PORTRAIT – Leader du mouvement Jengu : Boubacar Camara, le révolté

30 - Mai - 2018

Il a fait l’Armée, la Douane, l’Ige, la marine… Dans son parcours, Boubacar Camara s’est révolté comme son mouvement (Jengu) pour se faire une place au soleil. Compétent, rigoureux, mais parfois trop sûr de lui, l’ancien directeur général de la Douane a toujours avancé, convaincu de son action. Jusqu’à se mettre à dos certains de ses collaborateurs.
Boubacar Camara s’est jeté dans la mare politique le 15 mai dernier à travers son mouvement Jengu. Un slogan qui signifie révolte est une remise en cause des politiques publiques mises en place depuis 1960. L’ancien directeur général de la Douane veut bousculer l’ordre établi dans un paysage politique loin d’être un fleuve tranquille. «Deux Sénégal se côtoient, celui qui souffre et celui qui se réjouit, celui qui n’arrive pas à assurer la dépense quotidienne et celui qui exhibe son arrogance, celui qui travaille et celui qui triche», décline-t-il dans sa profession de foi. Et entre ces 2 voies, il a choisi celles des valeurs. Le nom de son mouvement résume la vie de Boubacar Camara qui a trimé, flirté avec les angles morts de la vie pour arracher sa part du destin. Un homme qui a su repousser les clichés, les préjugés pour se hisser au sommet tant convoité. «J’ai passé mon enfance à Grand Yoff, une localité où régnaient les caïds de la drogue et où l’alcool circulait à flot», raconte-t-il.
Dans ce milieu interlope, Tako Diallo, mère de Boubacar Camara, doit doubler de vigilance pour assurer l’éducation de ses enfants. Des gosses qui doivent tutoyer le sommet, selon elle. Conditions : que la progéniture soit formatée à l’enseignement du Coran. Dans cette perspective, la mère de la famille Camara s’arme de rigueur à côté de son mari Moustapha qui n’hésite pas à corriger ses enfants en cas de violation des règles. «Quand on parle de Grand Yoff, on pense au pire. Moustapha Camara, leur père, n’a jamais voulu que ses enfants partent en vacances. Il tuait un mouton chaque mois pour faire plaisir à sa progéniture et veiller à l’harmonie familiale. Il s’occupait bien de ses enfants et partageait toujours ses repas avec eux. Il n’a jamais voulu manger seul. Je n’osais pas servir le repas avec un enfant qui manque», se souvient Mme Camara dans le film réalisé en septembre 2017 par Moussa Sène Absa, Boubacar, une passion pour le futur.
Redouble en Cm2 et passe au second tour au Bac
Malgré cette rigoureuse éducation, le jeune Boubacar se met au diapason de la vie des Grand-Yoffois. Dans cette localité alors peu peuplée et décorée d’arbres, le jeune, avec des amis, se plaisait d’aller à la cueillette, jouait des parties de football avec parfois de issues douloureuses. «Souvent après les matchs, on sortait les gourdins pour se battre. Je me suis battu plusieurs fois à l’issue d’un match de football. J’ai beaucoup de cicatrices. Je fumais lorsque j’étais au lycée», narre Boubacar Camara. A l’école élémentaire de la Sicap Rue 10, le jeune Boubacar se débrouille bien. Si Beaucoup le présentent comme un crack, il n’en est rien. En tout cas, concernant son parcours scolaire. Au Cm2, faisant pourtant partie des 3 premiers, il échoue à l’entrée en sixième. «Dans la feuille, il y a une partie où on ne doit pas écrire. J’ai cru que cela concernait toute la feuille. J’ai entassé mes écrits dans une partie de la feuille et je n’ai pu faire les autres questions», justifie Boubacar Camara. On efface tout et on recommence. Il redouble la classe. Au lycée Blaise Diagne, il ne doit son Bac S qu’à la session du second tour.
Né le 26 juin 1958 à la Sicap Rue 10 dans une famille de 7 membres, Boubacar Camara a vu son parcours débuter par un drame familial. Il perd en l’espace de 3 mois ses deux grands frères en 1959. Ces derniers sont enterrés au cimetière Bétoire de Dakar (fermé) et la place de leur tombe a sombré dans l’oubli. A la place, deux pierres ramassées dans ce sanctuaire de morts sont exposés dans le somptueux salon de Boubacar Camara en guise de souvenir. Dans l’inconscience, l’innocence, le môme devient aîné par la force du destin. Il est chargé d’être la locomotive de la famille. Pour ce faire, ses parents ne cessent de lui rappeler ses responsabilités. A l’évocation de ce sujet dans son bureau, sis à la rue Georges Pompidou, Bou­bacar Camara perce son regard au sol. Silence radio. Un petit gémissement. Triste mine. «J’ai perdu mes deux grands frères dans des conditions, pour l’un, mystérieuses après une maladie qui l’a terrassé, et pour l’autre, à la suite de brûlures. Cela a fait que j’ai très tôt pris mes responsabilités», dit-il. Une épreuve difficile certes, mais qui forge la personnalité du jeune. Son père, Moustapha Camara, ancien des Forces françaises du Cap Vert, l’initie dans le courage, la droiture, la dignité, entres autres valeurs…
Des principes qui ne signifient pas grand-chose dans certains arcanes de l’Etat, notamment dans la Douane. Et c’est lui qui le dit. «Lorsque je suis arrivé à la tête de la Douane, cette institution avait une réputation terrible par rapport à la corruption», sourit-il. Ministre de l’Economie et des finances du premier gouvernement de Me Abdoulaye Wade, Makhtar Diop, aujourd’hui vice-président de la Banque mondiale, enrôle Bou­bacar Camara. Et avant d’atterrir à cette station, le jeune bachelier réussit le concours d’entrée à l’Ecole de la marine marchande. Son passage dans cet établissement est loin d’être un long fleuve tranquille. Boubacar dirige des mouvements de grève. D’ailleurs, il est lâché par ses camarades alors qu’ils faisaient une grève de la faim pour réclamer de meilleures conditions d’études et le paiement des bourses. «Un ami m’a raconté que les autres ont mangé alors que je suis resté avec la faim jusqu’à 19h», se remémore-t-il.

Sans bourse pour devenir ingénieur de première classe dans la marine marchande, il intègre l’Armée. «C’est là où j’ai eu faim pour la première fois de ma vie. C’était dur physiquement et moralement», souligne-t-il. Tour à tour, il réussit à entrer à la Douane comme agent breveté, niveau Bepc (Bfem). Deux années plus tard, il passe au concours de contrôleur des douanes. Boubacar Camara décroche l’unique place pour les 523 candidats. C’est donc en tant qu’inspecteur général d’Etat, soldat de 2ème classe, docteur en droit et expert maritime que Boubacar Camara prend les rênes de la Douane. Tout de suite, le nouveau Dg se met à dos une bonne partie des douaniers, notamment ceux de Dakar. En effet, les douaniers qui quittaient la brousse pour venir à Dakar rencontraient énormément de difficultés. Boubacar Camara milite pour un équilibrage entre les douaniers de la brousse et ceux de Dakar.
Le passage tumultueux à la Douane
A l’époque, il y avait 1 200 douaniers à raison de 200 à Dakar et 1 000 dans la brousse. «Il y avait le travail commercial supplémentaire que font les douaniers de Dakar. Pour Boubacar, il ne faudrait pas qu’ils se l’approprient parce que c’est pour l’Administration. Il prônait une redistribution pour tout le monde. Je lui ai dit : ‘’Si vous le faites, vous serez attaqué de partout’’. Mais Boubacar m’a dit qu’il préfère être attaqué par 200 plutôt que 1 000 douaniers», se remémore Mbaye Diouf Dia, douanier, ami et frère d’armes de Boubacar Camara. Ce dernier a un défaut ; lorsqu’il est convaincu de quelque chose, personne ne peut le faire reculer. «Dans la vie, il faut être honnête et courageux. Si vous êtes honnête sans être courageux, vous n’allez rien entreprendre. Vous allez vous contenter de gérer le quotidien sans rien apporter à la communauté, sans exploiter les potentialités qui dorment en vous», philosophe-t-il.
Mais ce courage à la Douane n’est pas sans conséquences. Il est accusé de malversations et d’enrichissement personnel. Ses rapports avec beaucoup de douaniers dont les intérêts sont menacés sont tumultueux. Dans l’affaire de «faux bons à enlever» qui avait secoué les soldats de l’Economie en 2004, un de ses proches, Mbaye Diouf Dia, et beaucoup d’autres douaniers sont incarcérés quelques mois avant d’être blanchis par la justice. «On voulait passer par des proches pour m’atteindre», regrette-t-il. Ses 4 ans de règne à la Douane ont laissé des traces concernant la gestion transparente. «Son souci était de mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut et d’avoir des structures réellement opérationnelles. Il a modernisé l’outil informatique. C’est un bond d’au moins 20 ans. On n’avait des pannes d’arrêt de 30 jours par an», témoigne Zator Kane Diallo, ami et collègue à la Douane.
Ancien du Rnd
Après l’étape douanière, Bouba, comme l’appellent ses proches, se forge une réputation de parangon de la transparence. La preuve, à la Douane à l’époque, le directeur général percevait 1,19% des affaires contentieuses. Boubacar Camara l’a réduit jusqu’à 0,55%. «Pour la première année, j’ai perdu 25 millions. Je ne suis pas un homme d’argent. Ce qui m’intéresse, c’est que le pays marche», se glorifie-t-il. Finalement, débarqué de la tête de la Douane, il se rend en France, à Grenoble, pour soutenir sa thèse axée sur le «Contentieux douanier». Plus tard, il s’inscrit dans une école de formation d’avocats au barreau de Bastille. «Je suis passé de directeur général de la Douane à un étudiant dans un amphithéâtre», se souvient-il. Ses compétences sont vendues auprès d’un certain Karim Wade.
De l’Ige où il servait, Boubacar Camara devient le secrétaire général de l’hyper ministère de la Coopération internationale, de l’aménagement du territoire, des transports aériens, de l’énergie et des infrastructures. De là à dire qu’il fait partie des proches de l’ex-hyper ministre Karim Wade ? «Je n’ai aucun rapport politique avec Karim Wade», a-t-il répondu au cours du «Grand jury» de la Rfm de dimanche dernier. Pourtant, le nom de Boubacar Camara ne sonne pas grand-chose en politique. Mais en 1976, le jeune de 18 ans a fréquenté le Rassemblement national démocratique (Rnd) de Cheikh Anta Diop. Ce dernier a perdu ce jeune militant lorsqu’il a décidé de ne pas en découdre avec Abdou Diouf à l’élection présidentielle de 1983 après le départ du Président Léopold Sédar Senghor. Après l’avènement du Président Macky Sall, Boubacar Camara a poursuivi sa carrière dans l’Administration, à l’Ige. En 2015, ulcéré par les pratiques dans l’Administration, il est autorisé, à sa demande, à prendre sa retraite anticipée. Il créé en avril 2017 le mouvement Génération Y dont il est aujourd’hui le président d’honneur. A 60 ans quasiment, c’est le début d’une vie exclusivement consacrée à la jeunesse. Avec en ligne de mire un projet de société à présenter aux Sénégalais à la Présidentielle de 2019…

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