En Mauritanie, 2018 commence par une dévaluation qui ne dit pas son nom

02 - Janvier - 2018

Debout sur un trottoir du marché de Nouakchott, le cambiste Nejib Ould Sidi se frotte les mains : la demande de devises explose en Mauritanie depuis l’annonce de la mise en circulation de nouveaux billets de la monnaie nationale, l’ouguiya. A partir de ce 1er janvier 2018, dix ouguiyas deviennent un ouguiya. Et à l’approche de la date fatidique, « l’activité a quintuplé », indique le changeur.
Depuis l’annonce de cette mesure le 28 novembre, jour de la fête nationale, par le président Mohamed Ould Abdel Aziz, « les gens se ruent sur le dollar et l’euro, qu’ils achètent et gardent chez eux », ajoute-t-il. Un chef de bureau de change au marché central confirme une « flambée » de l’euro et du dollar, qui ont augmenté « de 3,5 % en une semaine ».

« Les gens thésaurisaient l’ouguiya. Maintenant qu’ils sont obligés de s’en débarrasser, ils achètent et conservent les devises dans le coffre-fort de leur domicile », explique un autre cambiste.
Avant même l’annonce de la mise en circulation des nouveaux billets, la monnaie mauritanienne s’était dépréciée ces derniers mois au marché noir face à l’euro et au dollar, mais la tendance s’est encore aggravée depuis.

« Le pouvoir d’achat ne s’en ressentira pas »
Un commerçant du marché central de Nouakchott, Mohamed Heyin, estime cependant que « les prix vont baisser » progressivement grâce à l’introduction de ces nouveaux billets. « Auparavant, on te disait 10 000 ou 20 000 [ouguiyas] pour un produit. Désormais, on te dira 800 ou 700. C’est plus logique pour éviter l’inflation. »
Début décembre, le gouverneur de la Banque centrale de Mauritanie (BCM), Abdel Aziz Ould Dahi, a démenti les rumeurs de « dévaluation » assurant que l’ouguiya « conserverait sa valeur et que le pouvoir d’achat des citoyens ne s’en ressentirait pas ».
Les prix à la consommation sont en hausse depuis plusieurs mois. Ainsi, le riz thaïlandais, très prisé par les ménages mauritaniens, est passé de 300 à 350 ouguiyas le kilo (de 0,70 à 0,82 euro), et la bouteille de lait d’un demi-litre, de 250 à 300 ouguiyas. Le ciment et le fer à béton ont également connu des augmentations de 10 % à 12 %.
Files d’attente
La mise en circulation du nouvel ouguiya a obligé de nombreuses banques à ouvrir exceptionnellement le 1er janvier. Des files d’attente de clients, chéquier en main, se sont formées devant plusieurs agences.
Les institutions bancaires sont contraintes de reprendre tous leurs logiciels, les chéquiers, et de reconfigurer leurs guichets automatiques pour les mettre en conformité avec la nouvelle monnaie.

Dans les rues, les personnes déjà servies examinaient les billets fabriqués en polymère, les tournant et les retournant, contemplant leurs couleurs vives et testant leur solidité tant vantée par la BCM.
Les ouguiyas neufs étaient disponibles dès minuit dans certains distributeurs automatiques. Ainsi, à la Banque populaire de Mauritanie (BPM), « on avait par exemple à l’agence de Tevragh Zeina [un quartier de Nouakchott] une vingtaine de clients qui étaient là à minuit », a indiqué à l’AFP la directrice marketing, Mariem Khayar. Au-delà du besoin d’espèces, « il y avait aussi beaucoup de curiosité pour toucher enfin cette nouvelle monnaie », a-t-elle estimé.
« Vague de blanchiment d’argent »
Selon des spécialistes, ce changement aura le mérite de réinjecter dans le système bancaire des liquidités thésaurisées par des personnes travaillant au noir ou craignant de dévoiler leurs fonds d’origine frauduleuse.
« Les devises aussi bien que l’immobilier et autres valeurs refuges bénéficieront de cette vague de blanchiment d’argent qui accompagnera l’opération », estime l’économiste Isselmou Ould Mohamed.

Au moment de l’annonce, le 28 novembre, le président Ould Abdel Aziz affirmait que cette réforme permettrait « à l’ouguiya de reprendre sa place dans les transactions financières, de protéger le pouvoir d’achat du citoyen et de réduire la quantité de la monnaie en circulation ».
Les anciens billets et pièces seront retirés selon un calendrier établi par la BCM, en commençant par les plus gros : le billet de 5 000 ouguiyas d’ici le 31 janvier, ceux de 2 000 et 1 000 respectivement un et deux mois plus tard, et les plus petites coupures d’ici juin.

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