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Le procès de deux jeunes Marocaines pour un « selfie amoureux » reporté à l’après-COP22

08 - Novembre - 2016

Le procès de deux jeunes Marocaines pour un « selfie amoureux » reporté à l’après-COP22

Malgré la pluie de novembre, Marrakech s’est fait pimpante pour l’ouverture de la COP22, lundi 7 novembre : bâtiments parés de vert et rouge, routes lisses au goudron encore tiède, gazon fraîchement déroulé ou finition dans la nuit des travaux du nouveau terminal de l’aéroport, alors que débarquent déjà les premières délégations étrangères. Une frénésie d’inaugurations, de rubans coupés et de tapis rouges dont le Maroc est coutumier pour les grands événements.

Cette COP22, tant attendue par le royaume, déploie aussi des effets moins attendus. Vendredi, contre toute attente, la justice a libéré deux adolescentes qui avaient été arrêtées le 27 octobre à Marrakech pour « homosexualité, vagabondage et détention d’images indécentes ». H. et S. avaient été dénoncées par la famille de la seconde qui soupçonnait une relation « déviante ».

S’étant donné rendez-vous sur Facebook, les deux jeunes filles s’étaient retrouvées à Agadir sans argent ni point de chute. Elles auraient confié aux policiers qu’elles profitaient de rares moments d’intimité pour des « baisers et attouchements ». Au Maroc, le Code pénal punit de six mois à trois ans d’emprisonnement « quiconque commet un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe ».

Un selfie de baiser comme pièce à conviction

Après une fugue de quelques jours, S., 16 ans, était reparue au domicile de sa tante en compagnie de H., d’un an son aînée. Celle-ci a été « alertée » par un suçon visible sur le cou de sa nièce. Interrogée par sa mère, cette dernière aurait alors avoué sa relation avec H. et révélé, sur son téléphone, la preuve du délit : le selfie d’un baiser. « Un souvenir pour la vie », ont-elles déclaré ensuite aux policiers. Pour ces derniers, qui ont saisi le téléphone, c’est une pièce à conviction.

De tels aveux, ainsi que la description étrangement similaire de leurs étreintes dans les toilettes d’un hammam, semblaient condamner à l’avance les adolescentes. Au grand dam des associations de la société civile, qui ont relevé des irrégularités de procédure et notamment le fait que les mineures auraient été entendues sans la présence de leurs parents.

Dans son bureau vieillot du quartier Guéliz, Me Ahmed Abadarrine balaie du plat de la main ces arguties juridiques qui l’intéressent moins que le scandale d’une justice « qui s’immisce dans la vie privée des personnes ». « La majorité pénale est fixée par la loi à 16 ans et le nouveau Code de procédure pénale prévoit d’informer les proches dès la garde à vue, ce qui semble avoir été fait, élude-t-il. Le sujet, c’est l’homosexualité et elle ne doit pas être criminalisée, poursuit Me Abadarrine. C’est aberrant. Même dans l’héritage régi par l’islam, on reconnaît l’existence de sujets dont la sexualité est ambivalente et qui héritent. »
Peur d’un mauvais buzz

La défense des adolescentes n’a pourtant pas encore eu le temps de dérouler ses arguments. Le 3 novembre, à la surprise générale, le parquet a réclamé la libération des prévenues, qui a été accordée juste avant une audience prévue le lendemain, à trois jours de l’ouverture de la COP22. Un avocat casablancais qui suit l’affaire assure que « la mobilisation de la société civile et la couverture de l’affaire par la presse internationale ont fait craindre un mauvais buzz alors que tous les projecteurs sont braqués sur Marrakech ». Interrogé sur cette coïncidence heureuse pour sa cliente, Me Abadirrine sourit et dénonce une « justice locale dominée par le réflexe sécuritaire, une police peu formée aux droits de l’homme, et de manière transversale un manque de jugement, y compris de la part de la famille d’une des prévenues qui est à l’origine de la plainte ».

La volonté d’éteindre une polémique naissante, ou en tout cas de la différer, transparaît dans le renvoi de l’audience. Prévue le 4 novembre, elle a été reportée au 25 novembre, soit le premier vendredi après la COP22. De fait, la veille de la libération de H. et S., le Comité des droits de l’homme des Nations unies adoptait ses résolutions finales dans le cadre de l’examen périodique du Maroc. Et invitait le royaume à « remettre en liberté quiconque se trouve en détention uniquement au motif de relations sexuelles librement et mutuellement consenties », ainsi qu’à « mettre fin à la stigmatisation sociale de l’homosexualité ».

Le maintien en détention des deux adolescentes aurait été d’autant plus dommageable pour la réputation du Maroc qu’une autre affaire de mœurs agite le royaume. Saad Lamjarred, 31 ans, l’un des chanteurs les plus connus du royaume, décoré par le roi en personne en 2015, a été mis en examen et écroué à Paris le 28 octobre pour « viol aggravé ». Dans son cas, et malgré des antécédents aux Etats-Unis en 2010, une grande partie de l’opinion publique marocaine se dit convaincue de son innocence. Quant au roi Mohammed VI, il a accepté, sur demande de la famille du chanteur, de prendre à sa charge les frais de défense de M. Lamjarred par une star du barreau parisien, Me Eric Dupont-Moretti.

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