Polémique sur un éventuel 3eme mandat: quand le Ministre de la Justice corrige le Pr Babacar Guèye

13 - Octobre - 2017

En visite hier à Diamnadio dans un centre pénitentiaire, le Ministre de la Justice, Ismaël Madior Fall, a été catégorique : « L’article 27 de la Constitution dit : ‘’Le Chef de l’Etat est élu pour un mandat de 5 ans renouvelable une fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs’’ ».

Très sûr de lui, le Ministre, par ailleurs professeur en Droit constitutionnel, a fait savoir qu’ « Il n’y a pas place à aucune interprétation. » Entendez par là que toute autre interprétation est infondée.
La réalité est qu’il répondait ainsi au Professeur Babacar Guèye qui laissait entendre qu’il était possible au Président Macky Sall de briguer un troisième mandat en 2024, « faute de dispositions transitoires dans la nouvelle Constitution ».
Eh bien, le Ministre de la Justice n’a pas été le seul. Le Pr Mounirou Sy, un autre constitutionnaliste, avait aussi argumenté pour prendre le contre-pied du raisonnement du Pr Guèye.
Il en ainsi du député de la majorité Boubacar Villiembo Biaye et de bien d’autres personnalités qui ont ainsi compris que c’était une redondance de mettre des dispositions transitoires inutiles somme toute parce que le Président Sall sait qu’il n’a droit qu’à deux mandats.
Ce point de vue qui semble aujourd’hui faire l’unanimité au sein de la majorité au pouvoir, est essentiel pour une stabilisation des acquis démocratiques.
Toutefois, si le Professeur s’est trompé de bonne foi, cela n’a rien de grave ou d’étonnant. Cela arrive tous les jours.
Cependant, ce qui serait impardonnable, c’est qu’il émette un ballon de sonde dans un but politicien. Ça serait inexcusable. Or, la prompte réaction des proches de Macky, et au rang desquels le Ministre de la Justice, peut nous laisser croire qu’il s’agit d’une simple opinion ou l’erreur d’un scientifique aussi talentueux qu’il soit.

Spectre du troisième mandat en Afrique

En tout état de cause, le spectre du troisième mandat est en train d’oblitérer gravement les efforts de démocratisation des pays africains depuis le discours de la Baule en juin 1990.
En août 2014, le Président Obama s’était aussi fait le devoir d’inviter les Chefs d’Etats africains à la Maison blanche pour fustiger toute tentative de rester au pouvoir par le tripatouillage de la Constitution.
La même année, au mois d’octobre, le Président Blaise Compaoré du Burkina Faso a été chassé par des jeunes déterminés à l’empêcher de se présenter à un troisième mandat.
En 2016, au Congo, au Burundi, en Centrafrique, etc., cette maladie a atteint les élites politiques qui ont tenu à s’accrocher au pouvoir, par tous les moyens.
En tout cas, sur les 16 élections qui ont eu lieu l’année dernière en Afrique, la plupart d’entre elles ont été entachées de cette velléité.
Cette année, toutes les agitations observées dans des pays voisins comme la Mauritanie et la Guinée sont liées au spectre du 3ème mandat, même si les élections ne sont pas pour 2017.
C’est dire à quel point cet argument dérange.
D’ailleurs, des voix s’élèvent dans certains pays pour supprimer la limitation des mandats.
D’où l’importance pour l’Union africaine et des instances sous régionales comme la Cedeao de se saisir de la question en adoptant des résolutions dans ce sens.
L’erreur du Professeur n’a pas seulement été technique comme le disent ses collègues, mais aussi d’opportunité.
A supposer que cela soit vrai, il devrait savoir raison garder. Nos Etats vivent en effet sur des équilibres fragiles qui tiennent à peu de choses.
Si le Gouvernement avait suivi ne serait-ce que amuser la galerie, on en serait à des polémiques stériles qui pourraient davantage le distraire par rapport aux priorités de l’heure.

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