Au Kenya, la réélection d’Uhuru Kenyatta est un fiasco démocratique
La violence qui s’est exprimée à l’occasion du processus électoral présidentiel à rebondissements a mis en péril les fragiles équilibres du pays.
Le président kényan Uhuru Kenyatta après sa prestation de serment, le 28 novembre 2017, dans le stade Kasarani à Nairobi. Crédits : Baz Ratner/REUTERS
Depuis mardi 28 novembre, le Kenya a un « nouveau » président. Dans un stade de la banlieue de Nairobi, face à une fanfare militaire, des dizaines de milliers de supporters chauffés à blanc et une quinzaine de chefs de l’Etat, Uhuru Kenyatta a prêté serment pour son second mandat à la tête du pays. Du bruit, du beau monde, un peu de soleil : tout pour tenter de faire oublier la crise politique de ces derniers mois. Tout pour dissimuler, le temps d’une fête, les maux qui rongent le Kenya.
Le pays a donc un président. Mais à quel prix ? Le scrutin de 2017, censé n’être qu’une formalité, s’est transformé en pugilat sanglant pour le pouvoir. Il a mis en péril les fragiles équilibres du pays et jeté aux flammes, en l’espace de quelques semaines, dix années de travail acharné pour la paix et la réconciliation, menées par les ONG et la société civile, suite aux terribles violences post-électorales de 2007-2008 qui avaient fait 1 100 morts et 600 000 déplacés.
Une légitimité de paille
Préparée de longue date et soutenue à bout de bras par la communauté internationale, l’élection est un fiasco complet. Plusieurs dizaines de Kényans (pour l’essentiel des partisans de l’opposant Raila Odinga) ont perdu la vie dans les affrontements violents avec la police. Au passage, cette dernière s’est illustrée par une brutalité inouïe et des méthodes d’un autre âge, tirant à balles réelles sur la foule, tabassant sans discrimination simples civils et manifestants.
Dans la mêlée, des membres d’organisation de défense des droits humains, des juges, des militants de la paix ou des employés de la Commission électorale ont été intimidés, menacés, battus, enlevés voire torturés – et ce par les deux camps. Conséquence du boycottage de l’opposition : à peine un tiers des Kényans se sont rendus aux urnes le 26 octobre et Uhuru Kenyatta a été réélu dans la violence avec un score affligeant de 98 % des voix. Il ne dispose plus que d’une légitimité de paille.
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Mais, derrière cette farce politicienne, souvent tragique et parfois grotesque, le cycle électoral aura marqué pour le Kenya un tournant dangereux aux conséquences potentiellement potentiellement dévastatrices sur le long terme, en particulier lors du prochain scrutin prévu pour 2022.
Il a fait resurgir les démons du Kenya et laissé derrière lui un pays à bout de nerfs et profondément divisé. A plusieurs reprises ces derniers mois, des groupes de centaines d’habitants issus de communautés rivales se sont affrontés en plein jour dans les rues de Nairobi, armés de simples machettes et de couteaux de cuisine : des scènes de bataille rangées terrifiantes entre voisins, jamais vues depuis dix ans.
Un vaste système clientéliste
Ces quelques incidents sont certes restés isolés et nous sommes encore à des années-lumière du déchaînement de violence généralisé de 2007-2008, mais ils n’augurent rien de bon. Car, plus que jamais, les Kényans sont aujourd’hui repliés sur leurs bases communautaires, au point que l’existence même du Kenya comme nation et comme Etat paraît aujourd’hui remise en cause.
Le problème n’est certes pas nouveau. Le Kenya, avec ses quarante-quatre groupes ethniques et ses centaines de sous-tribus et sous-clans, est l’un des pays les plus divers du continent, mais aussi historiquement l’un des plus divisés. Depuis des décennies, l’antagonisme entre les différentes communautés a en effet été exacerbé par les politiciens de tout bord afin de s’assurer de la fidélité de leur électorat.