La Russie, meilleure alliée de la Turquie en Syrie

30 - Mars - 2018

La Turquie compte avant tout sur la Russie pour poursuivre, voire étendre son intervention en Syrie.

Le septième anniversaire de la révolution syrienne a été marqué, le 18 mars à Paris, par un appel à la solidarité avec les populations civiles de la Ghouta orientale et d’Afrin. Ce refus de distinguer les victimes syriennes suivant leurs origines ethniques et confessionnelles est ancien. Il découle de l’aspiration à l’unité nationale qui a marqué le début du soulèvement démocratique contre le régime Assad, au printemps 2011. La France a pourtant vu des indignations très sélectives ces dernières semaines: Jean-Luc Mélenchon a ainsi proclamé son « soutien aux Kurdes d’Afrin » alors que « Le Media », affilié à son parti, avait décidé de ne pas diffuser d’images des bombardements de la Ghouta. Ce sont les mêmes milieux qui persistent à considérer qu’il n’est de seul « impérialisme » qu’occidental. Or c’est bel et bien la Russie qui apporte le soutien essentiel à la poursuite de l’intervention turque en Syrie.
LE TRIANGLE MOSCOU-DAMAS-ANKARA
C’est Bachar al-Assad, alors simple dauphin du « trône » présidentiel, qui a convaincu en 1998 son père Hafez d’expulser Abdullah Öcalan. Le chef et fondateur du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) vivait à Damas, sous la protection des renseignements militaires, depuis 1984. Exfiltré par les services russes vers Moscou, Öcalan entama une longue cavale qui s’acheva par sa capture au Kenya, en 1999, et son incarcération en Turquie. Ankara en fut longtemps reconnaissante à Bachar, devenu président à la mort de son père en 2000. Les relations avec Erdogan, Premier ministre à partir de 2003, prospérèrent jusqu’à l’établissement, en 2007, d’une zone de libre échange entre la Turquie et la Syrie. Il faudra en 2011 de longs mois de répression d’une contestation initialement pacifique pour qu’Erdogan rallie l’opposition ouverte à Assad et accueille sur son territoire les déserteurs de l’Armée syrienne libre (ASL).
La Turquie demande alors, à l’ONU comme à l’OTAN, l’instauration de zones d’interdiction aérienne au nord de la Syrie, afin de s’assurer d’un glacis de sécurité à sa frontière sud, en territoire syrien, et d’y implanter des centaines de milliers de réfugiés. Cette demande de « no-fly-zone », pourtant relayée par l’opposition syrienne, reste lettre morte. En juillet 2012, le régime Assad, confronté à une offensive révolutionnaire à Damas et à Alep, retire ses forces de la région d’Afrin, au nord-ouest d’Alep, et de la Jazira, à l’extrême nord-est du pays. Ce retrait gouvernemental s’opère au profit du PKK, dont des milliers de guérilleros se déploient depuis l’Irak voisin, et il est scellé par un pacte de non-agression entre le PYD (Parti de l’unité démocratique), la branche locale du PKK, et le régime Assad. Les miliciens du PKK/PYD à Afrin n’y ont donc jamais combattu Daech, ils ont laissé les révolutionnaires syriens expulser seuls Daech de la région d’Alep en janvier 2014, avant de se retourner contre ces mêmes révolutionnaires syriens, en coordination avec le régime Assad.
LE BASCULEMENT TURC DE L’AUTOMNE 2016
Un cessez-le-feu était entré en vigueur en Turquie, au printemps 2013, entre les forces de sécurité et la guérilla du PKK, qui se replia très largement vers ses nouveaux fiefs de Syrie. La reprise des hostilités entre l’armée et le PKK en Turquie même, à l’été 2015, s’accompagna d’un soutien massif d’Ankara aux milices anti-Assad, afin d’obtenir par leur biais une « zone de sécurité » pour la Turquie en territoire syrien. La Russie réagit à ce défi inédit en entrant directement en guerre aux côtés du régime Assad, ainsi sauvé par cette intervention étrangère. Erdogan voyait donc non seulement sa stratégie syrienne mise en échec, mais il s’alarmait du soutien croissant des Etats-Unis et de la coalition anti-Daech au PYD/PKK, devenu le fer de lance de la campagne anti-jihadiste en Syrie. Ankara intervint alors directement en Syrie en août 2016, afin de repousser Daech hors de la vallée de l’Euphrate et s’imposer comme partenaire de la coalition anti-jihadiste en Syrie, en lieu et place du PYD/PKK.
Les états-majors occidentaux préférèrent cependant continuer de s’appuyer sur le seul PYD/PKK. Cette décision, lourde de conséquences pour l’OTAN, jeta littéralement Erdogan dans les bras de Poutine. Elle scella aussi le sort d’Alep-Est, livrée par la Turquie à la Russie en décembre 2016, et non « reconquise » par le régime Assad et ses alliés pro-iraniens. Erdogan accepta de cautionner avec l’ayatollah Khameneï un processus de « désescalade » lancé sous l’égide de Poutine dans la capitale du Kazakhstan. Ce « processus d’Astana », qui exclut l’ONU, vise en fait à progressivement réduire les poches de résistance au régime Assad. C’est dans le cadre de cet accord tripartite que le despote syrien a gagé la chute du bastion révolutionnaire de la Ghouta orientale, dans la banlieue de Damas, sur la prise de contrôle d’Afrin par l’armée turque.
S’il y a « trahison » des Kurdes de Syrie, elle est d’abord le fait de la direction du PKK, qui les a sacrifiés à ses ambitions régionales, en Turquie comme en Irak. Le PKK a cru être le grand bénéficiaire d’une « internationalisation » de la crise syrienne qui se réaliserait hors du cadre de l’ONU et au mépris des droits du peuple syrien. Il a en conséquence misé à fond sur l’administration Trump et il continue d’espérer d’elle la sanctuarisation de ses autres bastions en Syrie.
Quant aux Syriennes et aux Syriens, ils souffrent quelle que soit leur appartenance ethno-linguistique, qu’ils soient arabes, kurdes, arméniens, assyriens, turkmènes ou tcherkesses. Et leurs malheurs risquent de ne pas cesser tant que la Turquie restera fermement arrimée à l’attelage russe, consolidant ainsi à la fois le pouvoir d’Assad =et= les interventions étrangères sur le sol syrien.

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