L’adolescente palestinienne Ahed Tamimi plaide coupable devant la justice militaire israélienne

22 - Mars - 2018

L’adolescente, devenue un symbole de la lutte contre l’occupation pour une vidéo la montrant giflant un soldat en Cisjordanie, a été condamnée à huit mois de prison.

Ahed Tamimi pendant sa comparution devant la cour militaire de la prison d’Ofer (Cisjordanie), le 13 février. ARIEL SHALIT / AP
Ahed Tamimi sortira de prison d’ici à l’été. La jeune Palestinienne, arrêtée pour avoir giflé et bousculé un soldat israélien dans son village de Nabi Saleh, en Cisjordanie, a accepté de plaider coupable, mercredi 21 mars. Détenue depuis décembre 2017, elle a été condamnée à huit mois de prison. Le parquet militaire a abandonné huit des douze charges retenues à l’origine contre cette adolescente, devenue une figure iconique sur les réseaux sociaux, dans les territoires occupés et à l’étranger.
Ahed Tamimi, 17 ans, a fait comme les centaines d’autres mineurs palestiniens arrêtés chaque année : elle a plaidé coupable car elle ne pouvait se défendre conformément aux normes du droit.

En 2013, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) parlait de mauvais traitements « institutionnalisés » sur les mineurs par la justice militaire israélienne. Dans un rapport publié le 20 mars, l’ONG israélienne B’Tselem s’est également penchée sur ce système. Elle souligne la continuité des abus depuis que cette justice des mineurs est apparue en 2009 : arrestations de nuit, isolement, menaces, abus verbaux et parfois physiques…
Selon le rapport, dans « l’écrasante majorité des cas », le tribunal pour mineurs se contente d’entériner la pratique du « plaider coupable ». Une issue acceptée par le clan Tamimi, dès lors que le tribunal avait refusé la publicité des débats. « Cela signifiait qu’il n’y aurait aucun procès équitable, devant témoins, explique Me Gaby Lasky, l’avocate d’Ahed. C’était une façon de la faire taire. » Mais faire taire les Tamimi n’est pas une affaire aisée.
Débat national
L’obstination est le trait de caractère partagé dans le clan, contaminant l’ensemble du village de Nabi Saleh. Depuis tant d’années, la cuisine familiale est le quartier général de la lutte locale. Là où les résidents affluent, où les militants passent, où les journalistes se succèdent, posant la même question : « Pourquoi ici ? » Qu’est-ce qui rend cette commune spéciale, sur la carte des mobilisations palestiniennes ?
Cette interrogation a redoublé de vigueur, le 15 décembre 2017, lorsque Ahed Tamimi a pris à partie un soldat israélien qui s’était présenté, une millième fois, devant la maison familiale. Peu avant, son cousin Mohammed avait eu la boîte crânienne fracassée par une balle en caoutchouc. Il est à présent défiguré. Ahed s’est avancée avec sa cousine. Sa mère Nariman filmait, ce qui lui vaudra la même peine de prison que l’adolescente. Les deux Israéliens en uniforme ont fait preuve de retenue : il s’agissait là d’un épisode banal dans le quotidien de l’occupation. Mais la diffusion virale de la vidéo va changer la donne.
Un débat national s’installe sur la fermeté à adopter en pareilles circonstances. « La société israélienne est malade, affirme Bassem Tamimi. Ils ne supportent pas que leurs soldats soient stoppés. Ils voulaient punir Ahed. » Quatre jours après les faits, elle est placée en détention, comme plus de 300 autres mineurs palestiniens actuellement. La différence est que son procès a éveillé une attention sans égal. Selon un sondage publié le 20 mars par le Palestinian Center for Policy and Survey (PSR), 92 % des personnes interrogées disent connaître l’adolescente. Parmi eux, 64 % l’érigent en modèle.
Résistance
Il faut oublier les boucles d’or d’Ahed, expliquant en partie l’empathie qu’elle suscite à l’étranger. Elle est photogénique, certes, mais surtout elle vient de loin, sans légèreté. « Ahed n’a pas eu d’enfance, murmure son père. Ce n’est pas à elle et à sa génération de gifler ce soldat. Je me sens coupable, mais j’espère qu’ils réussiront. Ahed n’a pas giflé un individu mais un uniforme. Je hais ce régime, ce système, la colonisation. »
Bassem Tamimi est un vétéran de la lutte contre l’occupation, qui a intégré l’échec des négociations de paix dans la foulée des accords d’Oslo (1993). Longtemps favorable à la solution à deux Etats, il a changé d’avis pendant la seconde Intifada.
« Les Israéliens gagnent du temps. Leur plan, c’est le grand Israël, de la mer au Jourdain. »
Les dirigeants palestiniens sont à ses yeux déconsidérés. Pourtant, il a accepté d’être reçu par le président Mahmoud Abbas, le 5 février. « On a besoin de tout le monde », lâche-t-il.
Bassem Tamimi a passé une semaine dans le coma en 1993 après avoir été frappé lors d’un interrogatoire. Sa sœur a été tuée, d’autres membres du clan aussi. Emprisonné à neuf reprises, pour une période totale d’environ quatre ans, le père d’Ahed a confronté ses vues à celles d’autres prisonniers. La lutte armée lui paraissait être une voie sans issue.
Il décida alors de transformer Nabi Saleh en laboratoire de la résistance populaire. Consécration en 2013 : le village fait la « une » du New York Times Magazine. Autant dire que Nabi Saleh exaspère les Israéliens. En 2016, une sous-commission à la Knesset (Parlement) a même demandé des vérifications confidentielles, pour établir si les Tamimi constituaient une vraie famille.
Lire aussi : Ahed Tamimi, figure familière de la résistance palestinienne
Nabi Saleh est situé à environ vingt kilomètres au nord-ouest de Ramallah. Tout le monde se connaît parmi les 600 habitants. On y dit qu’ils sont déjà 260 à être allés en prison, dont 44 mineurs. On partage les deuils et les mariages, les colères et les joies.
Le village dispose d’une source d’eau naturelle qui fait l’objet d’un conflit intense avec les habitants de Halamish, la colonie israélienne qui occupe un flanc de colline en face. Les colons, installés ici depuis 1977, ont rogné les terres privées palestiniennes, au fil des ans, sous la protection de l’armée.
Viral
A compter de 2009, les villageois ont décidé de s’investir collectivement. Au point qu’une sorte de rituel du vendredi s’est imposé, sous l’attention grandissante des médias. D’abord, une courte marche dans les rues ; les soldats se tiennent à l’entrée du village, à pied ou en véhicule blindé ; ils décident d’interrompre ce rassemblement, tirent des grenades lacrymogènes ou assourdissantes ; des jeunes, le visage masqué, essaient de les viser avec des pierres, provoquant une réponse plus forte, des arrestations, des blessures.
Mais la famille Tamimi ne s’est pas contentée de ce rituel local. En utilisant les réseaux sociaux, elle en a fait une sorte de série sans fin. Une page Facebook, une chaîne sur YouTube, des comptes Twitter, des listes d’envoi par courriel : le visage d’Ahed n’est pas devenu viral par magie.
La famille Tamimi a appliqué au village les recettes qui ont marché partout dans le monde, hors des cadres partisans traditionnels, des partis ou des syndicats. Les manifestations ont simplement cessé d’être hebdomadaires, car elles banalisaient la mobilisation et la privaient de tout effet de surprise.
« On était conscients de l’importance de ces réseaux sociaux pour toucher la jeunesse, pour planter des graines en eux et susciter un questionnement, explique Manal, 43 ans, tante d’Ahed. Les vidéos changent le regard des gens. Ils ont vu grandir Ahed ainsi. »
A l’entrée de la maison de Manal, il y a une sorte de galerie des canettes de gaz lacrymogène, récupérées au fil des ans. Sur sa terrasse, de vieux canapés ont été installés. D’ici, on voit la silhouette des soldats se dessiner sur la colline, en début d’après-midi, le vendredi, à l’heure des confrontations. On peut alors prévenir les gamins qui traînent dans la rue.

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