Réforme chambres de commerce du Sénégal : Les raisons d’un conflit qui a tant enflé
Depuis la fin du mois de janvier 2017, le projet de loi portant création de la Chambre nationale de commerce, d’industrie et de services du Sénégal (CCISN) et des Chambres régionales de commerce, d’industrie et de services (CCI-R) a été adopté par les députés sortants de l’Assemblée nationale. Une réforme qualifiée de majeure et qui devrait changer le paysage des institutions consulaires.
Sur le plan national, outre la CCI-SN, cette réforme permet également la création d’une Chambre nationale d’agriculture qui aura, en dehors de l’agriculture, en charge les sous-secteurs de l’élevage, de la pêche et de la foresterie. Une réforme appuyée par des pans du patronat national qui pensent que l’agriculture est bien loin des télécoms…, mais vivement vilipendée par des hommes d’affaires de la trempe de Serigne Mboup qui s’est montré le plus virulent dans les critiques.
Le patron du groupe CCBM s’en prend à Baïdy Agne et Mansour Kama, respectivement Président du Conseil national du patronat (CNP) et de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES), coupables à ses yeux d’être les instigateurs de cette réforme auprès de l’Etat. Déjà, le poste de Président de Chambre régionale de commerce, d’industrie et d’agriculture (CCIA) aiguise bien des appétits.
Du fait des nombreux avantages que leurs occupants en tirent. Et Serigne Mboup qui occupe la Présidence de la CCIA de Kaolack, mais qui étale ses ambitions pour être celui qui sera dans le futur à la tête de celle de Dakar, beaucoup plus importante et qui offre plus d’avantages à son titulaire, soupçonne les Présidents du CNP et de la CNES de vouloir « jeter du sable dans son plat de couscous ».
Le patron du groupe CCBM voit la menace venir. La réforme telle qu’engagée ne fera que les affaires des membres du CNP et de la CNES qui pourront aisément faire main basse sur les futures chambres consulaires. Et Serigne Mboup qui ne met pas de gants de tirer à boulets rouges sur les responsables de ces organisations patronales. Voilà les propos qu’il tenait à l’époque. « Il n’y a pas besoin de réformer. C’est du théâtre, je vous le dis carrément, pour que les choses soient claires. Pour moi, ça n’a pas de sens », martèle-t-il.
Le patron du groupe CCBM, très remonté, d’en rajouter : « Nous souhaitons que ce dossier soit réglé pour la crédibilité des Chambres. Nous devons apprendre à respecter les Chambres consulaires et à ne pas les minimiser. Vu qu’elles sont honorées partout dans le monde. Elles sont la porte d’entrée de tout opérateur économique, petit ou grand, local ou international ». La mèche est vendue. Il existe bel et bien une guéguerre entre opérateurs économiques, ceux classés dans la catégorie des petits et ceux qui boxent dans celle des grands. Ou encore ceux dont les activités ne s’étendent qu’au plan local ou alors qui ont les yeux plus grands et qui lorgnent au plan international».
Egalement, Serigne Mboup réfute la thèse selon laquelle la réforme est rendue nécessaire sur le fait que les CCIA, telles que conçues, traversent des crises institutionnelles et financières. C’est pourquoi, il défendait avant le vote de la réforme par l’Assemblée nationale. « A mon humble avis, les textes nous régissant sont bons, voire très bons. Il nous faut plus de moyens. Mais, nous aussi devons pleinement jouer notre rôle, à l’image des Chambres des autres pays de l’UEMOA (Union économique monétaire ouest-africaine) ».
Un baroud qui n’aura servi à rien. L’Assemblée nationale a fait passer la réforme comme lettre à la poste. Ce qui suivra montre pourquoi les Chambres consulaires suscitent des intérêts.
Salaire, passeport diplomatique, Conseil d’Administration : ces nombreux avantages des présidents de Chambre de commerce
Honni soit mal qui y pense ! La présidence d’une Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture (CCIA) n’est qu’une fonction honorifique. Seulement, il y a lieu de s’interroger sur les raisons de toute la polémique qu’a suscité la ré- forme des Chambres consulaires. D’une simple fonction honorifique, la présidence d’une Ccia est devenue un fauteuil moelleux qui confère bien des avantages à son occupant.
Passons donc sur la réforme dont les avantages donnés, rien qu’aux futurs Présidents des deux Chambres consulaires nationales qui vont être créées, vont être encore plus considérables. Des os à ronger, il va y en avoir. Déjà, ce ne sont pas les Présidents actuels des CCIA qui vont se plaindre de leurs conditions. Les avantages que chaque Président de CCIA tire de sa fonction sont considérables. Ceux-ci livrent les dessous des empoignades entre opérateurs de tous bords, à chaque élection.
On se rappelle encore du feuilleton entre le défunt président de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Dakar (Cciad) Mamadou Lamine Niang et son challenger Ibrahima Diagne. La consultation s’était terminée par des accusations mutuelles de fraudes et de corruption. La justice a par la suite hérité de l’affaire. Mamadou Lamine Niang, qui a dirigé la Cciad pendant plusieurs décennies durant, a tiré sa révérence, au mois d’août 2016.
Pour le succéder, dans ce qui sera la future chambre consulaire de la région de Dakar, il faut sûrement s’attendre à des tiraillements entre les opérateurs économiques. En attendant, c’est Daouda Thiam qui assure le poste de Président par intérim. D’ailleurs, l’homme d’affaires Serigne Mboup, patron de la holding Ccbm a, depuis longtemps, fait part de son envie de diriger la Cciad. Et il le fait savoir à qui veut l’entendre. A l’approche des renouvellements de ces chambres consulaires, d’autres capitaines d’industrie ou chefs d’entreprises se signaleront pour succéder à Mamadou Lamine Niang. Pourquoi donc ce poste cristallise-t-il tant les envies et les attentions des opérateurs économiques sénégalais ? Est-ce à cause des avantages que confère la fonction ?
En réalité, la présidence de la Chambre de commerce était moins une fonction mais « un titre honorifique », nous confient nos sources. Aujourd’hui, ajoutent elles, être président de chambre de commerce confère à la personne de nombreux avantages. « Maintenant, ils (Présidents de CCIA) gèrent des budgets, disposent d’un véhicule de fonction, des bons de carburant en plus du passeport diplomatique qu’on leur donne automatiquement depuis le régime de Wade », explique notre interlocuteur.
Si le président de la chambre a un salaire fixe, les présidents des différentes sections, commerce, agriculture, industries et services, ont leurs indemnités. Le budget du Cciad avoisine, aujourd’hui, le milliard de francs Cfa et les 11 membres du bureau peuvent se retrouver dans les conseils d’administrations de sociétés telles que le Port autonome de Dakar (Pad) ou le Conseil sénégalais des chargeurs (Cosec). « Il faut aussi compter, avec une telle fonction de président de chambre de commerce, les voyages à l’extérieur et des missions à n’en plus finir, ce qui favorise la rencontre d’autres investisseurs et un bon carnet d’adresses », souligne-t-il.