Clinton-Trump : cinq questions sur l’incroyable écart de 2 millions de voix

25 - Novembre - 2016

Clinton-Trump : cinq questions sur l’incroyable écart de 2 millions de voix

Hillary Clinton a récolté 2 014 621 voix de plus que Donald Trump lors du scrutin présidentiel du 8 novembre, mais a quand même perdu l’élection. Selon le dernier décompte fait par le Cook Political Report, alors que le dépouillement n’est pas encore officiellement terminé, la candidate démocrate a recueilli 64 227 373 suffrages, contre 62 212 752 pour son adversaire républicain.

Mme Clinton n’a pas été élue présidente des Etats-Unis, car l’élection se fait au suffrage indirect, et la démocrate n’a obtenu que 232 grands électeurs, contre 290 pour M. Trump. Ce paradoxe suscite plusieurs questions.
Deux millions de voix d’écart, est-ce un record ?
OUI

Ce n’est pas la première fois que le candidat qui remporte le plus grand nombre de suffrages perd l’élection présidentielle aux Etats-Unis, mais cela reste une situation exceptionnelle. Dans l’histoire de la démocratie américaine, le cas ne s’est présenté que cinq fois, dont trois fois au XIXe siècle… et deux fois au cours des seize dernières années.

En 2000, le républicain George W. Bush a accédé à la Maison Blanche en ne remportant que 50 456 062 voix, contre 50 996 582 pour son rival, Al Gore, soit 540 520 voix d’écart en faveur du candidat démocrate. Le différentiel de grands électeurs était nettement plus serré (271 contre 266), et les deux hommes n’ont été départagés qu’après le décompte des voix en Floride.

Seize ans après, lors de l’élection devant départager Mme Clinton et M. Trump, l’écart de voix est quatre fois plus important et constitue un record. Il s’explique notamment par les excellents scores obtenus par la démocrate dans les grandes villes ou les Etats très peuplés comme la Californie (7,2 millions de voix pour Mme Clinton, contre 3,8 millions pour M. Trump).

On peut d’ailleurs noter que plusieurs présidents américains ont été élus avec une moins grande avance que Mme Clinton. C’est le cas de Jimmy Carter, Wilson Woodrow, Richard Nixon et surtout John Fitzgerald Kennedy, qui n’a gagné qu’avec 112 827 voix d’avance en 1960.
Des votes électroniques ont-ils été truqués ?

Avant les résultats des élections, c’est M. Trump qui évoquait un possible trucage des résultats. Le doute a désormais changé de camp. Le 22 novembre, The New York Magazine expliquait que des experts en sécurité informatique et des avocats ont appelé le camp Clinton à contester les résultats et à demander un comptage manuel dans certains comtés du Michigan, de Pennsylvanie et du Wisconsin. Ils ont en effet repéré un déficit de 7 % des votes démocrates dans les bureaux de vote équipés de machines électroniques.

Face au risque de piratage, certains Etats ont banni leur utilisation depuis plusieurs années, c’est le cas de la Californie. Mais d’autres continuent de les employer, en dépit de logiciels parfois vieux de plus de dix ans, a déploré John Alex Halderman, professeur en informatique à l’université du Michigan.

A ce jour, aucune irrégularité n’a été prouvée. Mais le précédent créé par le piratage des messageries du comité national démocrate et du directeur de campagne de Mme Clinton et les vulnérabilités connues et documentées des systèmes de vote électronique aux Etats-Unis suscitent la vigilance des experts.
L’élection peut-elle être contestée ?
OUI (MAIS VITE)

Dès le lendemain de l’élection, Mme Clinton a reconnu sa défaite, car les projections de voix donnaient une large avance à M. Trump, avec 290 grands électeurs sur 538, soit nettement plus que la majorité requise (270). Mme Clinton n’est créditée que de 232 grands électeurs, car les 16 sièges de l’état du Michigan n’ont pas encore été officiellement attribués à M. Trump en raison du faible écart entre les deux candidats (10 704 voix, selon le dernier décompte). La commission électorale américaine doit contrôler ce décompte le 28 novembre.

Des recours peuvent être déposés pour demander à recompter les voix, mais le temps presse, comme l’explique The New York Magazine : la date limite est fixée au 25 novembre dans le Wisconsin, au 28 novembre en Pennsylvanie et au 30 novembre dans le Michigan. La candidate des Verts Jill Stein a proposé de financer ces démarches par une cagnotte sur Internet qui a récolté un certain succès.
Hillary Clinton a-t-elle la moindre chance d’être élue ?
EN THÉORIE OUI, MAIS EN RÉALITÉ C’EST TRÈS PEU PROBABLE

Pour que la candidate démocrate soit finalement désignée, il faudrait que d’ici au 19 décembre – date du vote des grands électeurs, quarante et un jours après l’élection –, le décompte des voix aboutisse à retourner certains Etats qui sont à dominante républicaine aujourd’hui. C’est hautement improbable selon les experts.

Une option guère envisageable est évoquée outre-Atlantique, qui permettrait de faire élire Mme Clinton : il faudrait qu’une partie des grands électeurs remportés par le candidat républicain décident de ne pas voter pour lui. C’est possible en théorie, car rien ne leur interdit dans la Constitution de voter pour suivre le vote des électeurs, mais dans certains Etats ils s’exposeraient à une amende de 500 à 1 000 dollars.

Depuis la création des Etats-Unis, FairVote a compté 157 grands électeurs qui n’ont pas respecté leur parole (faithless electors), mais dans 71 des cas c’était parce que les candidats sont morts entre l’élection et la réunion des grands électeurs (Horace Greeley) ou même avant l’élection (James Sherman, qui se présentait pour être le vice-président de Howard Taft).

Une pétition, signée par 4,6 millions d’internautes, a été adressée aux 149 grands électeurs qui ne sont soumis à aucune sanction pour leur demander de choisir « celle qui a gagné le vote populaire ». Mais comme ces derniers sont globalement choisis parmi les élus ou les cadres du parti (voir la liste des grands électeurs de 2012), on imagine difficilement comment ils pourraient décider de voter contre leur formation.

Dans tous les cas, même si les grands électeurs ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur le nom du président, la décision finale reviendrait à la Chambre des représentants, qui est à majorité républicaine depuis octobre 2015 et qui pencherait donc pour M. Trump.
Faut-il réformer ce système étrange ?

Si ce système est sans doute injuste, il est essentiellement antidémocratique, surtout avec nos habitudes européennes de vote proportionnel et/ou direct. En effet, qu’un candidat remporte un Etat avec 40 voix ou 4 millions de voix d’avance, il récupère tous les grands électeurs de cet Etat (hormis dans le Maine ou le Nebraska, qui ont un système plus proportionnel). Tous les suffrages dépassant 50 % sont donc des voix gaspillées dans un Etat dont l’issue est réglée. En revanche, les Swing States, ces Etats qui oscillent entre camp démocrate et camp républicain selon les élections, sont dotés d’un poids politique démesuré.

On observe par ailleurs de petits biais électoraux liés à la démographie. Comme un Etat ne peut pas avoir moins de trois grands électeurs, certains Etats très peu peuplés se retrouvent avec un poids non proportionnel. Ainsi, 4 % de la population dans les plus petits Etats se voit attribuer 8 % des grands électeurs. Ces différences de poids électoral entre territoires existent aussi en France dans les élections départementales ou législatives : un député ne représente pas le même nombre d’électeurs selon les circonscriptions.

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