Mme May et les fables du Brexit

05 - Mai - 2017

Mme May et les fables du Brexit

Editorial. La première ministre britannique pensait pouvoir diviser les Européens dans ses négociations de sortie de l’UE et s’attache au mythe d’un accord gagnant-gagnant. Mais elle fait face à un blocus continental.


Editorial du « Monde ». On connaît la passion des Britanniques pour les épopées impériales. Osons donc une comparaison nouvelle avec le Brexit, qui prévoit la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) d’ici deux ans : pour la première fois depuis deux siècles, les Britanniques font face à un blocus continental, comme celui tenté par Napoléon en 1806. A une différence près, il fonctionne !
La première ministre, Theresa May, pensait en effet pouvoir diviser les Européens dans ses négociations de sortie de l’UE, flatter telle branche industrielle, s’attirer les bonnes grâces des pays amis d’Europe de l’Est. C’est l’échec. Loin d’accélérer le délitement européen, le Brexit semble conduire à un sursaut. Les continentaux y ont trop à perdre. Les Vingt-Sept font bloc et le feront encore plus si Emmanuel Macron est élu président de la République, lequel a déjà annoncé son intention de travailler non pas « face » à Angela Merkel mais « avec ».
Curieusement, les Britanniques n’ont pas réalisé combien leur vote marquait une rupture stratégique, une révolution du rapport de force en Europe. Le Brexit sera « hard », comme l’a dit depuis le début Mme May. « Hard » oui, très « dur », mais pour les Britanniques, qui n’ont jamais été aussi affaiblis.
Jean-Claude Juncker « dix fois plus pessimiste »
Mme May ne l’a pas encore réalisé, comme en témoigne le compte rendu par la Frankfurter Allgemeine Zeitung d’un dîner calamiteux, mercredi 26 avril, entre Mme May, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le négociateur pour le Brexit, le Français Michel Barnier. Durant cette soirée, M. Juncker a expliqué à son interlocutrice qu’on ne sortait pas de l’UE « comme on quitte un club de golf » et qu’il quittait Downing Street « dix fois plus pessimiste » qu’il n’y était entré.
Explication des illusions des Anglais, accusés par M. Juncker de vivre dans « une autre galaxie ». Depuis la défaite de Napoléon, les Britanniques veillaient à organiser un équilibre des puissances sur le continent qui soit favorable à leurs intérêts. Ils regardaient l’Europe avec une bienveillante condescendance, tel Churchill prônant en 1946 les Etats-Unis d’Europe, dont ils seraient avec les Etats-Unis d’Amérique les « protecteurs ». Et, lorsqu’ils sont entrés dans l’UE, ce fut pour façonner une Europe à leur main, un vaste espace économique, de liberté et de sécurité : l’Europe élargie appelée à se confondre avec l’OTAN.
Ce magistère moral a permis aux Britanniques de faire la pluie et le beau temps en Europe : c’est Tony Blair, européen de papier, qui imposa, au début des années 2000, tant de lignes rouges à la Constitution européenne qu’il empêcha une vraie intégration, ou qui organisa la division de l’Europe lors de la guerre en Irak. Ces temps sont révolus. Depuis la crise financière, les Européens font sans les Britanniques si nécessaire. Le reniement du Brexit fait perdre la main à ces derniers.
Mme May est désormais dans une seringue, boutée hors d’Europe d’ici deux ans. Elle doit prendre la mesure de la tâche qu’elle a à accomplir. Son pays a beau n’être ni dans l’euro ni dans Schengen, il est lié à l’UE jusque dans les plus étroits interstices. M. Juncker a présenté à Mme May les accords commerciaux avec le Canada et d’adhésion avec la Croatie : six kilogrammes de documents. Elle va devoir en détricoter puis en renégocier au moins autant. Mme May s’accroche à la fable d’un accord gagnant-gagnant qui n’existe pas. Le Brexit est un jeu à somme négative. Surtout pour son pays.

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