Le nord du Burkina Faso démuni face aux djihadistes
Le nord du Burkina Faso démuni face aux djihadistes
Dans la région Sahel, le sentiment d’abandon des populations grandit et profite aux groupuscules terroristes.
Il a parcouru le nord du Burkina Faso jusqu’à la frontière malienne – un périple d’une semaine à travers la région Sahel, qui fait face depuis des mois à une augmentation des attaques terroristes. Abdulrahmane Barry vient juste de rentrer, et il est excédé : « Ce qui se passe là-bas est terrible ! La population est traumatisée. Elle vit dans une terreur absolue. » Le coordinateur des associations du Nord a voulu constater, vérifier ce qui se dit dans les grandes villes : là-bas, la menace terroriste de plus en plus pressante aurait fait perdre à l’Etat le contrôle d’une partie de son territoire.
Depuis 2015, une vingtaine d’attaques terroristes ont endeuillé cette zone, entraînant la mort de près de 70 personnes. Les victimes sont surtout des militaires, gendarmes et policiers, harcelés à leur poste par des « hommes armés » restant à chaque fois « non identifiés ». Sous-équipées et en nombre insuffisant pour assurer une vraie riposte, les forces de sécurité du nord voient se répéter sans cesse le même scénario : des individus encerclent leur position, tirent à tout-va et dérobent du matériel avant de prendre la fuite en direction du Mali, sans jamais être rattrapés.
« Tout tourne autour du manque de moyens. La protection des postes de sécurité est insuffisante. Il y a aussi un problème d’effectifs. Le nord n’est pas assez couvert. Quant au salaire des hommes qui y sont envoyés, il est dérisoire ! Cela ne peut pas les encourager à bien faire leur travail », résume, un peu désespérée, une source au sein de l’état-major général des armées.
« On nous demande, à nous, de collaborer ? »
La chute du régime de Blaise Compaoré, en octobre 2014, puis la dissolution du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) à la suite du coup d’Etat avorté de septembre 2015, ont affaibli le système sécuritaire. Blaise Compaoré négociait avec les groupes terroristes de la sous-région, qui, en retour, ne frappaient pas le Burkina Faso. Gilbert Diendéré, le patron du RSP, contrôlait tout le renseignement. La démission du premier et l’incarcération du second ont fait s’écrouler une structure que le nouveau pouvoir doit désormais repenser et reconstruire.
Face au manque de réactivité du gouvernement, la colère monte. « Lorsque les postes de sécurité sont attaqués, certains d’entre nous se disent que cela n’est pas plus mal. Quand on appelle les forces de défense pour un braquage, elles n’interviennent jamais dans les temps. Elles ont démissionné. Et après on nous demande, à nous, la population, de collaborer, de prendre les armes à leurs côtés ? Mais n’est-ce pas plutôt le moment de faire une croix sur ces gars-là ? », s’emporte un habitant de Djibo, furieux.
Un cercle vicieux s’est enclenché. Car, pour gagner les cœurs, les terroristes évitent de cibler les civils, du moins ceux qui ne collaborent pas avec l’Etat. Alors la population préfère se taire, ne pas dénoncer et ne pas coopérer avec les autorités, soit par crainte de représailles des terroristes, soit pour signifier sa colère envers des forces de l’ordre incapables de la protéger. Le résultat pourrait être explosif – le divorce entre le peuple et les autorités.
« Terreau fertile »
Ce ras-le-bol des gens du Nord est amplifié par le sentiment que le pouvoir central a abandonné la région, et ce depuis l’indépendance. Les routes traversant le Sahel, rares et difficilement praticables, isolent les habitants lors de la saison des pluies. Les centres de santé sont peu nombreux et éloignés : dans une étude menée en 2012, l’Institut danois des droits humains estimait que les habitants du Sahel devaient parcourir en moyenne 12,5 km pour s’y rendre, distance sensiblement plus longue que la moyenne nationale de 7,3 km. Le taux de scolarisation, lui, est le plus faible du pays : 53 % en 2016, contre 86 % au niveau national, selon le ministère de l’éducation.
« L’ignorance, la pauvreté et l’isolement constituent un terreau fertile pour les terroristes qui veulent recruter. Malheureusement, ces trois éléments sont présents dans le Nord », regrette le colonel à la retraite Jean-Pierre Bayala. Les autorités craignent de plus en plus qu’une partie de la population se radicalise. Fin 2015, le ministère de la sécurité et la gendarmerie évoquaient la présence de cellules terroristes dormantes sur le territoire. Aujourd’hui, les autorités parlent de réseaux de recrutement, allant jusqu’à annoncer, le 24 mars, qu’elles en avaient démantelé un en octobre 2016. L’annonce peut laisser sceptique mais révèle en tout cas un développement du phénomène.
La création du groupe terroriste burkinabé Ansaroul Islam, fin 2016, n’est pas anodine, bien que ses capacités tant humaines que matérielles soient pour l’instant limitées. « Nous savons qu’Ansaroul Islam a recruté des jeunes pour les former à l’étranger », confie une source au sein de la gendarmerie.
« Nous allons faire face »
Face à cette situation qui ressemble toujours davantage à une bombe à retardement, le gouvernement a multiplié les annonces, le 24 mars : renforcement des moyens humains et matériels des forces de défense au Sahel, réforme de la police de proximité, création d’un conseil national de gestion de crise terroriste…
Il convient d’attendre pour juger de la mise œuvre de ces promesses, mais le message délivré par Simon Compaoré, le ministre de la sécurité, a redonné du moral aux troupes et de l’espoir aux populations : « Qu’ils s’appellent AQMI [Al-Qaida au Maghreb islamique], Al-Mourabitoune, Etat islamique ou Ansaroul Islam, nous allons faire face. Et l’Histoire retiendra qu’à une période donnée, nous avons été injustement attaqués et que nous nous sommes organisés pour opposer une résistance qui nous a permis d’engranger des victoires et d’assurer l’intégrité territoriale de notre pays. »