Initiation en pays sérère : Le « Ndut », un rite ancestral bien ancré à Mbassis
Initiation en pays sérère : Le « Ndut », un rite ancestral bien ancré à Mbassis
Le village de Mbassis, relevant de la commune de Mbam, dans le département de Foundiougne, a vécu, au rythme de la traditionnelle cérémonie de circoncision appelée « ndut ». Depuis la nuit des temps, ce rite d’initiation masculine chez les Sérères et obligatoire pour devenir homme au sein de la communauté est une tradition jalousement préservée dans cette localité. Elle fait partie de leur identité. Récit de notre équipe qui a eu le privilège d’assister à cet événement grandiose et culturellement riche.
Ce dimanche 2 avril est un jour très particulier à Mbassis, dans le département de Foundiougne. Coincé entre Mbam et Ndorong, ce village sérère, d’ordinaire si calme et reposant, est gagné par une ferveur fantasmagorique. Une ambiance indescriptible a ravi la vedette à la quiétude habituelle. Malgré la canicule, hommes, femmes et enfants ont déserté les maisons pour converger vers la place publique, cœur du village, qui abrite pratiquement toutes les grandes cérémonies. Ce jour marque le retour des initiés après trois jours de retraite en brousse. Un moment inédit que le village n’a plus vécu depuis… 2004.
Depuis la nuit des temps, l’initiation à Mbassis constitue un évènement phare et le retour des initiés donne lieu à des réjouissances grandioses. Et à l’occasion, tout le village communie pour vivre les instants magiques de ce rassemblement sans précédent. Chants, louanges, panégyriques déchirent l’atmosphère et accueillent les initiés qui arrivent dans une allure soutenue, accompagnés de leurs encadreurs, et entourés de sages, de notables, du chef de village. Dans la foule, des hommes portent, sur leurs épaules, des enfants d’à peine quatre ou cinq ans plongés dans les bras de Morphée, fatigués par cette rude épreuve. Difficile de se retenir. On crie, chante, danse, applaudit. On n’est pas loin de l’hystérie. On immortalise ces beaux moments avec son téléphone portable. De temps à autre, des coups de fusil tonnent pour, dit-on, chasser les mauvais esprits.
Cette allégresse était déjà perceptible le jeudi, veille de l’ouverture du « ndut ». Selon les nombreux témoignages, les candidats à l’initiation, préparés mystiquement par leurs parents, sont restés toute la nuit dans leurs maisons où les gens avaient dansé jusqu’à l’aube. Le vendredi, au petit matin, voilés du pagne blanc de l’initiation et escortés par une horde de selbés (encadreurs) surexcités, ils avaient, par petits groupes, entamé leur marche silencieuse vers la maison du « Koumakh » pour prendre un bain spirituel puis, direction place publique où, au son de tam-tam appelé « douloub », ils ont effectué quatre tours de l’arbre sacré (un flamboyant). Tous les initiés sont ensuite rassemblés dans un endroit aménagé hors du village en attendant le grand départ pour la brousse.
« Depuis 2004, cette cérémonie d’envergure qui perpétue une vieille tradition léguée par les ancêtres sérères n’a pas été organisée à Mbassis », informe Mame Ndéné Senghor, un vieux notable de 80 ans, qui nous a guidés ce vendredi 31 mars, parce que l’ouverture des rites démarre toujours un vendredi. C’est ce qui explique, selon lui, cet engouement extraordinaire. Il est conforté dans ses dires par l’adjoint au chef de village de Mbassis. Selon Fary Diassé, le « ndut », chez les sérères, constitue une étape cruciale pour l’homme qui doit acquérir une bonne éducation de base. « C’est à travers des pratiques ancestrales de ce genre qu’on leur inculque toutes les vertus », indique-t-il.
Comme Fary Diassé, nombreux sont les notables de Mbassis qui considèrent le « ndut » comme un examen de socialisation qui consacre le passage de l’adolescence à l’âge adulte, mais aussi l’affirmation de l’identité culturelle sérère. « C’est une étape déterminante et lorsqu’elle est franchie, elle fait l’honneur de la famille », soutient Mody Senghor, un ancien agent des chemins de fer. Aux temps, explique l’adjoint au chef du village, la circoncision durait un voire trois mois. « Ce rite était pris très au sérieux par les anciens et les jeunes initiés passaient tout ce temps dans le bois sacré et à leur sortie, une grande fête était organisée. Et ceci était valable dans toute la contrée du Lôg comme dans les autres terroirs sérères», précise-t-il.
À Mbassis, fait-il remarquer, les ancêtres ont tracé la voie. Impossible donc de se départir de cette tradition sacrée, selon Mame Fodé Sarr, professeur de sciences de la vie et de la terre (Svt) au lycée Amadou Ndack Seck de Thiès. « Nous avons le devoir de pérenniser ce rite ancestral, de le faire connaître aux générations actuelles et futures », soutient-il. Une motivation supplémentaire qui a gagné la majorité des sages, notables et parents du village de Mbassis qui se sont organisés en rapport avec les initiés pour le choix de la période propice et cela 13 ans après la dernière édition du « ndut ».
153 initiés dans la case de l’homme
En pays sérère, l’initiation est très bien organisée avec des rôles bien définis, explique le vieux Mody Senghor. « Nous avons une hiérarchisation qui comprend d’abord le « koumakh » qui est le chef suprême. Toutes les décisions émanent de lui. Ensuite vient le « kalma » qui est son second. Il y a aussi le « yayu njuli », la seule femme autorisée à être avec les initiés et qui est comme une mère pour eux. Il y a également les selbés qui se chargent de les surveiller et de les encadrer », fait savoir Mody Senghor. Et pour cette édition, Lamine Kor est choisi pour assurer la charge de « Koumakh ». Il est secondé par Mame Fodé Sarr, choisi comme protecteur des initiés. Selon ce dernier, l’initiation a lieu chaque fois qu’une classe d’âge ayant atteint l’âge requis en exprime le besoin.
« Pendant un certain temps, ils se réunissent pour voir si cette année la cérémonie pourrait se tenir ou non. Puis ils vont vers les personnes âgées afin de les informer de leur décision et de leur indiquer la personne qui sera leur protecteur spirituel ; celui qui va les emmener et les ramener sains et saufs », renseigne-t-il.
Le « ndut » est, aujourd’hui, le plus grand rassemblement à Mbassis. L’édition 2017 a mobilisé 153 enfants, toutes classes d’âge confondues, qui ont accompli le rituel depuis l’ouverture jusqu’à la sortie. Et ce ne sont pas uniquement des fils de Mbassis qui ont participé. Des jeunes venus d’autres contrées étaient également concernés. « Aujourd’hui, le « ndut » se fait rare en pays sérère. Il y a beaucoup de villages qui n’en ont plus organisé depuis des décennies. C’est pour cette raison que quand certains villages environnants sont au courant, ils envoient leurs candidats », informe Mody Senghor.
« Ici, on accorde une importance capitale à ce rituel. Il y a la cérémonie du mil concassé qui est versé sur les têtes des initiés. C’est une prière pour qu’ils vivent jusqu’à ce qu’ils aient des cheveux blancs », relève Mame Fodé Sarr. En charge de la sécurité physique et mystique des initiés pendant la période et même après le «ndut», il assure, avec la volonté de Dieu, la garantie d’une vie sauve aux initiés pendant les sept années à venir. « Notre mission, c’est de protéger mystiquement les enfants et de les ramener sains et saufs dans leurs familles respectives. Nous avons aussi le devoir de rassurer les parents qu’aucun enfant ne mourra ni ne subira un accident », indique-t-il, non sans insister sur la délicatesse de la mission.
« Quand il y a une cérémonie de ce genre, tout le monde apporte son pouvoir pour protéger au maximum les fils du village contre tout danger », assure-t-il. Le « ndut » permet d’inculquer aux jeunes certaines valeurs indispensables pour bien vivre en société. Ces valeurs ont pour nom courage, patience, endurance, solidarité, responsabilité, obéissance, humilité, abnégation et réserve. Un code de conduite leur est transmis.
Une vraie école de la vie
On leur apprend aussi le respect de soi et de son prochain, mais surtout des parents, des anciens. « Au sortir de cette expérience, l’enfant était suffisamment armé de principes et de valeurs pour affronter les obstacles et aléas de la vie. C’est pourquoi, les parents mobilisent énormément de moyens financiers comme matériels pendant cette période », dit Mame Fodé Sarr. Selon lui, « ce rituel est une chance pour le village, car, des prières sont formulées pour que l’hivernage soit béni ». C’est aussi une chance, d’assurer la protection de tout le village. Mais si aux temps, le « ndut » se déroulait sur un ou plusieurs mois, ce rite de maturité est aujourd’hui concentré sur trois jours. « La tendance a fortement changé et avec l’école, on ne peut plus faire des circoncisions qui dépassent le temps des vacances. Il faut s’adapter au calendrier scolaire », argue Mody Senghor.
Ces quelques heures passées en brousse suffisent-elles pour acquérir suffisamment de savoir comme les anciens ? Le vieux Mody Senghor répond par l’affirmative. Le plus important, selon lui, c’est d’entrer dans la case des hommes. Et une fois qu’on en sort, on devient un homme mûr. Son nouveau statut lui permet d’acquérir des prérogatives très importantes. Il devient responsable et peut alors fonder une famille et perpétuer sa lignée. « L’initiation, chez les sérères, est incontournable pour tout jeune qui aspire au respect. Quand ils reviennent, ils sont assurés d’être de vrais hommes et peuvent prétendre épouser une femme et sont aptes à assurer tout ce qu’un chef de famille doit faire », note Mame Fodé Sarr. « Un non-initié n’est pas considéré et accepté dans certains cercles. Il n’a pas le droit de s’asseoir et de parler avec les adultes de sa communauté. Quand il y a une réunion dans le village, il ne peut non plus y assister. De même, il doit forcément passer par l’initiation avant d’être considéré comme un homme», précise Mame Fodé Sarr.
Moment de retrouvailles, de fêtes…
Le « ndut » apporte toujours un vent de bonheur dans les familles. C’est des moments de retrouvailles, de ripailles. Une fois de retour au village, une grande fête est organisée sur la place publique où chants et danses sont à l’honneur. Comme au premier jour, les initiés effectuent quatre fois le tours de l’arbre sacré devant toutes les populations toutes classes d’âges et sexes confondus. Des coups de fusil tonnent à tout va. Puis, place aux prières et aux remerciements. De retour dans leurs familles respectives, de grandes fêtes sont organisées en leur honneur. On ne lésine pas sur les moyens. Chacun, selon ses possibilités, immole bœufs, moutons, chèvres, volailles. Chez la famille de Waly Sène dont le fils de 17ans, Abdoulaye Sène, figurait parmi les initiés, la tradition sera encore respectée. « Nous allons immoler un mouton et faire la fête en l’honneur de notre fils nouvellement initié. C’est cela la tradition, un legs de nos ancêtres que nous devons suivre et sauvegarder. Cette pratique se prépare de longues années, différemment du mariage où les femmes suivent également un autre rituel, mais qui est toujours fêté chez les sérères dans l’apothéose », laisse entendre Waly Sène. Originaire de Mbassis, cette femme qui a requis l’anonymat, est venue spécialement de Dakar pour les besoins du « ndut ». Ses enfants figurent parmi les initiés. « Cet évènement est un rendez-vous bien inséré dans notre agenda et nous ne manquons jamais l’occasion de retourner au terroir pour nous ressourcer », note-t-elle. Dans pratiquement toutes les maisons, c’est l’effervescence. On mange, boit et danse. Tout le monde participe avec enthousiasme à ces réjouissances qui peuvent durer jusqu’à une semaine.
Depuis toujours, le « ndut » est un rite profondément ancré dans l’identité culturelle sérère. Malgré l’implantation de l’Islam et le modernisme, Mbassis, comme beaucoup de villages sérères, a gardé ses nombreuses traditions qui régulent chaque étape de la vie. L’importance de ce rite initiatique fait qu’à chaque organisation, les fils du village, où qu’ils soient, reviennent s’abreuver à la source des traditions.