Habib Koité, auteur compositeur malien : « Il n’y a pas de recette miracle pour s’imposer sur la scène internationale »

20 - Décembre - 2016

Habib Koité, auteur compositeur malien : « Il n’y a pas de recette miracle pour s’imposer sur la scène internationale »

L’artiste malien de renommée internationale, Habib Koité, était au Sénégal dans le cadre de la 16ème édition du festival Africa fête pour des prestations à Dakar et à Saint-Louis les 16 et 17 décembre derniers. Le natif de Thiès s’est prêté à nos questions pour parler de l’originalité de sa musique qui a fait connaître au monde le virtuose de la guitare qu’il est, de la situation de son pays. Il est également question, dans cet entretien, de la présence de la musique malienne sur la scène internationale et de son engagement au service de l’humain.

Malien né au Sénégal, qu’est-ce que cela vous fait à chaque fois que vous revenez au Sénégal ?
Disons que je viens marcher sur ma terre natale. C’est comme un retour aux sources. Je suis né à Thiès dans le quartier Bountou dépôt. Mon père, un ancien cheminot, y a travaillé. Mes frères aînés sont tous nés ici. Ils y ont vécu plus que moi car la famille allait quitter quelques temps après ma naissance. A l’occasion de mes concerts en Europe, il arrive qu’on écrive souvent sur les affiches « Habib Sénégalais ». Bientôt, je vais demander la nationalité sénégalaise !
On vous appelle souvent le griot moderne. Cela découle-t-il à la fois de votre attachement à la culture malienne et de votre ouverture au monde ?
Il y en a même qui m’appellent « griot des Blancs » (rire) ! Sauf que le Blanc ne ressent pas trop la parole du griot pour déclencher une certaine émotion qui va le pousser à mettre la main à la poche ! Je le dis souvent, si je suis griot des Blancs, alors je suis le plus pauvre des griots.
Car, tu te répands en éloges sur le blanc, il te regarde et t’applaudit à la fin si l’envie lui vient ! Pour être plus sérieux, je pense que c’est parce qu’une bonne partie de ma carrière s’est passée en Europe et en Amérique que l’on m’a considéré comme un griot moderne. Aussi, j’ai beaucoup évolué dans des clubs à Bamako dans les années 1980-1990 très fréquentés à l’époque par des gens de divers horizons. J’étais très lié avec les jeunes américains des corps de la paix qui venaient pour des stages en Afrique. C’est moi qui animais les fêtes de bienvenue et de départ quand un nouveau groupe débarquait. C’est pourquoi, quand j’allais jouer en Amérique, je rencontrais souvent des jeunes que je connaissais.
Qu’est-ce qui a suscité en vous cette passion pour la guitare ?
Je suis né dans une ambiance musicale. Mon père jouait de la guitare. Tous mes frères aînés en jouent. A Thiès, mon papa avait toujours un groupe qui venait à la maison pour faire des répétitions même si j’étais très petit à l’époque. J’ai grandi avec une guitare. A la maison, à chaque fois que je me retournais, il y avait une guitare à côté. Cela s’est presque naturellement imposé à moi. Je ne me suis pas projeté. L’instrument était là et je la touchais.
Je m’amusais avec. Et après, c’est devenu plus sérieux. Je me suis retrouvé ensuite à l’Institut national des arts de Bamako (Ina) grâce à un oncle qui voyait cette passion en moi. Là-bas, dès la première année, on m’a nommé chef de l’orchestre expérimental devant des musiciens plus âgés que moi. J’y ai découvert la guitare classique, la façon de jouer, les positions. Cela m’a un peu discipliné. J’ai alors développé, en ce moment, un autre genre.
Vous avez aussi développé le style « Danssa-doso ». Qu’est-ce qui fait sa particularité ?
C’est en fait le rythme du Khasso, le rythme populaire Khassonké. Il est une combinaison de deux rythmes. Celui du Danssa est différent du doso. Ce dernier fait référence au rythme des chasseurs car ils ont aussi leur musique. Danssa-doso combine le nom du rythme populaire avec le mot désignant la musique des chasseurs.
Et vous en avez fait une harmonie musicale…
C’est moi qui ai créé une harmonie virtuelle pour symboliser ma démarche. En tant que musicien malien, je touche à toutes les sonorités du terroir. La musique malienne est très diverse et est marquée par des différences frappantes.
De « Muso ko », votre premier album à « Sô », le dernier, quelle est la centralité de votre message ?
Je suis un être social. Je vis en famille, avec mes amis, dans la société, et je voyage beaucoup. Je chante ce qui se passe, ce qui m’interpelle : l’environnement, la paix, la tolérance. Par contre, je ne suis pas très versé dans les petites histoires politiques.
Vous n’êtes pas Tiken Jah Facoly ou Alpha Blondy… !
Ce sont de grands messieurs qui mènent des combats louables. Moi, je passe par d’autres voies pour m’exprimer. Je m’intéresse à l’être humain, au bon côté des choses, de notre humanité. En Occident, si on dit que tu es un être humain, c’est que tu es un homme avec tous ses défauts et ses qualités. En Bambara, cela fait référence tout simplement à l’être humain qui est bon. C’est ce qui transparaît dans ma musique. C’est un état d’esprit. Je m’intéresse à nos mentalités, aux changements, à ce que l’on perd culturellement, à ce que l’on doit conserver sans pour autant obstruer l’évolution parce que c’est une force irrésistible. Les choses vont évoluer de toutes les façons. Elles ont évolué avant nous, il en est ainsi avec nous et elles évolueront avec ceux qui viendront après.
Vous avez aussi exploré l’univers musical latino. Comment êtes-vous arrivé à intéresser l’Amérique à votre musique ?
Il y a déjà l’histoire que je vous ai racontée avec les Corps de la paix au Mali. Cela a suscité autour de ma personne une certaine sympathie. Ensuite, en Amérique du Sud, j’ai eu la chance de jouer un peu partout. Ce qui m’a donné une certaine ouverture. C’est pourquoi, je me débrouillais souvent pour chanter en Espagnol pour créer cet échange. C’est ma façon de voir les choses. Je chante dans plusieurs langues maliennes, en Français aussi un peu.
Qu’est-ce qu’il faut à un artiste africain pour exister dans le marché mondial de la musique ?
Il n’y a pas de recette miracle. On marque un pas et il nous mène sur un chemin. Ce n’est pas un chemin déjà tracé sur lequel vous vous levez pour marcher. Chacun suit sa propre trajectoire avec des fortunes diverses. Le chemin que les gens peuvent prendre n'est pas une voie déjà tracée et qu'ils doivent suivre à la lettre.
Chacun vient de quelque part avec des influences certaines. Moi, par exemple, je suis issu d’une famille de griots où la musique est particulièrement présente. Je me suis ensuite retrouvé dans une école de musique, à l’Institut national des arts de Bamako. J’en suis sorti en tant que major de ma promotion. Tout cela n'est pas fortuit. C'est un travail de longue haleine. Il y a, dans tout cela, aussi un concours de circonstances que certains appellent destin. Toutefois, il faut insister sur la recherche. Il y a des musiques plus traditionnelles que celles-là standardisées que nous avons trouvées. Nous avons trouvé, ici, des styles. Maintenant, c'est à nous de réfléchir à leur amélioration pour aboutir à un résultat probant. Ceci, pour dire qu’il faut sortir des sentiers battus et accepter de travailler sérieusement. Il y a un travail personnel à faire sur soi-même.
Qu'est-ce qui fait que la musique malienne soit présente sur la scène internationale ?
Je pense que c'est le mode dans lequel ses musiques sont jouées, les sonorités, le style. L’abnégation des musiciens et leur amour pour la musique y sont pour beaucoup aussi. D'après une recherche faite par les Américains, il est reconnu, aujourd'hui, que le blues vient du Mali. C'est parce qu'ils ont fait le lien existant entre la musique malienne et leurs sonorités. Je pense que c'est ce qui explique le caractère international de la musique malienne.
Qu'est-ce qui vous rend fier lorsque vous regardez les choses que vous avez jusqu’ici accomplies dans votre carrière ?
J'ai beaucoup bourlingué, connu des moments d’exténuation, de stress. Mais, parallèlement à cela, j'ai également eu beaucoup de plaisir. La musique m'a tant donné. Aujourd'hui, je suis très content d'être encore là et j’espère pouvoir encore vivre ces moments forts. Que des gens m’expriment leur affection et leur amour me remplit de joie. C’est toujours gratifiant que ce soit les gens qui viennent vers vous parce qu’ils vous reconnaissent et apprécient ce que vous faites. C’est toujours mieux que de leur dire « venez-là, c’est moi » !
Que vous inspire la situation politique et militaire au Mali ?
C'est compliqué mais aujourd'hui on peut dire, de façon globale, qu’il y a du mieux. Quelqu'un qui tombe gravement malade jusqu'à ce qu'on lui prédise une mort certaine, s'il se lève un bon matin pour marcher, on peut rendre grâce. Evidemment, cela pourrait aller mieux. Tous les secteurs d’activité en ont souffert. La situation a entravé beaucoup de projets. La musique, de manière globale la culture, a connu une petite léthargie avec les difficultés qui ont été notées.
Avez-vous des relations de travail avec des musiciens sénégalais ?
J’en connais certains comme le percussionniste Mbaye Dièye Faye qui m'invite à chaque fois qu'il joue à Bamako. En un moment donné, je voulais faire un morceau avec lui et même avec Youssou Ndour pour parler du train Dakar Bamako. En tant que fils de cheminot, j’en connais un rayon. Malheureusement, tout cela est en train de disparaître. Youssou Ndour, lui, on se rencontre beaucoup en Allemagne. Je connais aussi Ismaïla Lô.
Vous êtes au Sénégal dans le cadre de la 16ème édition du festival Africa fête. Quelle est la portée pour l’Afrique, selon vous, de cette initiative impulsée depuis des années ?
C’est une excellente chose pour les pays africains. Je suis pour une Afrique de solidarité d'échange qui casse les barrières linguistiques, géographiques et même idéologiques. Elles nous rendent aveugles et nous dispersent alors qu'’en réalité, nous avons des liens séculaires très forts. Le manque d'initiative est à l'origine de la situation actuelle en Afrique. Et de tels efforts peuvent nous permettre de nous rencontrer et de faire des échanges culturels. Il faut que tout le monde s'inspire du festival Africa fête. Avant d’envisager de conquérir le monde, profitons des opportunités que nous offre notre continent. C’est de cette manière que l’on deviendra compétitif.

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