Iran : cette révolte est celle des « va-nu-pieds »
Dans une tribune au « Monde », le sociologue Farhad Khosrokhavar explique que l’écart entre le pouvoir et la société se creuse de manière inexorable.
L’Iran est l’incarnation de ce paradoxe : au moment précis où les analystes occidentaux font le constat, mi-désabusé, mi-émerveillé, du succès de sa politique étrangère (en Syrie, au Liban, au Yémen, en Irak…), c’est sur le front intérieur que la contestation se manifeste. Le pays traverse une période de turbulences dont la nature est fort différente de celles d’avant.
L’élection présidentielle de juin 2009 (avec la victoire d’Ahmadinejad, très contestée et considérée comme frauduleuse par une grande partie de la population), les manifestations des étudiants en 1999 (qui furent écrasées par le régime sans que le président réformiste Khatami, élu en 1997, n’intervienne en leur faveur) ou encore les protestations ouvrières de ces dernières années (la régie des transports de Téhéran, les usines de production de sucre ou celles de l’industrie automobile) ont toutes été sectorielles et n’ont pas mobilisé la société dans son ensemble. Surtout, elles n’ont pas contesté frontalement le régime.
« La majeure partie des protestations de ces deux dernières décennies ont été menées par les nouvelles classes moyennes »
La majeure partie des protestations de ces deux dernières décennies ont été menées par les nouvelles classes moyennes, notamment les étudiants, pour l’ouverture du système politique. Il en est ainsi des élections présidentielles, qui sont devenues un enjeu de contestation des réformistes contre les partisans purs et durs de la théocratie (les « principalistes ») : Khatami en 1997 et en 2001, Ahmadinejad en 2005, Rohani en 2013. Ces mouvements ont eu des enjeux politiques beaucoup plus qu’économiques. Si Ahmadinejad a gagné les élections en 2005 et en 2009, c’est qu’en plus de la fraude il a su mobiliser les « déshérités », que ne touchaient pas les réformistes dans leur soif de liberté politique.
La révolte des « va-nu-pieds »
Les troubles actuels ont plusieurs caractéristiques nouvelles.