Me Malick Sall, ministre de la Justice: « Le bracelet électronique n’est pas une obligation » (ENTRETIEN)

30 - Mai - 2020

Trois jours après l’adoption, en Conseil des ministres, du projet de loi portant introduction de la surveillance électronique, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Elhadji Malick Sall, explique les contours de cette disposition qui devrait contribuer à désengorger les prisons. Mais dit-il, le bracelet n’est pas une obligation pour le condamné. Il a le choix entre le porter ou séjourner en prison.
Le Sénégal va vers l’introduction des bracelets électroniques, si les deux projets y afférents sont adoptés par les députés. Qu’est-ce que cela recouvre ?
Le Chef de l’État m’a chargé de remettre de l’ordre dans la justice et d’humaniser les conditions de vie des prisonniers. Le détenu n’est privé que d’un seul droit, celui d’aller et de venir. Il conserve tous les autres droits sauf si le jugement le prive de ses droits civiques. Il était donc normal que nous prenions les dispositions pour que, dans nos prisons, les conditions respectent les standards internationaux. Nous n’avons pas envie de nous regarder par rapport à ceux qui sont derrière nous. Dans certaines prisons africaines, il y a pire, mais nous voulons être parmi les meilleurs.

Le Chef de l’État fait le maximum à chaque occasion pour gracier (des détenus). Il en a fait au mois d’avril, avec un record de 2.036. Il va en faire pour la Korité (1021 détenus ont été graciés pour cette fête). Depuis que je suis là, j’ai dû signer au moins plus de 600 arrêtés pour libération conditionnelle. Nous voulons désengorger nos prisons parce que, quelle que soit l’alimentation, si les détenus vivent entassés, ce n’est pas possible.
Comment comptez-vous relever le défi ?
La priorité, c’est d’abord de lutter contre les longues détentions, et faire en sorte qu’il y ait le moins de monde possible. Il va falloir également faire en sorte que les tenus soient dans les meilleures conditions. Nous avons déjà construit la prison de Sébikotane qui accueille maintenant des prisonniers. À Rebeuss, la fameuse chambre 9 qui abritait énormément de monde n’existe plus. Malheureusement, avec la Covid-19, on ne peut pas faire visiter la presse la prison de Sébikotane et celle de Koutal qui est également prête. Vous verrez que chacun a son lit, il y a des télés dans les chambres, ils vivent bien. Quand on envoie quelqu’un en prison, on doit respecter sa dignité. Il faut préparer l’individu à revenir à la vie.
Et comment sont ces bracelets électroniques ?
C’est une nouvelle possibilité. Dans notre législation actuelle, il y avait énormément de moyens d’éviter la prison comme la probation, le sursis, le travail au bénéfice de la société, la semi-liberté, le fractionnement de la peine, la dispense de peine, l’ajournement mais, malheureusement, ce n’était pas appliqué. C’est très rare qu’un juge accompagne la sentence de ces éléments-là. Nous avons, aujourd’hui, la possibilité d’utiliser le bracelet électronique qui existe en France, dans les pays du Nord de l’Europe et aux États-Unis.
Quand je suis arrivé à la tête de ce ministère, j’y ai trouvé une proposition. Elle concernait le bracelet en forme de wifi. Je me suis dit que ce n’était pas possible parce que celui qui est à Matam a besoin d’électricité pour que le wifi puisse fonctionner. J’ai dit que ça ne peut pas marcher. En plus, le wifi est souvent en panne. Et finalement, on nous a fait la dernière offre. C’est par géolocalisation. Ce bracelet, je l’ai vu, on l’a même testé. Il ne pèse pas plus de 500 grammes. Il est vraiment incassable. Et il n’y a aucun risque sanitaire pour le porteur. Et une fois que le bracelet est obtenu, il peut être utilisé pendant dix ans garantis. Chaque fois qu’il doit être installé sur quelqu’un, on change la puce. Il y a un numéro. C’est le numéro d’écrou qui est dans la puce. Si une personne est libérée, on lui enlève le bracelet et l’on met la puce d’un autre détenu.

Économiquement, c’est extrêmement intéressant. Je vous assure qu’on ne peut pas le casser ou l’enlever. Il y a des bureaux de surveillance de l’administration pénitentiaire où l’individu, où qu’il soit, est tracé. Si un individu poursuivi pour pédophilie s’approche d’une école primaire, le signal est automatiquement en marche. Et on va le chercher immédiatement. Certains estiment que ce n’est pas notre culture. Pour porter le bracelet, il faut déjà que la personne soit accusée ou condamnée. Dans tous ces deux cas, la communauté sait que vous avez des difficultés avec la justice. Je pense qu’aller en prison est beaucoup plus infamant que de porter un bracelet. D’autant plus que ce bracelet n’est pas fait pour humilier. On le met à la cheville. Si vous portez un pantalon, personne ne le verra. Il n’y a que votre épouse ou l’installateur. Autrement, ce n’est pas visible. Et puis techniquement, c’est le top. Encore une fois, ce bracelet n’est pas une obligation. On ne peut l’installer qu’avec l’accord de la personne. Si la personne poursuivie vient devant le juge d’instruction, qui l’inculpe, il peut lui dire que la loi l’autorise à choisir le port de bracelet en lieu et place de la prison. Car la personne travaille, elle a une situation familiale. Dans ce cas, un séjour carcéral peut faire éclater sa famille. Ou bien la personne suit un traitement médical.

Le juge prend en compte tous ces paramètres mais il revient à cette personne de dire si elle est d’accord ou pas. S’il préfère la prison, il n’y a aucun problème. Le bracelet, c’est une géolocalisation par satellite, fait par de jeunes Sénégalais qui ont leurs bureaux à Dakar. J’ai été bluffé quand ils me l’ont présenté. Ils ont fait ce travail dans la discrétion la plus totale. Dès mardi, les deux projets de loi seront déposés au secrétariat général du gouvernement qui va les soumettre au Chef de l’État, qui va saisir l’Assemblée nationale. Ainsi, dans un délai maximum de six mois, nous pourrons conclure le contrat et commencer à mettre en application le port du bracelet électronique.
Recueillis par Moussa DIOP, Diéry DIAGNE et Oumar FEDIOR (Le Soleil)

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