En Irak, la colère des jeunes chiites contre Téhéran

15 - Novembre - 2019

Sur l’affiche mortuaire qui le présente en « martyr de la révolution » et en « serviteur de l’imam Hussein », Al-Radoud Ali Wissam a le visage bonhomme du garçon tout juste sorti de l’adolescence. Marié et père d’un jeune enfant à 19 ans, il a été tué, d’une balle dans le cœur, le 4 novembre, devant le consulat iranien de Kerbala, en marge des manifestations contre le pouvoir, qui convulsent la ville sainte chiite, depuis octobre. Loin de l’image de « saboteurs » attribuée par les autorités irakiennes aux jeunes hommes qui ont incendié le bâtiment ce soir-là aux cris de « l’Iran dehors », au prix de quatre morts, son père, Wissam Chaker, meurtri par le deuil, décrit un lycéen sérieux et pieux qui « manifestait pacifiquement pour ses droits. »

Al-Radoud Ali Wissam a été élevé dans la religiosité de la ville sainte, tout entière dévouée à l’imam Hussein, petit-fils du prophète Mahomet et figure fondatrice de l’islam chiite, du mausolée de laquelle le dôme doré domine le centre historique. Il a grandi dans la périphérie misérable, dans l’un des nombreux bidonvilles négligés des autorités, qui ont donné le gros des volontaires partis combattre, en 2014, l’organisation Etat islamique dans les rangs des milices chiites de la Mobilisation populaire (MP) après la fatwa de l’ayatollah Ali Al-Sistani. La destruction de centaines de maisons dans une opération d’éradication des bidonvilles par les autorités, sans avertissement préalable, en septembre, a nourri la contestation. « Il voulait un meilleur avenir. Les étudiants ont des masters, mais pas d’emploi. Ils deviennent porteurs de pierres. Le gouvernement donne les contrats aux sociétés étrangères et à leurs ouvriers », déplore le père, combattant de la MP.

Le père accuse le gouvernement « corrompu », mais se risque d’une voix lasse : « Tous sont corrompus, même les chefs de la MP, qui nous ont utilisés pour prendre le pouvoir. On veut leur chute. Al-Sistani nous a dit de continuer jusqu’à ce que l’on obtienne nos droits. » Mais la gêne, et peut-être la peur, voile sa voix, à l’évocation des circonstances de la mort du « martyr ». « Mon fils ne disait pas : “L’Iran, dehors”. Il était de l’autre côté de la rue du consulat. On n’a rien contre le peuple iranien », assure-t-il. Al-Radoud Ali Wissam a accueilli, dans la modeste demeure familiale, onze pèlerins iraniens, mi-octobre, lors du pèlerinage de l’Arbaïn. Quatorze millions de chiites – dont près de trois millions d’Iraniens – ont rejoint à pied Kerbala pour marquer la fin des quarante jours de deuil de la mort de l’imam Hussein, assassiné en 680 par les troupes du calife omeyyade Yazid, durant la bataille de Kerbala.

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