En Iran, un couple lourdement condamné pour avoir publié des « contenus obscènes et vulgaires » sur Instagram

15 - Mai - 2020

En Iran, ils ont été les rois du monde. Riche, beau, sympathique, sportif, avec deux très jolis enfants, le couple a été parmi les plus célèbres figures d’Instagram du pays, l’un des seuls réseaux sociaux non censurés. Avec ses longs cheveux noirs, Shabnam Shahrokhi, suivie par 870 000 abonnés sur Instagram, est une kick boxeuse d’une beauté envoûtante. Son époux, Ahmad Moin Shirazi, connu sous le nom de Picasso, est pour beaucoup l’homme idéal. De plus, cet ancien champion de kickboxing ne cesse de réclamer sur sa page Instagram, suivie par presque 600 000 abonnés, l’égalité entre les sexes dans une République islamique d’Iran, où la femme est souvent considérée comme inférieure à l’homme.

Or cette vie parfaite s’est brisée lorsque le couple a été contraint, en septembre 2019, de quitter sa patrie pour la Turquie. Fin avril, Ahmad Moin Shirazi a annoncé avoir été condamné à neuf ans de prison et Shabnam Shahrokhi à sept ans. Agée de 38 ans, cette dernière a écopé également de 74 coups de fouet. La liste des chefs d’accusation contre le couple est assez longue : « propagande » contre le régime, publication des « contenus obscènes et vulgaires » sur la Toile, « ayant agi contre la morale publique » et « propagation de la corruption morale ».

« Mon dossier faisait quelque 500 pages, celui de Shabnam, disons 1 000 pages, parce qu’elle avait beaucoup de posts sans voile. » Ahmad Moin Shirazi.

Avant que tombe la sentence, le couple avait raconté, au M Le magazine du Monde, son calvaire dans son appartement à Istanbul. « Tout a commencé lorsqu’un jour du début de l’été 2019, j’ai reçu un appel masqué sur mon téléphone, explique Ahmad Moin Shirazi. Personne à part les gens du système n’a accès à cette option en Iran. J’ai tout de suite su que c’était de mauvais augure. » A l’autre bout de ligne, les agents du ministère de renseignement. Le couple, propriétaire de deux salles de gym, est convoqué une semaine plus tard et interrogé, chacun de son côté, pendant quatre heures. « Mon dossier faisait quelque 500 pages, celui de Shabnam, disons 1 000 pages, parce qu’elle avait beaucoup de posts sans voile », se souvient Ahmad Moin Shirazi. Si les femmes doivent se couvrir la tête et tout le corps (sauf le visage et les mains), sur Instagram, de nombreuses Iraniennes osent briser cette ligne rouge, non sans risque.
Publier des contenus en faveur du régime ou partir

Depuis l’arrivée du réseau social en Iran, au début des années 2010, les deux Iraniens partagent des bribes de leur vie quotidienne : les séances d’entraînement du couple, Shabnam Shahrokhi toujours sans voile, de temps en temps en débardeur et short, leurs activités caritatives ou écologiques (dont une campagne de collecte de mégots), la naissance de leurs enfants, très rarement la pub pour certains produits. A Ahmad Moin Shirazi, les agents reprochent ses publications dénonçant la corruption des autorités, la pauvreté et l’absence de liberté dans le pays, mais aussi ses démonstrations d’amour envers sa femme. « Ils me traitaient de corrompu, explique l’homme. Mais le pire pour eux était les photos de Shabnam sans voile côte à côte avec ma mère, elle voilée. Ils ne supportaient pas l’idée que les gens commencent à se dire que les deux genres, voilée et non voilée, puissent coexister en Iran ». « Ils m’accusaient de vouloir normaliser l’abolition de la loi du voile », poursuit Shabnam Shahrokhi.

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