La gouvernance de Macky Sall mise à rude épreuve
Il n’aurait jamais imaginé que son deuxième mandat serait un «cauchemar». Réélu dès le premier tour, le Président Macky Sall peine à gouverner tranquillement. Il est pris à l’étau par des contestations populaires, la dislocation de ses troupes, la gestion de la Covid-19 et dernièrement des polémiques à n’en plus finir sur le foncier.
«Lettre d’information relative à une manifestation pacifique.» Cette note adressée hier au Préfet du département de Dakar est la énième du genre cette année. Cette fois-ci, c’est le Front multi-luttes «Doyna» nouvellement créée et regroupant une quinzaine d’organisations qui s’illustre en informant de la tenue de son sit-in le jeudi 25 juin 2020 à la Place de la Nation (ex-Place de l’Obélisque). Ce, malgré que l’on soit en pleine crise sanitaire liée au nouveau coronavirus.
En tête, le Front pour une Révolution anti-impérialiste Populaire et Panafricaine (Frapp) dont Guy Marius Sagna est l’un des membres les plus en vue, cette nouvelle plateforme exige le paiement de 14 mois d’arriérés de salaires à 145 travailleurs par Pcci et Sonatel. Ils exigent aussi le paiement de 49 mois d’arriérés aux travailleurs de ABS Sénégal, leur dédommagement et leur redéploiement par l’Etat ; le paiement à chacun des 200 étudiants victimes de Afup Canada de dommages et intérêts qui s’élèvent à 1 million pour chaque étudiant.
Sur la question foncière, le Front-multi-luttes «Doyna» demande l’arrêt de la spoliation foncière à Ballabougou et à Kiniabour, et de l’accaparement des terres à Guéréo par le Groupe Decameron ; puis un audit foncier, la restitution des terres aux paysans et pasteurs de la localité. Le front exige des mairies de Oréfondé, Agnam, Dabia, Thilogne la transparence envers la population et la lumière dans la signature d’un financement de 700 milliards FCFA et les copies de délibération du projet pour chaque commune. Il veut aussi que les 253 victimes de démolition de maison de Gadaye soient dédommagées. Il demande enfin l’extension du quartier Terme Nord (Ouakaù, près de l’ancien aéroport Léopold Sédar Senghor), l’amélioration de son cadre de vie et la mise sur pied démocratique, participative, inclusive d’un comité de quartier ou comité de gestion.
Diagnostic d’un système économique déjà amorphe, pris par l’étau de la crise sanitaire Il faut relever cependant qu’avant cette protestation pacifique, des contestations populaires violentes avaient été notées partout dans le pays pour réclamer l’allègement de l’état d’urgence et la levée du couvre-feu. Finalement, le gouvernement a cédé en se pliant à la volonté populaire manifestée. Mais globalement, si on fait une analyse approfondie de la gouvernance sous Macky Sall, on peut noter qu’il y a beaucoup de paradoxes dans la politique qui est menée, la gestion des affaires et les discours politiques annoncés. Joint au téléphone, l’enseignant chercheur à l’UGB, Moussa Diaw estime que si on analyse le discours du chef de l’Etat et qu’on le met en rapport avec les réalisations, on se rend compte qu’il y a un écart important entre ce qui a été annoncé et ce qui s’est traduit dans la réalité. «On trouve des promesses non tenues en termes d’amélioration des conditions de vie des populations», souligne le Pr Moussa Diaw. D’ailleurs, il pense que même ses réalisations sont à relativiser en dehors de l’autoroute «Ila Touba».
La preuve, dit-il, le grand projet du TER pose problème alors qu’on a englouti énormément de milliards dedans sous forme de prêts. «Avant la présidentielle, la majorité se réjouissait d’avoir obtenu de nombreuses promesses de dettes. On parlait de milliards empruntés, mais aujourd’hui on se demande où sont passés tous ces milliards en termes de réalisations économiques et de priorités», s’interroge Monsieur Diaw. Pour ce qui est de l’autosuffisance en riz, il affirme qu’on avait misé pour 2019 sans que cela soit atteint. «Finalement, on a pu donner de date à l’issue de lquelle on aboutira à l’autosuffisance en matière de riz. Donc, toute la politique agricole est à revoir en termes de priorités», soutientil. En ce qui concerne la politique de Santé, la pandémie Covid-19 a montré qu’elle est à redéfinir. A en croire Moussa Diaw, la santé devrait être adossée à des stratégies permettant de soigner les populations, d’avoir des hôpitaux et des infrastructures en matière de santé. Malheureusement, poursuit-il, la Covid-19 vient compliquer les choses avec des répercussions économiques dans la mesure où il sera difficile d’éviter la récession. «Nos économies sont très fragiles et une bonne partie occupée par l’économie informelle. En plus de cela, les mesures drastiques pour faire face à la pandémie ont affecté le Tourisme qui générait beaucoup d’argent ainsi que le transport, l’exportation etc. » Tout ceci amène l’enseignant chercheur à dire que le Sénégal est dans un système économique pris par l’étau de la crise sanitaire.
MOUSSA DIAW : «POLITIQUEMENT, C’EST L’IMPASSE ; ECONOMIQUEMENT N’EN PARLONS PAS ; ET SOCIALEMENT C’EST LE DESASTRE»
Par ailleurs, l’enseignant chercheur à l’UGB estime que le débat contradictoire sur les spéculations foncières montre bien qu’il y a d’autres préoccupations pour certains responsables du régime qui, au lieu de penser à l’intérêt général, sont en train de se précipiter comme si on se partageait un gâteau national. «Chacun essaye de s’enrichir le plus rapidement possible en laissant de côté les populations sans se préoccuper de leurs aspirations», se désole t-il. En plus, il soutient que face à cette crise, les membres du régime constatent comme tout le monde les difficultés sans essayer de changer la donne. Ce qui, selon lui, révolte les Sénégalais à travers une vague de contestations parce qu’ils ne peuvent plus supporter les contraintes liées à la pandémie. «Les mesures drastique prises par l’Etat ne pouvaient coller à l’économie, parce que la plupart des Sénégalais évoluent dans l’informel. Les gens sont dans une situation de survie. Et donc, politiquement, c’est l’impasse ; économiquement n’en parlons pas ; et socialement c’est le désastre. Donc globalement, si on fait l’évaluation, c’est très facile d’aboutir à un résultat qui est une insatisfaction des populations par rapport à la politique menée», explique le chef de la Section sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB).
En définitive, Monsieur Diaw a attiré l’attention sur l’absence totale de solidarité gouvernementale si on analyse les réponses fournies par les membres de l’Exécutif. Avant de relever les tensions entre les leaders de la mouvance présidentielle. Ce qu’il trouve d’ailleurs inquiétant. «On ne sait pas où on va. Aujourd’hui, on nous indique des voies et demain le contraire. Cela va tous les sens. C’est comme s’il y avait un problème d’autorité. Les directives du Président ne sont pas respectées. Le Président donne des consignes, les gens ne suivent pas, c’est le notamment sur le foncier. Donc, on s’interroge sur cette gouvernance politique, ses contradictions. Et où est-ce ce que cela peut mener à long terme», affirme l’enseignant chercheur à l’UGB.