En Afrique du Sud, « si les flics te trouvent à boire dehors, tu peux être sûr de prendre une raclée »

15 - Avril - 2020

Courbée sous le poids des années, la silhouette de Mama Sipiwe arpente lentement les rues de Soweto. Semblable a tant d’autres en quête de victuailles en ces temps de confinement, la vielle dame en tricot est insoupçonnable sous son bonnet de laine. Elle jauge ses interlocuteurs d’un œil sévère derrière ses verres fumés.

Si elle se méfie, c’est que Mama Sipiwe, qui ne s’appelle pas réellement ainsi, a bien d’autres raisons que d’aller au supermarché pour battre le pavé. Depuis que l’Afrique du Sud a interdit la vente d’alcool, c’est elle qui arrose tout son quartier, dans cet immense township de la banlieue sud-ouest de Johannesburg.

Voilà bientôt trois semaines que le pays a mis en place l’un des confinements les plus sévères de la planète afin de lutter contre la pandémie de Covid-19. Pas de course à pied, pas de promenade pour le chien, pas de vente de cigarettes, ni d’alcool. Officiellement, l’Afrique du Sud, l’un des dix plus gros consommateurs d’alcool sur le continent d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est au régime sec.

Dans les faits, à l’image de Mama Sipiwe, une armée d’Al Capone à la petite semaine a pris le relais des débits officiels. Rien de bien révolutionnaire en réalité : pendant des décennies, la vente d’alcool, privilège réservé aux Blancs sous l’apartheid, a eu lieu sous le manteau dans les communautés noires.
Boire à l’abri des portails en fer

Cette fois, le bras armé de la prohibition s’appelle Bekhi Cele. Un fedora vissé sur le crâne façon agent fédéral américain des années 1920, le ministre de la police semble avoir trouvé là le rôle de sa vie. Pour l’instant, la mesure vise à dissuader les rassemblements, tenter de contenir l’explosion redoutée des violences domestiques dans un pays qui bat des records en la matière ou encore renforcer le système immunitaire des Sud-Africains. Mais Bekhi Cele confiait, il y a quelques jours, que sa plus belle récompense serait de voir l’alcool définitivement interdit à l’issue du confinement.

Le ministre répète sur toutes les chaînes qu’il sera sans merci avec les contrevenants. Ses troupes l’ont bien compris. Au moins deux hommes sont morts dans la périphérie de Johannesburg pour des infractions présumées à ce nouveau code de conduite ces dernières semaines. L’un est tombé sous les balles de la police, l’autre sous ses coups, d’après des témoins.

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