste à faire, car elle est la propriété de tous les Sénégalais, qui doivent s’investir pour promouvoir la défense de ses valeurs, relatives à l’institutionnalisation du commun vouloir de vie commune, au-delà de la diversité culturelle, religieuse, ethnique, confrérique, sociologique et linguistique du pays.

Promouvoir également le respect du bien public et du bien commun pour un profit égal pour tous les Sénégalais, afin de raffermir la paix, et renforcer la cohésion nationale. Cela suppose donc de sortir de l’opposition des deux ordres de domination : un ordre de domination politique jugé comme étant occidental, occidentalisé et d’occidentalisation, et un ordre de domination religieux qui lui résiste, tout en tirant de manière opportuniste ses intérêts dans son rapport à lui ! Le religieux doit donc rester dans le domaine spirituel, et que la gestion de la chose publique se fasse à travers une confrontation d’idées entre citoyens rationnels, raisonnables et responsables. Le pouvoir souverain que le peuple a confié à ses élus pour un temps, ne doit pas être délégué ou légué aux marabouts. L’Etat doit être un acteur dominant et transcendant de la vie sociale, pour jouer son rôle d’arbitre impartial et intransigeant dans l’application de la loi, qui doit être la même pour tous ; il doit s’émanciper des intérêts particuliers, corporatistes ou autres, en tout ce qu’ils peuvent contredire l’intérêt général et national. Mais il semble que les citoyens comme les marabouts d’ailleurs, qui refusent pour la plupart de donner des consignes de vote, sont en avance sur les hommes politiques, qui ont tendance à chercher à ramener le peuple en arrière lorsque celui-ci avance!

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