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Syrie : après l’échec à Téhéran, compte à rebours pour Idlib

08 - Septembre - 2018

es présidents iranien, turc et russe se sont rencontrés à Téhéran, vendredi. Ils n’ont pas réussi à s’entendre sur le sort à réserver au bastion rebelle.

Dans la capitale iranienne, Moscou, Téhéran et Ankara, qui parrainent les belligérants, se sont quittés sans parvenir à une position commune, ne s’accordant que sur la nécessité, très vague, d’une « stabilisation par étapes » de la province. Et les présidents de ces trois pays disent vouloir maintenir « l’esprit de coopération qui caractérise le [processus] d’Astana ».

Mais dans les faits, les tuteurs des accords d’Astana – qui avaient fixé en 2017 quatre zones de cessez-le-feu, dont trois ont été reprises par le régime depuis – ont semblé camper sur leurs positions lors de ce sommet, marqué par une joute verbale en conférence de presse entre les présidents turc Recep Tayyip Erdogan et russe Vladimir Poutine : le premier a plaidé à cor et à cri pour un accord de « cessez-le-feu » en mettant en garde contre un « massacre », quand le second a martelé son soutien à Damas : « Le gouvernement syrien a le droit de prendre sous son contrôle la totalité de son territoire national, et doit le faire. »
« Gagner du temps »
Sur le terrain, l’aviation russe, qui a repris ses frappes aériennes contre la province cette semaine, a de nouveau visé des positions attribuées à l’organisation djihadiste Hayat Tahrir Al-Cham (ex-Front Al-Nosra, une émanation d’Al-Qaida), dans la nuit de vendredi à samedi.
En s’opposant à Vladimir Poutine, le président turc, présenté comme affaibli face au Kremlin et qui craint un afflux massif de civils vers la Turquie en cas d’offensive terrestre, espère avoir eu gain de cause sur l’essentiel : gagner du temps afin de mettre en application son engagement à mettre fin à la présence de groupes djihadistes à Idlib.
Recep Tayyip Erdogan aurait-il reçu des assurances fortes de Washington, malgré les tensions récentes entre les deux pays ? Selon Nicholas Heras, chercheur au Center for a New American Security à Washington, « les Etats-Unis ont manifesté publiquement leur volonté de rester en Syrie et ont réaffirmé leur hostilité à une offensive du régime de Bachar Al-Assad contre l’enclave d’Idlib. Au-delà de ces déclarations, Washington a fait comprendre de manière plus discrète aux acteurs du conflit que les Etats-Unis pourraient intervenir si le régime syrien lançait une offensive contre l’enclave d’Idlib en l’absence d’accord diplomatique entre la Russie et la Turquie ». Ces déclarations, assorties à la menace voilée d’un usage de la force, garantiraient à la Turquie un soutien qui lui permettrait de négocier en position de force.

« Les assurances américaines ont permis à la Turquie de gagner du temps à Téhéran », ajoute Nicholas Heras, le temps dont la Turquie a besoin pour résoudre enfin la question de la présence djihadiste à Idlib avec, cette fois, le soutien américain qui lui faisait jusqu’alors défaut. D’après ce spécialiste de la politique syrienne des Etats-Unis, la coopération entre Ankara et Washington sur ce point pourrait se traduire par le partage de renseignements sur la localisation de cadres djihadistes dans l’enclave d’Idlib, et par un soutien américain à la consolidation des forces issues de l’opposition armée alliées à la Turquie dans cette zone.
Joseph Bahout, chercheur non résident à la Fondation Carnegie et professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, s’interroge sur la crédibilité de l’offre américaine : « Le caractère erratique de la politique de Washington sur le dossier syrien pourrait affecter la solidité des garanties américaines à la partie turque. Elles semblent cependant avoir permis au président Erdogan de ne pas plier face à ses interlocuteurs à Téhéran, bien que le ton ait pu monter lors des échanges entre les chefs d’Etat réunis lors de ce sommet. »
Ultimatum
La Russie n’aurait cependant pas intérêt à s’aliéner totalement la Turquie : « Un divorce complet entre Ankara et Moscou sur la question d’Idlib mettrait en péril le processus d’Astana, dont la Russie a besoin pour montrer qu’elle n’a pas seulement gagné la guerre mais qu’elle s’apprête aussi à gagner la paix », ajoute Joseph Bahout.
A des milliers de kilomètres de Téhéran, les diplomates étaient aussi à pied d’œuvre à l’ONU, à New York, pour tenter d’épargner aux 3 millions d’habitants de l’enclave un assaut imminent des forces de Bachar Al-Assad, lors d’une réunion convoquée par les Etats-Unis devant le Conseil de sécurité des Nations unies.

L’éventail des solutions demeure limité. Staffan de Mistura, l’envoyé spécial de l’ONU en Syrie, a tenté de proposer un plan qui permettrait de séparer les 10 000 djihadistes – affiliés principalement au groupe Hayat Tahrir Al-Cham – de la population civile, et le lancement d’un ultimatum pour leur permettre de quitter les zones les plus densément peuplées. Cette idée, jugée « irréaliste », a suscité le scepticisme des diplomates. La séparation des groupes considérés comme terroristes par l’ONU d’avec les civils a toujours été la pierre d’achoppement des négociations lors des derniers sièges d’Alep ou de la Ghouta orientale.
Financer la reconstruction
Face à Moscou, qui a maintes fois répété que Bachar Al-Assad avait le droit de récupérer la totalité du territoire syrien, les diplomates occidentaux ont peu de leviers. L’écrasement de la province d’Idlib « ne marquerait pas la fin de la crise syrienne », a toutefois prévenu l’ambassadeur français à l’ONU, François Delattre, qui a appelé Russes et Iraniens à faire respecter le cessez-le-feu qu’ils avaient patronné dans cette zone dite « de désescalade » : « Un nouveau massacre serait bien la responsabilité – et l’échec – des soutiens du régime. A l’inverse, ils peuvent encore enrayer la dynamique de l’escalade et apparaître aux yeux du monde comme ayant ouvert la voie à un règlement pacifique. »
La reconquête du dernier bastion rebelle par les forces de Bachar Al-Assad pose une autre question : celle du financement de la reconstruction de la Syrie, exsangue après sept années de guerre. C’est la carte qu’ont choisi d’abattre les diplomates occidentaux : sans transition politique, pas question de signer un chèque en blanc, ont prévenu les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni. « Aucun pays ne devrait le faire », a tenu à souligner l’ambassadrice américaine à l’ONU, Nikki Haley, dans un message appuyé à Pékin, qui n’a pas l’habitude de s’embarrasser de considérations politiques.

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