Coronavirus : tour d’une Afrique qui se barricade

28 - Mars - 2020

Maquis fermés, motos-taxis au chômage technique, écoliers désœuvrés… Pour éviter la propagation du Covid-19, les capitales d’Afrique ont pris elles aussi des mesures drastiques. Des confinements, interdictions et fermetures pas toujours faciles à faire respecter dans des villes où la promiscuité est souvent la règle et la débrouille un mode de vie. A Abidjan, Addis-Abeba, Alger et dans d’autres grandes cités du continent, les populations, prises de court, tentent de s’adapter.

A Ouagadougou, bières et brochettes à emporter

19 heures, la vie s’est arrêtée à Ouaga. En quelques minutes, les rues, d’habitude rythmées par le ballet infernal des véhicules, se sont vidées. Les étals de fruits et légumes remballés à la va-vite. La fumée s’échappe encore d’un stand déserté de poulet flambé. Quelques retardataires filent à toute allure sur leur moto, pressés de rentrer chez eux. Il faut faire vite avant l’arrivée des patrouilles des forces de l’ordre.

Le couvre-feu a sonné et restera en vigueur jusqu’à 5 heures du matin. Ouaga, ville morte. Quelques sirènes d’ambulance crient dans la nuit, comme pour rappeler l’urgence. Celle de cette pandémie due au Covid-19 qui s’accélère. En moins de trois semaines, 152 cas, dont 4 morts, ont déjà été recensés au Burkina Faso (dernier comptage vendredi). Depuis, la capitale a perdu de sa frénésie et de ses couleurs. La journée, on y voit défiler une parade de gens masqués, certains gantés. Les plus aisés font la queue à la banque et le plein de provisions au supermarché. Mais pour les plus pauvres, les marchés ont fermé ce jeudi 26 mars. « Pas de clients, on avait déjà plus de touristes à cause du terrorisme, et maintenant la maladie nous tombe dessus. Comment est-ce qu’on va faire pour vivre ? », s’interroge un vendeur de pagne traditionnel, désemparé.
Une rue de Ouagadougou, le 16 mars 2020.
Une rue de Ouagadougou, le 16 mars 2020. OLYMPIA DE MAISMONT / AFP

Le 20 mars, l’annonce est tombée comme un coup de massue : couvre-feu, fermeture des aéroports, des frontières terrestres, des restaurants et des maquis, si chers aux Burkinabés. A l’heure de la « descente » – la fin du travail quotidien –, il faut désormais s’organiser. Quelques bières locales et des brochettes à emporter. Ou, pour les plus entêtés, un dernier verre dans un jardin caché. On partage les nouvelles. C’est le grin, comme l’on nomme en Afrique de l’Ouest, ces causeries entre voisins et amis. L’occasion d’oublier, au moins pendant quelques heures, avant le coucher du soleil, ce nouveau fléau au drôle de nom. Au moins, on ne nous enlèvera pas ça, pense-t-on. Au moins, « on est ensemble ».

A Abidjan, des maquis « à moitié fermés »

Dans la capitale économique ivoirienne, les milliers d’élèves en uniforme qui cheminaient chaque matin vers les écoles se sont éparpillés. Depuis lundi 16 mars, les établissements scolaires ont fermé. « Ce sont des vacances anticipées, c’est la meilleure nouvelle de l’année », estime André, un lycéen abidjanais de 16 ans, bras dessus bras dessous avec ses amis du quartier après un match de foot improvisé. Faute d’école et en l’absence de mesures de confinement, des milliers de mineurs se retrouvent chaque jour maîtres de leur emploi du temps. Bravant les mesures de distanciation sociale et d’hygiène par ennui plus que par rébellion adolescente, ils errent dans les quartiers avant de rentrer chez eux le soir, auprès de leurs parents.
A Abidjan, le 24 mars 2020.
A Abidjan, le 24 mars 2020. Luc Gnago / REUTERS

Traditionnellement, Abidjan la festive grouille de restaurants de quartier qui servent à boire et à manger en musique. Mais, depuis le lundi 23 mars et l’instauration de l’état d’urgence, la fermeture des maquis rend la ville plus silencieuse, presque sans repères. « De mémoire d’Abidjanais, je n’avais jamais vu ça, note Auguste, enseignant et habitant du quartier populaire de Yopougon. Même pendant les crises politiques et militaires, certains maquis restaient ouverts. » En s’enfonçant dans le quartier, loin des grands axes, des chaises en plastique aux couleurs de brasseries ivoiriennes signalent la présence d’établissements toujours ouverts. « Je suis à moitié fermé », indique très sérieusement l’un des propriétaires en regardant par-dessus son épaule.
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Depuis le début de la semaine, les gares routières sont pleines d’Abidjanais qui préfèrent rentrer « au village », à l’intérieur du pays, pour affronter la propagation du coronavirus et éviter le confinement généralisé qui se profile. A compter de dimanche 29 mars, à minuit, la capitale économique sera isolée du reste du pays, avec l’interdiction d’y entrer ou d’en sortir. « Ça peut paraître surréaliste mais, pour nous, c’est juste une ambiance préélectorale avant l’heure », s’esclaffe Célestin, en allusion à l’élection présidentielle prévue pour octobre.

A Bamako, le risque pèse peu face à l’ennui

Jeudi 26 mars. La chaleur est étouffante et la rue déserte et sans bruit. C’est la première nuit du couvre-feu instauré la veille par le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, suite à la découverte des deux premiers cas de Covid-19 dans le pays, dernier de la région encore épargné par la pandémie. C’est aussi la première nuit de l’état d’urgence sanitaire, décrété en plus de l’état d’urgence sécuritaire qui prévaut depuis 2015 dans ce pays en guerre. Les Maliens ne s’en émeuvent pas. L’habitude des urgences, peut-être. Il est interdit de circuler entre 21 heures et 5 heures du matin, quelle qu’en soit la raison.
Une rue quasi déserte de Bamako, en mars 2020.
Une rue quasi déserte de Bamako, en mars 2020. Luc Gnago / REUTERS

Le jour, les marchés, les mosquées restent ouverts malgré l’interdiction de rassemblement. Même les élections législatives de dimanche sont maintenues. Ces derniers jours, les prix des gels hydroalcooliques avaient tout de même doublé dans les pharmacies. Expatriés et personnel des ONG formaient des files interminables dans les supermarchés de la capitale. Dans la rue, des enfants jouant au ballon dans la poussière ne s’arrêtaient que pour regarder des étrangers passer : la main sur la bouche, ils toussaient deux fois, criant « corona », avant de reprendre la partie.

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