Dans le nord de la Birmanie, une longue histoire de tensions et de violences

13 - Septembre - 2017

Pour les autorités birmanes, les Rohingya n’existent pas et ne sont que des Bengalis exilés.
Des policiers montent la garde après une attaque de l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan, à Buthidaung, le 28 août.
L’ampleur de la tragédie humaine est sans précédent dans la longue et douloureuse histoire des musulmans du nord de la Birmanie. Mais l’épuration ethnique décidée par les autorités du Myanmar, l’actuel nom de la Birmanie, est le dernier soubresaut de plusieurs décennies de tensions entre bouddhistes et musulmans dans ces régions des confins birmans.
La cause première est à chercher du côté du colonisateur britannique, au temps de l’empire des Indes : en 1826, après s’être emparés de l’Arakan – l’actuel Etat Rakhine alors essentiellement bouddhiste –, les Anglais encouragent l’immigration de paysans musulmans de la partie orientale du Bengale voisin.
Lire aussi : « Partez ou vous allez tous mourir  » : sur les routes de la déportation des Rohingya birmans
L’exploitation agricole de l’Arakan et l’essor du port d’Akyab, désormais appelé Sittwe, va ainsi susciter dans la région l’afflux de milliers d’agriculteurs bengalis, phénomène qui aura pour conséquence des bouleversements démographiques porteurs de tensions intercommunautaires ultérieures. A partir de la fin du XIXe siècle, le nombre de « Mahometans de Chittagong », comme l’on désignait à l’époque les ressortissants de cette ville située dans le sud de l’actuel Bangladesh, va progresser dans des proportions spectaculaires : entre 1890 et 1911, la population bengalie musulmane des districts d’Akyab ainsi que ceux de Maungdaw, Buthidaung et Rathedaung, épicentres des troubles actuels, va augmenter de 77 %.
La seconde guerre mondiale va aiguiser les tensions entre musulmans et bouddhistes. Ces derniers sont frustrés d’avoir vu se constituer dans des zones où ils étaient naguère majoritaires des « enclaves musulmanes ». Après l’invasion de la Birmanie par les Japonais, en 1942, « des voyous arakanais [bouddhistes] commencèrent par attaquer des villages musulmans. Ces derniers se vengèrent alors contre les bouddhistes de Maungdaw et de Bhutidaung », rappelle le chercheur Moshe Yegar.

Force nébuleuse
Le fait que nombre de ces bouddhistes de l’Arakan aient compté sur l’envahisseur nippon pour les débarrasser des colons britanniques tandis que les Anglais, repliés en Inde, formèrent des milices antijaponaises constituées de Bengalis musulmans, n’arrangea pas les rapports intercommunautaires après la fin du conflit. D’autant que certains militaires britanniques furent forcés d’admettre que les corps de volontaires musulmans préféraient parfois attaquer les villageois bouddhistes plutôt que de faire le coup de feu contre les Japonais…
Dans la période qui suit l’indépendance de la Birmanie, en 1948, la tension monte encore d’un cran : en 1951, une « organisation des musulmans de l’Arakan » nouvellement formée publie un texte demandant l’établissement d’un « Etat libre musulman sur un pied d’égalité semblable aux autres Etats de l’Union de Birmanie ». En parallèle s’est engagé quelques années plus tôt sur les marches du Pakistan oriental, qui deviendra le Bangladesh en 1971, un combat des guérilleros « moudjahidine » de l’Arakan, dirigé par le très populaire chanteur Jafar Kawwal…
C’est à partir de ce moment que sera vraiment utilisé par les séparatistes et autres activistes musulmans le nom de « Rohingya », qui est une appellation d’origine incontrôlée : pour les autorités birmanes, ainsi qu’un bon nombre de citoyens du Myanmar, les Rohingya n’existent pas et ne sont que des Bengalis exilés. Pour les militants de la cause rohingya, ces derniers forment une ethnie en soi, certes d’origine bengalie, mais dont les membres ont également des origines diverses, arabes, persanes, turques, etc.
A partir des années 1960, plusieurs groupes de guérilleros rohingya, parfois concurrents, vont entretenir un conflit de basse intensité sur les zones frontalières. Certains revendiquent un combat séculariste centré sur la défense des droits des musulmans, d’autres penchent pour une lutte plus frottée à l’islam politique.
Ces groupes, affaiblis par des rivalités internes, n’avaient jamais réussi à réunir plus d’une centaine de combattants. Ils utilisaient le Bangladesh comme base arrière. La Rohingya Solidarity Association, proche des mouvements islamistes bangladais, fut l’une des plus actives. L’actuelle Armée du salut des Rohingya de l’Arakan, si elle est sans conteste le tout dernier avatar de ces différentes organisations, reste pour l’heure une force un peu nébuleuse. Certains affirment qu’elle est téléguidée par des Rohingya exilés en Arabie saoudite et au Pakistan, tandis que ses porte-parole ont récemment assuré mener une lutte dépourvue d’arrière-pensées djihadistes.

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