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POLEMIQUE SUR L’INDEPENDANCE DE LA JUSTICE ET DEMISSION DU JUGE IBRAHIMA HAMIDOU DEME DU CSM DIALOGUE DE SOURDS

14 - Février - 2017

POLEMIQUE SUR L’INDEPENDANCE DE LA JUSTICE ET DEMISSION DU JUGE IBRAHIMA HAMIDOU DEME DU CSM DIALOGUE DE SOURDS

Les magistrats et l’Etat n’émettent plus sur la même longueur d’ongle. La dernière sortie du ministre de la Justice, Garde de Sceaux, Sidiki Kaba, suite à la publication de la lettre de démission du juge Ibrahima Hamidou Dème du Conseil supérieur de la magistrature (Csm), révèle le malaise dans le milieu judiciaire. Attaqué par le Garde des Sceaux, Ibrahima Hamidou Dème a recu le soutien de ses pairs regroupés au sein de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums), à travers un communiqué publié dans ce sens, vendredi 10 février. Alors que l’Ums plaide le retrait du chef de l’Etat et du ministre de la Justice du Csm, l’Etat se réfugie derrière la Constitution. Interrogé sur la question, le Professeur de droit, Iba Barry Camara est d’avis que la justice ne saurait être indépendante parce qu’elle est une institution nationale. Le directeur exécutif d’Amnesty international/ Sénégal, Seydi Gassama, en appelle à la non immixtion de l’exécutif dans le fonctionnement de la justice et dans le travail du juge.

Un juge qui démissionne du Conseil supérieur de la magistrature (Csm) le fait est rare. Et, à travers une lettre adressée au chef de l’Etat et transmise à la presse, Ibrahima Hamidou Dème a quitté son poste et expliqué les motivations de ce retrait du Csm. «Monsieur le président de la République, la justice traverse aujourd’hui une crise profonde, étroitement liée au manque de transparence dans le choix des magistrats. Ainsi constate-t-on, un traitement de certaines affaires, qui renforce le sentiment d’une justice instrumentalisée et affaiblit considérablement l’autorité des magistrats. Bien évidemment, la vitrine de la justice ne doit pas être une magistrature sous influence, mais plutôt une magistrature indépendante et impartiale, démontrant constamment dans ses décisions, que la justice est exclusivement au service de la vérité».

Le motif de la démission c’est aussi un malaise dans la justice explique-t-il encore dans sa lettre. «Monsieur le président de la République, en décidant de vous expliquer les motivations de ma démission, j’ai voulu en appeler non seulement au président du Conseil supérieur de la magistrature, mais surtout au chef de l’Etat qui, au regard des dispositions de l’article 42 de la Constitution, est le garant du fonctionnement régulier des institutions. Dans le même ordre d’idées, la justice étant rendue au nom du peuple, celui-ci doit également être informé, du discrédit d’une institution constitutionnelle si essentielle pour la survie de notre démocratie».

SIDIKI KABA: «L’INDEPENDANCE DE LA JUSTICE EST LA SOUMISSION A LA LOI»

Si les magistrats plaident pour une meilleure gestion de la justice et le retrait du président Macky du Csm, le Garde des Sceaux, en appelle au respect de la loi. Face aux députés à l’Assemblée nationale, le jeudi 9 février, lors du vote de la loi portant création de l’Ordre national des experts comptables, Sidiki Kaba, a dit que «le Sénégal respecte l’indépendance de la magistrature». Avant de poursuivre: «je voudrais dire à tous ceux qui s’agitent qu’ils comprennent que la justice est une chose sérieuse. On ne peut pas se donner un droit, on ne peut pas se donner une légitimité personnelle pour parler au nom des magistrats, alors qu’on n’a pas été élu pour ça. Et on ne peut le faire qu’à son nom personnel. Il faudrait que chacun se rappelle qu’il faudrait se conformer à la déontologie et aux principes qui découlent du statut des magistrats».

Pour le ministre, l’indépendance de la justice n’est autre que la soumission à la loi. «L’indépendance de la justice est la soumission à la loi. Le magistrat doit se soumettre à la loi, à la seule souveraineté de la loi», a-t-il dit non sans menacer le juge Dème de radiation ou de rétrogradation, une décision qui est du ressort de ses pairs du Conseil supérieur de la magistrature. «Lorsqu’il y a un magistrat qui viole les règles concernant sa propre profession, il comparait devant le tribunal des pairs. C’est le Conseil supérieur de la magistrature, réuni en composition disciplinaire, qui prend une décision», a t-il laissé entendre.

UMS : «LA JUSTICE NE SAURAIT ETRE GEREE PAR DE L’INTIMIDATION»

Un sortie qui a soulevé l’ire de l’Ums qui n’a pas tardé de manifester tout son soutien à un de ses membres. « Le Bureau exécutif rappelle qu’il a toujours dénoncé, avec vigueur, les maux que le collègue Dème a évoqués dans sa lettre de démission, notamment le dysfonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature», a écrit l’Ums dans un communiqué publié le lendemain, vendredi 10 février dernier. Mieux, ajoute la source, «les magistrats condamnent fermement les menaces proférées contre les magistrats d’où qu’elles proviennent et rappelle que la Justice ne saurait être gérée par de l’intimidation». Par ailleurs, le Bureau exécutif a invité «les différentes parties prenantes de la justice à plus de sérénité, de mesure et au respect scrupuleux des principes qui gouvernent l’Etat de droit». Il réaffirme en outre, sa détermination à œuvrer pour le renforcement de l’indépendance de la justice.

MAMADOU BADIO CAMARA : «L’INDEPENDANCE DE LA JUSTICE, CE N’EST PAS FAIRE CE QUE L’ON VEUT»

Auparavant, lors de l’audience de rentrée solennelle des Cours et Tribunaux, le jeudi 26 janvier 2017, Mamadou Badio Camara, le Premier président de la Cour suprême, avait également relevé que l’indépendance de la justice n’est autre qu’une soumission à la loi. «L’indépendance de la justice, qui nous est si chère, ne peut être assimilée à une autorisation de faire ce que l’on veut. Elle est définie dans la Constitution qui proclame que les juges ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi. L’indépendance du juge, c’est donc la soumission à la loi, rien que la loi et toute la loi», a-t-il dit. Et de rappeler même que c’est la Constitution sénégalaise qui donne au chef de l’Etat les prérogatives de présider le Csm.

L’INDEPENDANCE DE LA JUSTICE SELON SEYDI GASSAMA, AMNESTY INTERNATIONAL/SENEGAL : «C’est la non immixtion de l’exécutif dans le fonctionnement de la justice et dans le travail du juge»

«Le Garde des Sceaux, et le gouvernement du Sénégal veulent faire de cette affaire (la démission d’Ibrahima Hamidou Dème, ndlr) un problème alors qu’elle n’en est pas une. C’est un juge qui a choisi volontairement de démissionner parce qu’il estime que le fonctionnement de cette institution n’est pas conforme au statut de la magistrature. Il a choisi de mettre sur la place publique ce qui a toujours été évoqué par les Sénégalais. Le président de la République est le chef supérieur de la magistrature. Son Garde des Sceaux, ministre de la Justice est vice-président du Conseil supérieur de la magistrature. Les hauts magistrats qui siègent au Conseil supérieur de la magistrature sont nommés par le président de la République. Donc, c’est un organe entièrement dévoué au chef de l’Etat. Le problème évoqué par le juge Ibrahima Hamidou Dème est un grief que les Sénégalais ont toujours fait. La réforme des institutions avait même demandé que le fonctionnement de la justice soit réformé. Que le président de la République et le Garde des Sceaux ne siègent plus au Conseil supérieur de la magistrature parce que c’est ce conseil qui décide de la carrière des magistrats. On ne peut pas permettre à l’exécutif de siéger là-bas et d’avoir la main haute sur le fonctionnement de la magistrature. Macky Sall, lui-même, Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng s’étaient prononcés pour le respect des recommandations des Assises nationales. Cette situation judiciaire aura des conséquences, si le président de la République décide de sanctionner le juge Ibrahima Hamidou Dème. Les magistrats ne doivent pas l’accepter, la société civile ne doit l’accepter elle aussi».

EL HADJI IBA BARRY CAMARA, PROFESSEUR A LA FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES DE L’UCAD : «La justice ne saurait être indépendante parce que...»

La situation de malaise dans le secteur de la justice, avec la démission du magistrat Ibrahima Hamidou Dème du Conseil supérieur de la magistrature (Csm), la menace de sanction par ses pairs brandie par la Garde des Sceaux ministre de la Justice et la motion de soutien de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums) qui s’érige en bouclier de M. Dème, est liée, en partie, à la réforme de la justice engagée par le régime. El Hadji Iba Barry Camara, Professeur de Droit pénal à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar en est convaincu. Dans cet entretien, tout en reconnaissant au magistrat le droit de démissionner, M. Camara trouve que c’est maladroit de la part du magistrat que de prétendre faire bouger les choses en divulguant ou en portant sur la place publique certaines questions très sensibles. D’ailleurs, affirme-t-il, la justice ne saurait être indépendante parce qu’elle est une institution nationale.

LA SITUATION QUI PREVAUT DANS LE SECTEUR DE LA JUSTICE EST EN PARTIE A LA REFORME DU SYSTEME

En réalité, c’est parti de la réforme de notre système judiciaire. En faite, la loi portant l’organisation, notamment au Conseil supérieur de la magistrature. C’est là d’où tout est parti parce que l’Union des magistrats du Sénégal (Ums) croit qu’il fallait revoir certaines dispositions notamment celle qui prolongeait la date de retraite des hauts magistrats qui sont au niveau de la Cour suprême. Et, là, ils avaient insisté pour qu’il n’y ait pas justement de disparité, que le régime soit, en faite, un régime uniforme, applicable à tous les magistrats sans aucune distinction. Mais on a vue ce qui s’en est suivi, les autorités sont restées sourdes à cette amendement de l’Union des magistrats du Sénégal et on a eu à voter la loi. Avec ce qui se passe, il fallait s’y attendre. Mais, en réalité, vous parlez de tension, c’est vrai que vous avez eu à mesurer vos mots mais, moi, je considère qu’à proprement parler, il n’y a pas de tension. C’est lié justement à la bonne avancée démocratique de tout pays qui aspire à la démocratie. C’est normal, c’est un moyen pour au moins échanger pour que les choses soient élaborées de manière parfaite.
Maintenant, la personne qui est au cœur de tout ceci, c’est le magistrat Ibrahima Hamidou Dème. Mais, en réalité, ce qui vous préoccupe c’est le fait qu’il a démissionné de son poste au Conseil supérieur de la magistrature. Je voudrais dire que c’est reconnu à tout le monde: si on a un poste, on a la possibilité de démissionner quand on veut. Ça, c’est une chose. Mais, l’autre chose également, c’est lorsqu’on démissionne. Dès lors qu’on a eu à occuper certaines fonctions ou un certain poste, il y a forcément, en tant que fonctionnaire, ce qu’on appelle une obligation de réserve. Il y a des questions qui ne sauraient être portées sur la place publique.

EL HADJI IBA BARRY CAMARA, PROFESSEUR A LA FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES DE L’UCAD : «La justice ne saurait être indépendante parce que...»

En faite, pour une institution telle que la justice et surtout au niveau de son organe le plus élevé, prétendre faire bouger les choses en divulguant ou alors en portant sur la place public certaines questions très sensibles, je dis que c’est maladroit de sa part. Il appartiendra donc à ses pairs de statuer, si ces faits sont effectivement constitutifs de faute du point de vue de la déontologie, mais également de prononcer des sanctions. Il faut préciser, le ministre de la Justice a eu à le dire: même lorsque ses pairs statuent, le président ne sera pas là, le ministre de la justice ne sera pas là. Ce sont les magistrats professionnels qui vont se réunir pour voir effectivement si ces faits sont constitutifs de faute professionnel ou non. Et c’est à ce niveau là que les sanctions pourraient être justement prononcées.

L’UMS EST DANS SON ROLE DE FAIRE PRESSION POUR QUE LE MAGISTRAT DEME NE SOIT PAS SANCTIONNE

L’essentiel, c’est que cette union ne peut faire qu’une chose c’est-à-dire faire pression pour que les autres magistrats ne soient pas amenés à prononcer des sanctions. Mais, je dis que lorsque ces faits là violent les règles déontologiques, il va s’en dire qu’il y a des sanctions qui sont prévues et doivent être appliquées. Maintenant l’Union des magistrats est dans son bon rôle en voulant soutenir l’un d’eux pour que de telles sanctions ne soient pas prononcées. Mais, en réalité, puisque vous parlez de tension, il est préférable que nous ne soyons pas amenés à ce niveau, là où la sanction serait prononcée, parce que cela ne ferait que distendre les liens entre les magistrats et l’autorité politique.

LA JUSTICE NE SAURAIT ETRE INDEPENDANTE PARCE…

C’est son mot à lui. Je dis que la justice ne saurait être indépendante parce que la justice est une institution nationale. Donc là, il faudrait que la justice soit organisée comme les autres organes de la République sont organisés. Maintenant, là où on devrait soulever la question de l’indépendance, c’est au niveau des magistrats eux-mêmes personnellement. Parce que pour être indépendant, il faut vouloir être indépendant et faire en sorte d’être effectivement indépendant. C’est au niveau plutôt personnel que l’on doit effectivement apprécier une telle indépendance. Mais, sous ce rapport là, on considère qu’il n’y a aucune disposition permettant aux autorités publiques de faire pression aux magistrats c’est-à-dire les juges.

Toutefois, il reste que les magistrats qui sont au niveau des parquets sont placés sous l’autorité du ministre de la justice. A ce niveau, puisque le parquet est censé représenter la nation, le peuple de manière général, donc je peux même dire que c’est le parquet qui est l’avocat du peuple. Mais il va s’en dire que lorsqu’on veut défendre les intérêts du peuple, il faut que cela soit organisé par le public. Et, les publics, du point de vue de la procédure, sont représentés par le parquet et le parquet est soumis. (…) Parce que là, en vérité, souvent au Sénégal, on ne le dit pas suffisamment, lorsque le ministère de la Justice donne injonction au parquet de poursuivre et lorsque le parquet poursuit, le ministre de la Justice n’a aucun pouvoir de lui dire de stopper. C’est-à-dire que les autorités publiques peuvent faire injonction au parquet de poursuivre par rapport à certaines infractions et le parquet est obligé de déclencher les poursuites. Mais elles ne peuvent stopper les poursuites qui sont déjà engagées souverainement par le parquet. Eh bien, les autorités publiques n’en peuvent absolument rien et ne peuvent pas imposer au parquet d’arrêter les poursuites.

Et d’ailleurs même, lorsque la poursuite est déclenchée sous l’injonction des pouvoirs publics, par rapport au parquet, il y a un adage qui dit que si la plume est serve pour autant la parole est libre. Pour dire simplement que, fondamentalement, on retrouve un aspect de l’indépendance de la magistrature de manière générale. Il faudrait prétendre approfondir une telle indépendance, surtout au niveau des hommes. Mais la justice est également encadrée par la loi. Comme le dit le ministre, personne n’est au-dessus des lois et il faudrait respecter et appliquer la loi.

AUCUNE CONSEQUENCE POSSIBLE DANS LE FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE, MAIS…

Rassurez-vous, ça ne peut pas constituer un motif de blocage. Ce n’est pas possible. Il aurait été souhaitable que les choses se déroulent de manière harmonieuse, surtout dans les rapports entre les différents organes (organe exécutif et organe judiciaire). Pour le bien des Sénégalais et pour le bien de l’Etat, il faudrait que l’on fasse des concessions pour que ces liens là soient, en faite, mieux harmonisés entre eux. Mais si, effectivement, l’Etat persiste et que ce magistrat venait à être sanctionné, cela ne peut pas constituer un motif de blocage pour le fonctionnement de la justice. Donc là, il n’y a aucune crainte au début, mais il faut simplement appeler les uns et les autres à se faire des projets mutuels pour que la paix revienne entre elles.

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