« Téhéran s’opposera au projet d’un Kurdistan syrien autonome »
Spécialiste des problèmes de sécurité au Proche-Orient, Aniseh Bassiri Tabrizi est chercheuse au Royal United Services Institute for Defence and Security Studies, basé à Londres. Elle analyse la politique de l’Iran en Syrie, notamment depuis les derniers développements de la stratégie américaine dans le nord-est syrien sur fond de reflux de l’organisation Etat islamique (Daech).
Comment expliquez-vous l’annonce du retrait des troupes américaines de Syrie et la confusion qui s’est ensuivie entre Ankara et Washington ?
Rendue publique à la suite d’une discussion téléphonique avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, la décision soudaine du président Donald Trump de retirer les troupes américaines de Syrie a omis de prendre en considération les potentielles répercussions de cette initiative sur les intérêts américains dans la région.
En ne fixant pas avec la partie turque des conditions claires pour le retrait américain, Trump met non seulement en péril les forces kurdes syriennes que les Etats-Unis ont soutenues dans le combat contre Daech, mais accroît également les chances d’une renaissance de l’organisation Etat islamique, ainsi que de gains territoriaux au profit de Damas et de Téhéran.
Toutes ces hypothèses vont à l’encontre des intérêts américains. Après les réactions hostiles de plusieurs responsables américains face à ces possibles répercussions, l’annonce originelle de Donald Trump a été ajustée, et l’administration cherche aujourd’hui à trouver sur la question du nord-est syrien un règlement négocié qui tienne compte des priorités sécuritaires aussi bien turques qu’américaines.
L’idée de créer de part et d’autre de la frontière turco-syrienne une zone de sécurité placée sous le contrôle des forces turques et américaines vous paraît-elle réalisable, sachant que Damas et Moscou s’y opposent et que Téhéran se méfie des appétits turcs ?
Il paraît très peu probable que le président Erdogan parvienne à instaurer une zone de sécurité sous contrôle turc du côté syrien de la frontière, un projet dont son pays réclame la mise en place depuis 2012, en vain. Les forces kurdes en rejetteront à coup sûr l’idée, à moins que la zone ne soit contrôlée par des forces de l’ONU capables de repousser une possible offensive turque.
Même s’ils restent plus discrets, la Russie et l’Iran s’opposeront probablement à toute solution menaçant l’intégrité territoriale de la Syrie, une position que ces deux pays ont maintenue depuis le début de leur implication dans le conflit. Le fait que, à la suite de son entretien avec Recep Tayyip Erdogan, Vladimir Poutine ait évoqué la possibilité d’une zone de sécurité contrôlée par Damas dans le nord de la Syrie ne fait que confirmer que la Russie, avec l’Iran, poussera vers une solution qui permette au régime de Bachar Al-Assad de reprendre le contrôle de la région frontalière, ce qui s’oppose frontalement aux ambitions turques.